La Presse (Tunisie)

On est dans le réel mais avec des codes différents…

«Regarde-moi» est le nouveau long métrage de Néjib Belkadhi (produit par Imed Marzouk et co-produit par Farès Ladjimi) qui représente­ra la Tunisie dans la compétitio­n officielle du Festival de Toronto cette année. A cette occasion, il nous a accordé cet e

- Entretien conduit par Salem TRABELSI

Avec «Regarde-moi», on est dans un univers complèteme­nt différent de celui de «Bastardo»…

Oui, c’est une nouvelle expérience dans le sens où l’approche même du sujet est complèteme­nt différente. En fait, il ne s’agit pas des mêmes codes de narration. Personnell­ement, je n’aime pas refaire les mêmes films. De toutes les façons, l’histoire de «Regarde-moi» ne peut pas être traitée de la même façon que «Bastardo». Chaque histoire impose son propre rythme et sa propre manière d’être filmée. Avec « Regarde-moi» on est dans un univers moins physique que mental. On est plus dans la tête du personnage principal de Lotfi et plutôt dans une fantaisie différente de Bastardo. Ici, on est plus dans quelque chose de réel, de palpable que tout le monde peut vivre mais avec des codes visuels différents.

Comment avez-vous effectué le casting des acteurs pour porter ce film particulie­r sur le plan narratif et visuel ?

Le casting était un gros morceau du film ! Les personnage­s principaux sont interprété­s par Nidhal Saâdi et l’enfant qui est une jolie découverte : Idriss Kharroubi. Dans la tranche entre 35 et 45 ans, sincèremen­t, nous n’avons pas beaucoup de choix pour le personnage de Lotfi. Il y avait aussi le personnage de l’enfant qui était difficile à caster. Jusqu’à la dernière minute je ne savais pas qui allait camper ces deux rôles, surtout le rôle de l’enfant autiste. Je précise ici que l’autisme est un syndrome et pas une maladie ! Après un an et demi dans les centres qui s’occupent d’enfants autistes, je n’ai pas pris de décision… Puis au moment où j’allais effectuer deux castings, l’un pour des enfants autistes et l’autre pour des enfants neurotypiq­ues (qui ne sont pas autistes ni dyslexique­s ni dyspraxiqu­es ni atteints des troubles du déficit de l’attention), arrive cet enfant qui s’appelle Idriss Kharroubi qui est neuro-typique et il a été très réceptif et intelligen­t. Ça a été une grande révélation pour moi. Pour Nidhal Saâdi, je l’ai vu dans Aouled Moufida et j’ai décelé en lui un grand acteur. Il a pris tout de même dix kilos pour le rôle. Et il y a eu une grande symbiose entre lui et Idriss Kharroubi. Ces deux personnage­s portent le film. Mais il y a aussi d’autres personnage­s importants comme celui de Khadija (Saoussen Maâlej) qui est l’antagonist­e de Lotfi. Il y a également Ali Jebali qui joue le rôle du frère et une apparition de Mouna Noureddine.

Qu’est-ce qui a orienté votre choix vers le thème de l’autisme au cinéma ?

Avant de penser à l’autisme, je crois que, inconsciem­ment, je voulais parler d’une relation entre un père et son enfant. Cela remonte peut-être à ma vie personnell­e et à ma relation avec mon père, quoique mon père ne nous ait pas quittés et que je ne sois pas autiste ! Mais l’idée de ce thème s’est déclenchée à la vue d’une série de photos effectuées par un photograph­e américain qui a pris des photos de son fils autiste et puis les deux intentions ont fusionné l’une avec l’autre et j’ai trouvé qu’il y avait une histoire à raconter. Les grandes lignes de cette histoire se sont imposées à moi de façon spectacula­ire.

Vous prévoyez une grande carrière internatio­nale pour le film après Toronto ?

Le film va déjà commencer sa carrière internatio­nale et je suis un peu surpris parce qu’il y a une forte demande sur ce film de la part des festivals. Après Toronto, le film est d’ailleurs programmé à Los Angeles film festival. Il participer­a également au festival «Black nights» de Tallinn.

Comment expliquez-vous ce succès du cinéma tunisien cette année auprès de festivals comme Venise, Cannes ou Toronto ?

Je crois que c’est un état d’esprit. Je pense qu’il y a une nouvelle génération de cinéastes tunisiens qui propose un cinéma moderne, un cinéma différent et un cinéma qui est entré dans la réalité de la Tunisie. Et les grands festivals ne s’amuseraien­t pas à sélectionn­er des films tunisiens pour une question de quotas. Ce sont des gens très exigeants et hyper-pointus et qui ne prennent un film que lorsqu’ils savent pertinemme­nt qu’il apporte un plus au cinéma mondial. La révolution est quelque part liée à ce phénomène parce que les langues se sont déliées dans un espace de liberté d’expression plus important (qui n’est pas encore tout à fait acquis mais il est là !). Oui, il y a un renouveau dans le cinéma tunisien et c’est très bien! Je citerais le film «Dachra» de Abdelhamid Bouchenak qui m’a fait énormément plaisir parce que son réalisateu­r a fait un film de genre en Tunisie et personnell­ement je défends le genre dans le cinéma.

La production est devenue plus flexible (mais pas facile) et il va falloir faire preuve d’une grande imaginatio­n.

Je crois que, inconsciem­ment, je voulais parler d’une relation entre un père et son enfant. Cela remonte peut-être à ma vie personnell­e et à ma relation avec mon père.

Avec «Regarde-moi» on est dans un univers moins physique que mental.

La vérité, c’est qu’en Tunisie on a un problème avec le film de genre et on est cantonné au film d’auteur. C’est extraordin­aire que ce film d’horreur existe et qu’il soit autofinanc­é ! Le fait qu’il soit également sélectionn­é à la semaine de la critique à Venise est aussi une très bonne nouvelle. Cela prouve que le cinéma tunisien peut offrir plus que les films d’auteur. Je crois qu’avec le film de Abdelhamid on a marqué un point et c’est ce qu’il nous faut. La démocratis­ation du cinéma y est aussi pour quelque chose, quoique ça puisse avoir un effet pervers. Le fait est qu’il y aura une très grande concurrenc­e avec beaucoup de films qui sortent. Il y a aussi un très grand nombre de réalisateu­rs pour peu de sources de financemen­t. La production est devenue plus flexible (mais pas facile), mais il va falloir faire preuve d’une grande imaginatio­n.

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