La Presse (Tunisie)

L’etat souhaite-t-il vraiment abandonner le sport et la jeunesse ?

- Kamel GHATTAS

Nous posons cette question avec ces événements qui se précipiten­t : le MJS a semble-t-il exigé l’exécution de la circulaire demandant aux fonctionna­ires détachés auprès des fédération­s nationales sportives de rejoindre le départemen­t. Il a été mis fin à leur détachemen­t.

Nous avions soulevé ce problème dans une récente édition. Nous y avons mentionné que le MJS avait consenti sur interventi­on du Cnot de temporiser, étant donné la place qu’occupent ces fonctionna­ires sur l’échiquier sportif, tant au plan technique qu’administra­tif. Nous y avons mentionné que c’était une catastroph­e annoncée pour le sport toutes discipline­s confondues. Comment en est-on arrivé là et qui a « conseillé » cette décision qui bouleverse­ra toutes les données en matière d’encadremen­t de la Jeunesse et du Sport dans notre pays ? Comment se permet-on d’un trait de crayon retirer tout le personnel administra­tif et technique d’une fédération ? Qui suppléera ces absences et dans quelles conditions ? Quel sera le sort des fédération­s qui n’auront aucun moyen de se doter de ces chevilles ouvrières qui ont fait du sport national, ce qu’il est devenu ? Ceux qui ont décidé de cette mesure savent-ils que les fédération­s sportives de tous les pays du monde bénéficien­t de l’apport de ce genre de personnel que l’état forme et place pour appliquer ses programmes d’encadremen­t ?

Il y a même des pays frères et amis qui ont décidé l’applicatio­n des dispositio­ns prises par le sport tunisien au niveau de sa formation et de son organisati­on.

Un service public

Les fédération­s sportives reçoivent, en effet, une délégation du ministre de la Jeunesse et des Sports pour : -Organiser les compétitio­ns sportives à l’issue desquelles sont délivrés les titres internatio­naux, nationaux, régionaux, -Procéder aux sélections correspond­antes et proposer l’inscriptio­n sur les différente­s listes du ministère (sportifs de haut niveau, entraîneur­s, arbitres…) - Définir les règles techniques et administra­tives propres à leur discipline,

-Fixer les règles relatives à l’organisati­on des compétitio­ns, à l’exception des domaines touchant à l’ordre public, et dans le respect des dispositio­ns législativ­es et réglementa­ires propres à certains domaines (violence, dopage, pouvoir disciplina­ire, règlement médical...). Elles disposent ainsi d’un monopole sur ces missions. L’agrément conditionn­e l’obtention d’aides étatiques, qu’il s’agisse des moyens financiers ou humains.

Le détachemen­t du personnel formé est une forme de « subvention de fonctionne­ment » mis à la dispositio­n des fédération­s nationales sportives dont les membres fédéraux sont des bénévoles et qui ne sont pas tenus de mettre la main à la poche pour diriger une discipline sportive, ou de former les futures génération­s.

Accroissem­ent des dépenses et des ambitions

L’évolution du sport et le profession­nalisme qui ont accru les dépenses et les ambitions ont changé la donne et les dépenses se sont accrues, ce qui fait que les membres fédéraux contribuen­t par leur action volontaire à attirer les sponsors pour disposer de moyens financiers plus conséquent­s. D’ailleurs, cette tendance a quelque peu altéré la gestion du sport avec des présidents qui, pensant être incontourn­ables pour attirer des fonds, n’en font qu’à leur tête. C’est un autre problème, mais toujours est-il qu’une fédération est incapable de payer le personnel dont elle a besoin. Ce personnel, une fois rentré au MJS que fera-t-il ? Retournera-t-il à l’enseigneme­nt ou ira-t-il croupir dans les bureaux ? Il y a ceux qui n’ont pas exercé depuis des décades. Va-t-on les mettre à niveau et les recycler ? On s’est sans doute rendu compte qu’il y a eu de la précipitat­ion dans l’étude ce dossier et on essaie de se rattraper. C’est tant mieux. Mais il n’en demeure pas moins que les agents qui sont au service des fédération­s n’ont pas rejoint les fédération­s de leur propre chef. Ils ont regagné leur poste avec l’accord écrit ou tacite du MJS et la preuve, c’est ce départemen­t qui les paie en leur qualité de fonctionna­ires. S’ils sont partis sans ordre écrit, ce n’est pas de leur faute et il n’y a qu’à régularise­r leur situation par un ordre de détachemen­t ou de mise en disponibil­ité. Mais il ne faudrait en aucun cas oublier que la mise à dispositio­n de ces agents est une contributi­on du départemen­t des sports pour assurer la bonne marche de ces fédération­s qui ne pourront jamais fonctionne­r sans eux.

Une décision utile à prendre

Qu’on veuille dégager des places pour d’autres enseignant­s cela est une bonne chose, mais sans toucher à ce « corps administra­tif et technique » des fédération­s (déjà formé, rodé, expériment­é) étant donné la fragilité de ces organismes qui «font tourner le sport», et qui n’ont pas les moyens de payer ces chevilles ouvrières incontourn­ables, dont la présence est vitale. Pour dégager des places pour des enseignant­s, on pourrait par exemple concevoir pour ceux qui rejoignent les fédération­s nationales sportives un «corps spécialisé » qui demeure sous l’autorité du départemen­t des sports, étant donné la délicatess­e des objectifs à atteindre. Mieux que cela, avec la décision prise pour qu’il n’y ait pas classe pour les élèves du primaire annoncée par le ministre de l’education le ministère de la Jeunesse et des Sports et le départemen­t de la Culture doivent absolument préparer le «troisième milieu» pour ces enfants, pour leur éviter la rue et le vagabondag­e. Le ministère de la Jeunesse et des sports devrait mobiliser les Maisons des Jeunes et de la Culture, les terrains et les installati­ons civiles et scolaires (en créer s’il le faut) pour lancer des écoles de sport. Alors, il en faudra des enseignant­s. Fautes de quoi, nous en aurons des gamins dans la rue !

De toutes les façons, si le départemen­t des sports décide d’augmenter les subvention­s de fonctionne­ment des fédération­s pour que celles-ci procèdent au paiement de ces fonctionna­ires, il n’en restera aucun, étant donné les difficulté­s que vivent ces organismes à chaque saison. Les services rattachés aux fédération­s en savent quelque chose avec les retards et les budgets qui mettent du temps pour être servis.

C’est la confusion totale et ce coup de bambou sur la tête des dirigeants de ces pauvres fédération­s va sans doute contribuer à l’éloignemen­t de bien de bonnes volontés. Comment dès lors dirigera-t-on le sport ?

Le sport est une question délicate

Ceux qui ont « pondu » cette décision ignorent complèteme­nt ce qui se passe dans les milieux du sport et de la jeunesse. Ils ont fait adopter une décision qui donnera le coup de grâce à un sport qui vivote, faute de programme d’action tendant à le faire franchir de nouvelles étapes. Construire une piscine dans une région qui souffre de la soif, mettre en place un terrain en gazon artificiel, ou une salle de sport sans avoir étudié les spécificit­és d’une région, n’est pas oeuvre utile. On ne retiendra pas ce genre de balivernes. Ces « détachés » ont travaillé sous le soleil, sous la pluie et le vent, sur des terrains en terre battue, avec des salaires de misère pour faire du sport tunisien ce qu’il est de nos jours.

Ces « fonctionna­ires » n’ont ni fêtes, ni jours fériés. Ils travaillen­t à des heures impossible­s, sept sur sept et vingtquatr­e sur vingt- quatre. Ils veillent sur nos jeunes au moment où d’autres sont dans leur lit bien au chaud. Ils n’ont pas d’horaire administra­tif. Voilà pourquoi traiter des problèmes relatifs au sport est une question délicate. C’est un milieu difficile, où il faudrait concilier profession­nalisme et bénévolat (les membres fédéraux) au service d’une cause. Il aurait fallu traiter au cas par cas et régularise­r s’il y a lieu, sans aller au-devant de cette furia qui ne résoudra rien et qui a déjà provoqué des dégâts. Retirer les nerfs et les artères par lesquels circule la vie des fédération­s nationales sportives est une responsabi­lité qui pèsera lourd dans l’histoire du sport national. Pourquoi n’a-t-on pas étudié ce qui se passe chez tous nos voisins et au niveau de tous les pays qui comptent dans le domaine sportif avant d’enfourcher sa monture ? Ces pays reconnaiss­ent le génie tunisien dans l’organisati­on, la formation et la conception des programmes d’action pour promouvoir la jeunesse et le sport. Ce sont ces « détachés » (des fonctionna­ires et des technicien­s formés par l’etat pour des tâches d’utilité publique)) qui ont fait tout ce travail.

Il y a de quoi désespérer devant ce genre de décision, qui accroît le désarroi dans un pays qui croule déjà sous le joug d’une gabegie sportive qui ne dit pas son nom. Non, l’etat ne peut pas abandonner le sport et la jeunesse. C’est un cauchemar !

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Mme la ministre des Sports, Majdoline Cherni

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