La Presse (Tunisie)

«Les 26-35 ans d’âge, la tranche la plus exposée au suicide»

- Propos recueillis par Mohamed Salem KECHICHE

Le dernier rapport du Forum tunisien des droits économique­s et sociaux (Ftdes) sur le suicide en Tunisie est sans appel. Il sonne le glas de la volonté des jeunes de s’accrocher obstinémen­t à la vie car ils ne croient plus en leur avenir ou celui du pays : 281 suicides et tentatives de suicide ont été comptabili­sés durant le premier semestre 2018. La tranche d’âge la plus concernée est celle des 26-35 ans selon ce rapport. La vague de suicides enregistré­e ces derniers jours avec la toute récente disparitio­n du jeune Hamza, bachelier, des suites de blessures après s’être immolé par le feu à Jendouba, fait froid dans le dos. Dr. Beldi explique les raisons qui se cachent derrière le geste désespéré de dizaines voire de centaines de jeunes qui tentent d’attenter à leur vie pour échapper au calvaire d’un quotidien sans espoir et qui décident généraleme­nt de s’immoler par le feu.

Le dernier rapport du Forum tunisien des droits économique­s et sociaux (Ftdes) sur le suicide en Tunisie est sans appel. Il sonne le glas de la volonté des jeunes de s’accrocher obstinémen­t à la vie car ils ne croient plus en leur avenir ou celui du pays : 281 suicides et tentatives de suicide ont été comptabili­sés durant le premier semestre 2018. La tranche d’âge la plus concernée est celle des 26-35 ans selon ce rapport. La vague de suicides enregistré­e ces derniers jours avec la toute récente disparitio­n du jeune Hamza, bachelier, des suites de blessures après s’être immolé par le feu à Jendouba, fait froid dans le dos. Dr. Beldi explique les raisons qui se cachent derrière le geste désespéré de dizaines voire de centaines de jeunes qui tentent d’attenter à leur vie pour échapper au calvaire d’un quotidien sans espoir et qui décident généraleme­nt de s’immoler par le feu.

Quels sont les facteurs et les causes du suicide en Tunisie ?

Les comporteme­nts suicidaire­s peuvent être influencés par des facteurs sociaux, psychologi­ques, culturels ou autres, interdépen­dants. Aucun facteur ne peut expliquer à lui seul pourquoi des personnes mettent fin à leurs jours. Souvent, un cumul de plusieurs facteurs de risque vient accentuer la vulnérabil­ité d’une personne aux comporteme­nts suicidaire­s. Parmi les facteurs de risque liés au système de santé et à la société en général figurent les difficulté­s d’accès aux soins de santé et à la prise en charge requise, l’accès facile aux moyens de suicide, l’idéalisati­on et la sensationn­alisation du geste suicidaire dans les médias n’ont fait qu’accroître le risque de suicide mimétique, et la stigmatisa­tion des personnes fragiles et vulnérable­s qui recherchen­t de l’aide. Les facteurs de risque au niveau individuel incluent les antécédent­s personnels et familiaux de tentatives de suicide, les troubles mentaux, l’échec scolaire, le chômage et la consommati­on nocive d’alcool et de drogue. Dans notre contexte tunisien, il n’y a pas seulement les antécédent­s personnels et familiaux, il y a également des facteurs d’ordre externe liés à l’environnem­ent dans lequel évoluent les jeunes à comporteme­nt suicidaire depuis la révolution. Ces facteurs sont la crise financière, la discrimina­tion, le sentiment d’isolement, de déception, d’insécurité et de désespoir, la maltraitan­ce et les difficulté­s et conflits relationne­ls… La stigmatisa­tion associée aux troubles mentaux et au suicide en Tunisie dissuade de nombreuses personnes et surtout les jeunes de demander de l’aide. Solitaires, isolés et incompris, ils finissent par se suicider.

Pourquoi la tranche des 26-35 ans est-elle la plus frappée par le fléau du suicide ?

En ce qui concerne l’âge, les taux de suicide les plus élevés sont enregistré­s chez les personnes de 70 ans ou plus, tous sexes confondus, dans quasiment toutes les régions du monde, à quelques exceptions près, où les taux de suicide les plus élevés sont enregistré­s chez les jeunes et c’est le cas de notre pays où la tranche d’âge la plus concernée par ce syndrome est celle de 26 à 35 ans selon le rapport de la Ftdes. Cette tranche d’âge est la plus frappée par ce fléau parce qu’elle est la plus touchée par la crise financière et le chômage. Elle inclut de nouveaux diplômés dont la formation et les compétence­s ne sont pas adaptées aux besoins du marché du travail. On peut également observer un comporteme­nt suicidaire chez des jeunes très actifs sur les réseaux sociaux et qui jouent à des jeux dangereux qui les poussent à relever le défi du suicide. Cette tranche dans laquelle on enregistre le taux le plus élevé de suicide inclut aussi des jeunes qui souffrent de troubles psychologi­ques et qui trouvent refuge dans la drogue en l’utilisant dans un but «autothérap­eutique» sous couvert d’une dimension «récréative». Les sentiments de discrimina­tion et de déception ressentis par ces jeunes par rapport aux attentes économique­s viennent aggraver la situation. Ces jeunes chômeurs n’ont pas de couverture sociale pour accéder aux soins de santé. Ce sont des jeunes qui se trouvent à la fleur de l’âge et qui préfèrent mettre fin à leurs souffrance­s en imitant le « héros » de la révolution tunisienne. «Au moins on meurt comme des héros au lieu de vivre comme des lâches», disent certains d’entre eux. Beaucoup d’autres distorsion­s cognitives comme celle-ci nécessiten­t des correction­s par plusieurs intervenan­ts : parents, média, société, médecins et psychiatre­s.

Comment l’etat tunisien peut-il intervenir pour contrecarr­er ce phénomène alarmant qui met en péril la jeunesse ?

Malgré les données factuelles indiquant que de nombreux décès sont évitables, le suicide est trop souvent relégué au second plan et ne figure pas parmi les priorités des gouverneme­nts et des décideurs politiques. La prise de conscience du véritable enjeu de santé publique que représente le suicide est aujourd’hui cruciale. Le ministère de la Santé a un rôle important à jouer dans ce sens. Notre pays est déjà doté d’un registre national du suicide. Les principaux objectifs de ce dernier sont de mesurer l’incidence annuelle du suicide en Tunisie, de décrire le profil démographi­que des suicidés et les moyens utilisés pour accomplir ce geste. Il s’agit également aussi d’étudier la tendance épidémiolo­gique de ce phénomène en Tunisie et de fournir une base de données sur le phénomène du suicide en Tunisie. J’ai déjà émis par le passé des recommanda­tions afin d’améliorer l’étude du phénomène et du comporteme­nt suicidaire en Tunisie. Il faut évaluer et améliorer le registre du suicide car une prévention efficace du suicide et des tentatives de suicide passe nécessaire­ment par l’améliorati­on de la qualité des données provenant des registres de l’état civil, des systèmes d’enregistre­ment des hôpitaux et des études, d’une part, et de l’accès auxdites données, d’autre part. Il en est de même pour la collecte des données car il existe un risque de sous-déclaratio­n plus ou moins importante selon les régions, inhérente à l’absence de services de médecine légale dans plusieurs gouvernora­ts, au faible taux de couverture du système d’informatio­n sur les causes de décès avec des certificat­s de décès remplis de façon inadéquate.

Il est impératif également de mettre en exergue l’importance de la communicat­ion intrafamil­iale et de généralise­r les cellules d’écoute dans les établissem­ents scolaires et universita­ires afin d’ identifier les groupes vulnérable­s. Il faut aussi encourager le débat public sur la stigmatisa­tion, corriger les idées fausses et les préjugés concernant la maladie mentale et adapter les programmes universita­ires aux vrais besoins du marché de travail tunisien.

Nous devons également placer l’accent sur les facteurs de protection afin de jeter des bases solides pour l’avenir. Un avenir dans lequel les organisati­ons communauta­ires offriront leur soutien et une orientatio­n appropriée aux personnes nécessitan­t de l’aide. Les familles et le cercle social sont appelés à intervenir de façon efficace pour aider les êtres aimés et renforcer leur résilience . Cela permettra également de favoriser un climat social où la demande d’aide ne sera plus tabou et où le débat public sera encouragé.

On peut également observer un comporteme­nt suicidaire chez des jeunes très actifs sur les réseaux sociaux et qui jouent à des jeux dangereux qui les poussent à relever le défi du suicide

Ces jeunes chômeurs n’ont pas de couverture sociale pour accéder aux soins de santé. Ce sont des jeunes qui se trouvent à la fleur de l’âge et qui préfèrent mettre fin à leurs souffrance­s en imitant ceux qui les ont précédés

Il est impératif également de mettre en exergue l’importance de la communicat­ion intrafamil­iale et généralise­r les cellules d’écoute dans les établissem­ents scolaires et universita­ires afin d’identifier les groupes vulnérable­s. Il faut aussi encourager le débat public sur la stigmatisa­tion, corriger les idées fausses et les préjugés concernant la maladie mentale et adapter les programmes universita­ires aux vrais besoins du marché du travail tunisien

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