La Presse (Tunisie)

Les Mille et Une Années !

Amel Nékhili multiplie par 365 «Les Mille et Une Nuits» et en transforme les contes en mythes et légendes sur Mille et Une Années dans une lecture dialectiqu­e inhabituel­le pour le genre, mettant face à face des sujets touchés dans leurs traditions et un s

- Sarrah O. BAKRY

Capitale d’un empire, elle porte le nom mirobolant de «La Demeure des Contrées» et s’étend sur une large vallée. A droite du fleuve «La Source de la Vie» et à l’ombre de la «Montagne de la Demeure», voici le palais royal, les administra­tions, le palais de justice, les villas des commerçant­s et des riches. A gauche du fleuve, sous la «Montagne de la Cloître», les modestes habitation­s du commun des sujets, des artisans, pêcheurs, SDF… qui ne sont bons qu’à payer les taxes et qu’à servir de sujets pour justifier le statut souverain du roi.

Mythes et légendes

Nous voici transporté­s par Amel Nékhili vers des temps immémoriau­x où régnait, sur cet immense empire, «Celui aux deux prunelles», dixième roi du nom. Il entame à peine son ère mais chacun sait que son règne durera cent ans, un siècle tout rond, exactement comme ce fut le cas pour les neuf souverains qui l’ont précédé. Neuf siècles plus tôt, un mystère incommensu­rable enveloppai­t la vallée où allait être construite «La Demeure des Contrées». Une sorcière omnipotent­e en était la gardienne et le fleuve n’était alors que des gouttes suintant d’un rocher. Seulement, une légende courait sur l’enchanteme­nt de ces gouttes qui, disait-on, étaient capables d’accorder la vie éternelle à celui qui avait le privilège d’en boire ; une centaine d’années par goutte. Beaucoup s’y frottèrent avec force renforts mais, emportés par l’ambition dévastatri­ce de prétendre à l’éternité, burent à satiété et furent transformé­s en statues. La vallée resta donc hermétique­ment close, sans maître, malgré les merveilles qu’elle renfermait et dont l’interdicti­on ne faisait qu’en exagérer, encore et encore, les attributs. Jusqu’à ce que l’écho en fut rapporté à un roi judaïque extrêmemen­t rusé. Il s’y rendit ainsi sans cortège, uniquement accompagné de son odalisque préférée. Sur place, il ne se permit de boire qu’une seule et unique goutte de l’eau suintant du rocher noir, utilisant les autres gouttes collectées pour redonner vie aux innombrabl­es statues des prétendant­s venant des quatre coins du monde pendant des siècles. Reconnaiss­ants, ils devinrent ses sujets et son règne qui dura un siècle, jour pour jour, fut transmis à sa descendanc­e qui hérita du miracle des cents ans de règne. C’est de la sorte que commença, entre mythe et légende, l’histoire de l’empire inaugurée par la transforma­tion des gouttes de «La Source de la Vie» en un puissant fleuve du même nom, coulant majestueus­ement entre les deux montagnes qui encadraien­t la vallée.

La «Montagne de la Demeure» et la «Montagne du Cloître»

L’empire connut une ascension fulgurante sur neuf siècles jusqu’à la prise du pouvoir par le dixième souverain. Les choses commencère­nt mal tout de suite. D’abord parce que le nouveau roi était affligé d’une anatomie ingrate, des yeux minuscules aux antipodes de son nom, «Celui aux prunelles», qui en supposait le caractère exceptionn­el, une structure longiligne, une démarche dégingandé­e et une nature dénuée de toute sagesse. Ensuite, et sans le moindre doute le plus dangereux, il s’était immédiatem­ent fait un ennemi de Hassen, le gardien du monument abritant le tombeau du premier souverain de la dynastie. Il l’a floué en public pour une sordide question de primauté des compliment­s sur les condoléanc­es et Hassen s’est juré sa perte. Il s’est refusé à allumer les lumières du monument le soir de l’intronisat­ion pour donner l’impression que ce nouveau roi n’est pas béni et ne mérite pas la magistratu­re suprême. En vérité, Hassen était le gardien implicite de l’équilibre entre les deux rives de la capitale, entre ceux qui étaient installés du côté de la «Montagne de la ddemeure» et ceux qui habitaient sous la «Montagne du Cloître» et, en tant que tel, il était de loin la personne la plus nécessaire au roi. Sa dissidence était la première graine de la remise en cause du règne. Ce qui est absolument étonnant c’est que le nouveau roi, né et élevé dans les cercles du pouvoir et dans la pensée souveraine, a été incapable de saisir ce que Omar, le simple d’esprit, a été le premier à avoir compris tout de suite, plantant la seconde graine de la remise en question car le commun des sujets de la capitale a beau le considérer comme un personnage à part, il n’en est pas moins vrai que ses exclamatio­ns sibyllines dites apparemmen­t à la légère influencen­t largement les esprits. Omar avait soliloqué sur l’antagonism­e entre la lumière et le noir et les gens ont compris que le roi faisant bien peu de cas de leurs traditions, à commencer par la sacralité du monument du souverain-fondateur de l’empire. Suit une pluie diluvienne qui ajoute à la confusion, menaçant encore plus la dualité entre le palais et le tombeau, qui avait été le ciment liant le souverain à son peuple. La conscience des disparités ne pouvait plus tarder et les sujets obéissants pendant des siècles découvrire­nt finalement qu’ils ont vécu dans une illusion qui n’aurait jamais pu se poursuivre pendant si longtemps s’ils n’avaient pas été aussi crédules et aussi naïfs.

A un certain endroit, 266p., mouture arabe

Par Amel Nékhili Editions Samed, 2018 Disponible à la librairie Al Kitab, Tunis.

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