La Presse (Tunisie)

Cinq premiers romans qu’il faut avoir lus

Quatre premiers romans sur les 381 romans français prévus dans cette rentrée 2018, cette profusion de nouveaux arrivants n’avait pas atteint un tel niveau depuis 2007 ! Une bonne nouvelle, qui s’accompagne d’une autre tout aussi bonne : nombre de ces prem

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«Là où les chiens aboient par la queue» (Liana Levi). Premier roman d’estelle-sarah Bulle, c’est l’histoire d’une famille guadeloupé­enne, à travers laquelle la romancière embrasse l’histoire des milliers d’antillais, venus dans les années 60-70 pour s’installer en métropole. Pourquoi on a aimé : parce qu’on en apprend beaucoup sur l’histoire mal connue des Antillais, et aussi parce que ce premier roman est écrit dans un mélange de très beau français littéraire et de créole, d’une fluidité incroyable, comme une merveilleu­se et suffisante réponse à la question du métissage, posée dans les premières pages du livre.

«La vérité sort de la bouche du cheval», de Meryem Alaoui qui raconte la vie d’une jeune femme marocaine, contrainte de se prostituer pour survivre et nourrir sa fille. La vie suit son cours pour Jmiaa, dans ce quartier de Casablanca, avec des hauts et des bas, entre le «travail», les virées nocturnes bien arrosées avec son amoureux Chaïba et ses copains, les palabres, rigolades avec les copines, et la télévision. Jusqu’au jour où se pointe dans sa vie une certaine Chadlia, que Jmiaa, pas avare d’images hilarantes pour décrire le monde, surnomme aussitôt «Bouche de cheval». La jeune femme est en repérage dans le quartier pour préparer son long-métrage. Elle attend de Jmiaa qu’elle lui décrive sa vie, le quartier, les gens. Jmiaa se prête au jeu sans trop savoir où tout cela va la mener...

Pourquoi on a aimé : parce que le personnage de Jmiaa est un ouragan, qu’elle raconte son quotidien, son quartier, sa vie, avec une verve inimitable, un humour décoiffant, une énergie et un optimisme à toute épreuve, et ce, malgré les difficulté­s de la vie. Pas de pathos. Pas de victimisat­ion. Pas de jugement moral. Pas de tabou. Et pourtant, «La vérité sort de la bouche du cheval» est un roman hautement politique, qui jette sur le Maroc d’aujourd’hui un regard aiguisé, sans concession. La primo-romancière déploie son récit dans une écriture foisonnant­e, inventive, en travaillan­t cette langue orale, un français de là-bas, mâtiné de mots arabes, d’expression­s imagées. Une langue inventive, d’une vitalité réjouissan­te ! «La vraie vie», d’adeline Dieudonné (L’iconoclast­e) L’histoire : un quartier pavillonna­ire, un papa, une maman et deux enfants, une maison, un jardin. Toutes les apparences d’une vie ordinaire, dans une famille ordinaire. Entrons dans la maison : «Quatre chambres. La mienne, celle de mon petit frère Gilles, celle de mes parents et celle des cadavres.» Il faut lire ce livre pour découvrir ce qui se cache dans cette chambre des cadavres… Pourquoi on a aimé : l’histoire est racontée par la jeune fille. Adeline Dieudonné déroule son récit avec une implacable efficacité, en peu de mots, constructi­on impeccable (elle dit avoir lu tous les livres de Stephen King, ça doit être pour ça!). Dès la première phrase, elle nous happe, nous attache à ce magnifique personnage de jeune fille en constructi­on. Intelligen­te, sensuelle, courageuse, avec un instinct de vie à toute épreuve. Ce roman est autant un thriller qu’une chronique sociale et une ode à la féminité.

«K.O.», d’hector Mathis L’histoire : Paris. Date indétermin­ée, Sitam a fui Paris en proie au chaos. Les fusillades et les morts, «qui tombaient comme des quilles, chassés, traqués par les balles sifflantes, vulgaires, mortelles, dans la poitrine, le dos, déchirant les muscles, faisant chuter les corps».on pense au 13 novembre. Forcément. Avec son amoureuse, la Môme Capu, le jeune homme est retourné à La Grisâtre, c’est comme ça qu’il nomme sa banlieue, celle où il a grandi. Ils s’y bricolent une vie. Retrouvail­les avec Benji, un vieux copain, anarchiste et beau parleur, un peu filou aussi. La mère Flauchat, la patronne de la brasserie où il travaille embauche Sitam. Et puis, Benji leur propose un coup d’enfer. Un truc qui les sortirait définitive­ment de la mouise. Mais l’affaire ne tourne pas comme prévu. Il faut à nouveau s’enfuir. Cette fois, ce sera Amsterdam. Là-dessus, Sitam tombe malade. Une fois encore, il s’enfuit… Pourquoi on a aimé : «K.O.» est un livre engagé, qui décrit un monde en décomposit­ion, une «époque sans génie». Le royaume des images, de l’illusion, du leurre, et la violence qui se déploie comme une contagion, plongeant le monde dans le chaos. «K.O.» est un roman dans lequel il faut entrer à petits pas pour se laisser apprivoise­r par le style. Une langue qui tient autant de la gouaille d’arletty — ici on dit ‘oseille’, ‘la môme’, la ‘gnôle’ et le ‘palpitant’— que d’un beat de rap bien scandé. Phrases courtes, raccourcis audacieux, images inattendue­s, un sens aigu de la formule avec des accents de slogans… Ce jeune romancier (25 ans, il fait partie des plus jeunes de cette rentrée) vient de la musique, et ça s’entend. Il rejoint cette famille du rap tombée en littératur­e, avec cette manière engagée et concrète de s’emparer des mots, de la matière (piochée autant dans la culture classique que dans la rue), de la mixer, de la sampler, de jouer autant sur le sens que sur les sonorités des mots, pour en faire littératur­e. «Concours pour le Paradis», de Clélia Renucci

L’histoire : vous faites peut-être partie de ces millions de visiteurs qui ont admiré «Le Paradis» dans la grande salle du Conseil du palais des doges à Venise. Pressé par la foule, entre place Saint-marc et pont des Soupirs, vous ne vous êtes peut-être pas attardé devant cette toile monumental­e de Tintoret, qui mérite mieux qu’un arrêt : un récit. Clélia Renucci, dont c’est, à 33 ans, le premier roman, nous conte cette histoire avec maestria: le XVIE siècle de Titien et Véronèse. Les deux peintres sont les héros principaux de cette fiction, scandée par les coups de théâtre et les rivalités entre artistes… Pourquoi on a aimé : intrigues et beautés fatales, masques et bergamasqu­es, génies et talents mineurs défilent sous la plume habile de la néo-romancière qui sait forcer le trait où il convient. “Concours pour le Paradis” nous offre, sans bouger de notre lit, un délicieux voyage artistique au coeur de Venise, carnaval compris.

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