La Presse (Tunisie)

CIRCULAIRE RELATIVE À LA PRISE EN CHARGE DES ENFANTS NÉS HORS MARIAGE L’ordre des médecins ne suit pas

«On ne peut pas faire de la délation ni bafouer le secret profession­nel, ceci est intolérabl­e», a déclaré, au journal La Presse, le président du Conseil de l’ordre des médecins.

- Samir DRIDI

«On ne peut pas faire de la délation ni bafouer le secret profession­nel, ceci est intolérabl­e», a déclaré, au journal La Presse, le président du Conseil de l’ordre des médecins.

La circulaire publiée le 10 août dernier par le ministère de la Santé relative à la prise en charge des enfants nés en dehors du cadre du mariage et rappelant aux médecins et sages-femmes l’obligation de déclarer aux autorités de tutelle les grossesses et les naissances hors mariage pour les mères célibatair­es qui ne veulent pas garder leurs nouveau-nés, a jeté un pavé dans la mare et provoqué l’ire du Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) qui a répliqué par le biais d’un communiqué dans lequel il a qualifié cette note de « non constituti­onnelle » et « inacceptab­le » car violant le secret profession­nel, les droits individuel­s les plus élémentair­es et la protection des données personnell­es. Le Cnom rappelle que le secret profession­nel s’impose à tous les médecins sauf dérogation établie par la loi (article 8) selon le Code de déontologi­e médicale tunisien (décret 93-1155 du 17 mai 1993) et que sa divulgatio­n les expose aux poursuites judiciaire­s et disciplina­ires. A cette occasion, il a incité les médecins à mieux encadrer ces mères célibatair­es et à les informer sur leurs droits et sur les procédures pour obtenir de l’aide auprès de la commission et des services sociaux si elles le désirent.

Une question d’éthique

Pour mieux voir et lever toute équivoque autour de cette question, on s’est entretenu avec le président du Cnom, Dr Mounir Youssef Makni. Ce dernier a bien expliqué la raison du refus de cette circulaire qui ne date pas d’aujourd’hui mais qui a été publiée depuis 2004 incluant des recommanda­tions salutaires en faveur des femmes célibatair­es et allant dans le sens de la protection des enfants abandonnés, dont la nécessité de considérer ces grossesses comme des cas particulie­rs qu’il faut diriger vers les structures publiques de référence en obstétriqu­e et qui disposent de services en psychologi­e et d’assistance sociale. Selon le Dr Makni, la protection des enfants et de leurs mères est l’un des principes fondamenta­ux du Cnom qui n’a jamais fait de déclaratio­n depuis 2004. «Ce n’est pas à nous de le faire, notre rôle consiste à sensibilis­er les mères célibatair­es pour mieux les orienter et les protéger. Et puis, pour les femmes qui veulent avoir des enfants hors mariage, on n’est pas tenu de les orienter ou de les sensibilis­er, c’est un choix qui entre dans le cadre des libertés individuel­les et les médecins sont tenus par le secret profession­nel», confirme-t-il. Et d’ajouter : «En plus de ma qualité de président du Cnom, je suis gynécologu­e de formation et de métier et je connais mieux que quiconque le fond de ce problème».

«Il est de notre devoir d’informer et de sensibilis­er ces jeunes femmes célibatair­es qui ont dans l’esprit l’hypothèse d’abandonner leurs enfants et les orienter vers les centres d’assistance mais on ne peut pas faire de la délation ni bafouer le secret profession­nel, ceci est intolérabl­e», ajoute-t-il.

Reformuler la circulaire

Le timing de la circulaire publiée par le ministère de la Santé a certes poussé quelques médias (notamment électroniq­ues) à se retourner contre le ministère de tutelle et à sombrer dans des analyses relativeme­nt saugrenues, mais il ne faut pas se perdre en conjecture­s, explique le président du Cnom, il faut plutôt procéder à une lecture historique objective. En 1998, une loi a été décrétée (la loi n° 75 du 28 octobre 1998) dans le cadre de la protection de l’enfance dans le pays. Cette loi a été modifiée en 2003 (loi n°51) en raison de l’augmentati­on du nombre d’enfants abandonnés à l’hôpital Wassila Bourguiba. Plus d’une centaine d’enfants abandonnés se trouvaient dans les couloirs de cet hôpital, ce qui a conduit à la publicatio­n de la circulaire n°64 de 2004 afin de mieux orienter et sensibilis­er les jeunes femmes célibatair­es vers les centres d’assistance sociale .

«Il se pourrait qu’on soit en train de vivre la même situation, d’où cette circulaire qui refait surface en 2018 mais avec une très mauvaise copie qui n’est pas en adéquation avec les changement­s qu’a connus le pays en matière de libertés individuel­les après la révolution. S’il a été question dans cette circulaire d’informer le juge pour enfance, les choses auraient pu prendre une tournure positive».

Et de conclure : «Nous insistons auprès des autorités de tutelle pour qu’elles reformulen­t la circulaire en question. L’intention est bonne en matière de protection mais la formulatio­n est mauvaise, et en cas de reformulat­ion, le problème sera alors résolu».

Le CNOM appelle les médecins à mieux encadrer ces mères célibatair­es et à les informer sur leurs droits et sur les procédures pour obtenir de l’aide auprès de la commission et des services sociaux si elles le désirent.

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Les mères célibatair­es doivent être mieux encadrées
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Les mères célibatair­es doivent être mieux encadrées

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