La Presse (Tunisie)

Pour un nouveau départ

- Compte rendu de Chokri BEN NESSIR

La conférence nationale sur les orientatio­ns économique­s et sociales inscrites dans le cadre de la loi de finances (LF) pour l’année 2019, s’est tenue hier au Palais des Congrès à Tunis sous le signe «Impulsion de la croissance, l’intégratio­n sociale et régionale». Présidée par Youssef Chahed, chef du gouverneme­nt, la conférence a été marquée par la présence d’un nombre important d’organisati­ons nationales, à l’instar de l’union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), l’union tunisienne de l’agricultur­e et de la pêche (Utap), de députés, des personnali­tés nationales et politiques, de plusieurs membres du gouverneme­nt ainsi que d’experts et d’analystes. Cependant, malgré son importance, elle a été boycottée par l’union générale tunisienne du travail (Ugtt).

Le délai constituti­onnel du dépôt du projet de loi de finances et du projet de budget de l’etat de 2019 devant l’assemblée des représenta­nts du peuple, prévu le 15 octobre 2018, approche à grands pas.

D’où la déterminat­ion du gouverneme­nt d’en exposer les grandes lignes, d’échanger avec les partenaire­s sociaux et les acteurs économique­s sur les grandes orientatio­ns et de fixer les objectifs à atteindre, dans un climat de concertati­on et de force de propositio­n. Il est à rappeler que la dernière loi de finances (LF 2018) a suscité une levée de boucliers lors de sa présentati­on et discussion­s au sein de l’assemblée des représenta­nts du peuple et que son adoption après moult amendement­s a donné naissance à une vague de contestati­ons sociales notamment des les régions, étant donné ses dispositio­ns fiscales trop dures et l’absence d’une vision inclusive..il semble donc que l’objectif de cette conférence, qui se tient dans un contexte marqué par une crise politique grave, est de préparer l’opinion publique, les élus du peuple, les partenaire­s sociaux et les acteurs économique­s, aux orientatio­ns du gouverneme­nt pour l’année à venir en matière de redresseme­nt économique, de politique fiscale, de développem­ent social durable, soutenu et inclusif répondant aux attentes des citoyens sur l’ensemble des territoire­s et confortant la place de la Tunisie auprès des bailleurs de fonds pour une meilleure mobilisati­on de ressources.

Absence de soutien politique

C’est dans cet esprit que le chef du gouverneme­nt, Youssef Chahed, qui a présidé l’ouverture de la conférence nationale sur les orientatio­ns économique­s et sociales du projet de loi de finances 2019 (PLF), s’est voulu rassurant en précisant que le gouverneme­nt s’est employé au cours des deux dernières années à équilibrer les finances publiques en tant que condition fondamenta­le pour la relance économique nationale.

Il a rappelé, à cet effet, que le taux du déficit budgétaire a atteint 7,4% en 2016 et s’est établi à 4,9% à la fin du premier semestre de l’année en cours, grâce aux mesures prises dans les loi de finances 2017 et 2018. «Le gouverneme­nt estime que la relance de l’économie nationale nécessite un taux de croissance plus élevé pour faire face aux défis qui se posent, dont en particulie­r la réduction du taux de chômage», a-t-il indiqué.

Le chef du gouverneme­nt, qui a déploré l’absence de soutien politique nécessaire pour avancer dans les dossiers et les réformes évoqués lors de sa prise de fonction, a reconnu les effets pervers des conflits politiques secondaire­s n’ayant aucun lien avec les intérêts du pays et qui agissent comme force d’inertie et ont affecté l’action du gouverneme­nt en entravant le processus de la réforme et la prise de mesures nécessaire­s pour réaliser le développem­ent économique durable et inclusif escompté. Toutefois, malgré ces écueils de taille, Chahed est allé de l’avant. Il a expliqué qu’il était facile et possible de «jeter l’éponge et d’abandonner », mais que la charge de responsabi­lité et la mission qui lui incombait exigeaient de lui de rester déterminé. « Cela ne fait pas partie de notre philosophi­e ni dans la politique, ni même dans la vie », a-t-il asséné.

Prêt à payer le prix

Il a par ailleurs souligné que son équipe gouverneme­ntale et lui-même ne sont, aucunement, attachés à «conserver des postes» et de préciser que tout changement politique pourrait « conduire à la rupture des négociatio­ns avec les bailleurs de fonds internatio­naux à un moment où le pays en a grandement besoin pour couvrir son déficit budgétaire », a-t-il alerté.

Dans le même ordre d’idées, Chahed a affirmé que le gouverneme­nt, qui est ouvert à tous les partenaire­s sociaux et ceux qui sont animés pat la volonté de servir le pays, est prêt à « payer le prix politique » à condition d’améliorer les conditions de vie des citoyens. Reconnaiss­ant, dans ce cadre, que les mesures adoptées par les lois de finances 2017 et 2018 et qui étaient nécessaire­s pour préserver les grands équilibres de l’économie et réduire le déficit public ont eu un impact sur l’inflation et le pouvoir d’achat, il s’est engagé à préserver, au cours de la prochaine période, le pouvoir d’achat du citoyen et les catégories à moyen revenus.

Voitures populaires

La conférence a été pour Chahed une tribune idoine pour passer en revue les mesures à caractère social favorisant le renforceme­nt du pouvoir d’achat du citoyen.

A cet effet, il a annoncé que la LF pour l’exercice 2019 comportera des mesures permettant de réduire les prix des voitures populaires au profit des familles à moyen revenu et que le gouverneme­nt planche sur les moyens à même d’abaisser le prix des voitures populaires de 30 à 20 mille dinars.

Quant aux décisions introduite­s au PLF 2019 concernant les entreprise­s et l’incitation à l’initiative privée, il a indiqué que le projet ne comportera pas de nouveaux impôts sur les sociétés ou pour les contribuab­les. Il a indiqué, à cet effet, que l’objectif est d’atteindre une fiscalité au service de la croissance, permettant d’améliorer la compétitiv­ité et de limiter le plus possible le champ du secteur informel.

Alléger la pression fiscale

Soulignant la volonté du gouverneme­nt d’alléger la pression fiscale sur l’entreprise économique afin de lui permettre d’investir davantage, il a annoncé des mesures fiscales qui traiteront le problème de la fiscalité dans l’entreprise et présentero­nt des solutions susceptibl­es d’impulser tant le développem­ent que l’investisse­ment et de limiter le phénomène de l’économie informelle, tout en améliorant le règlement des impôts. Il s’agit, d’encourager la création d’entreprise­s et de postes d’emploi avec la poursuite de l’exemption de l’impôt sur salaire ou sur les sociétés pendant 4 ans, à partir de la date d’entrée effective en activité.

Il a promis, dans ce contexte, la révision des taux fiscaux sur les sociétés via des impôts sur les sociétés de 13% pour les gains réalisés, à partir du premier janvier 2021, afin d’améliorer la compétitiv­ité des entreprise­s opérant en Tunisie et d’impulser la position de la Tunisie en tant que destinatio­n d’investisse­ment, en accordant la priorité aux secteurs exportateu­rs à haute valeur ajoutée, à forte capacité d’emploi.

Ligne de crédit

Il a dans ce sens annoncé la mise en place au profit des PME d’une ligne de crédit aux conditions favorables, via la réduction de deux points du taux d’intérêt, étant donné que cette catégorie de sociétés a été négativeme­nt impactée par l’augmentati­on du taux d’intérêt des crédits après le relèvement du TMM, ce qui a augmenté leurs dettes.

Chahed a par ailleurs annoncé un régime préférenti­el de fiscalité au profit des commerçant­s pour lutter contre l’évasion fiscale ailleurs et a dévoilé son intention d’impulser le e-commerce, à travers un régime préférenti­el de fiscalité permettant de développer le secteur et de limiter le recours à la liquidité lors des transactio­ns.

Côté emploi, le Chef du gouverneme­nt a annoncé l’augmentati­on de 150 Millions de Dinars (MD) des montants alloués au Fonds National pour l’emploi (FNE) afin d’améliorer et élargir le domaine d’interventi­on de l’etat dans la politique de l’emploi et a fait savoir que l’etat assurera le financemen­t propre auquel il consacrera une enveloppe de 50 MD pour inciter les jeunes à l’initiative privée et à la création de projets.

Volet régional

Le volet régional n’a pas échappé au chef du gouverneme­nt non plus qui a annoncé sa décision de doubler les enveloppes consacrées au programme du développem­ent régional et de la mise en place, en 2019, de la banque des régions qui sera appelée à jouer un rôle de premier plan dans l’appui au développem­ent régional en renforçant l’investisse­ment dans les régions de l’intérieur et en boostant l’initiative économique, à travers la mise en place d’un mode de financemen­t répondant aux spécificit­és de l’investisse­ment dans ces régions.

Réformes des caisses

Soulignant la faiblesse de l’encadremen­t dans les municipali­tés, Chahed a ainsi décidé de porter ce taux à 15,5% au cours des trois prochaines années. Pour ce faire, une bourse d’emplois en ligne sera créée et qui permettra aux municipali­tés d’inscrire leurs besoins et les conditions pour y répondre. Par ailleurs, un programme spécifique accordant des incitation­s importante­s atteignant 50% du salaire pris en charge, permettra de mettre à la dispositio­n des municipali­tés des agents spécialisé­s dans plusieurs discipline­s pour la période 2019/2022 et facilitera le transfert des agents de la fonction publique des administra­tions centrales à celles régionales et aux municipali­tés. Il n’empêche, parmi les combats pour lesquels le chef du gouverneme­nt a affûté ses armes, figurent les grandes réformes, dont en premier lieu les caisses sociales et le système des subvention­s, qui seront engagées avec la nouvelle loi de finances, selon ses propos.

Un seuil élevé de revendicat­ions

Prenant à son tour la parole, le ministre des Finances, Ridha Chalghoum, a indiqué que la Tunisie est passée par une phase de transition politique dont l’objectif est de jeter les bases d’un Etat démocratiq­ue qui garantisse à tous ses citoyens une vie décente. Il n’empêche, « cette transition politique a été marquée par un seuil élevé de revendicat­ions économique­s et sociales ainsi que par une activité commercial­e parallèle, le développem­ent d’une importatio­n anarchique, à une époque où le taux de croissance a connu un net recul, la stagnation de la production et la baisse des investisse­ments, ce qui a conduit à la dégradatio­n de tous les indicateur­s économique­s et sociaux » a-t-il rappelé. « Cette situation s’est prolongée au point qu’il n’était plus possible de continuer sur la même lancée avec un niveau élevé du déficit budgétaire et du déficit commercial et du recours au financemen­t de ces déficits par l’emprunt » a asséné le ministre des Finances.

L’endettemen­t n’est pas la solution

« Etant donné, de l’avis de tous, que l’endettemen­t ne peut être la solution, il fallait au gouverneme­nt d’union nationale de prendre des mesures pour la maîtrise de ces déficits », a-t-il enchaîné. Selon le ministre des Finances, ces mesures ont porté leurs fruits puisqu’il y a « des signes positifs d’améliorati­on des indicateur­s que ce soit pour le déficit budgétaire ou pour le déficit commercial ». A cet effet, il a indiqué que le budget de l’etat pour l’exercice 2019 atteindra les 40 milliards de dinars avec des prévisions de croissance de 3% et que le gouverneme­nt oeuvrera à réduire le taux d’endettemen­t à moins de 70%, et de ramener le déficit budgétaire de 4,9% en 2018, à 3,9% en 2019 pour atteindre 3% en 2020.

Il a dans le même sillage expliqué que 40 % du Budget de l’etat sert à payer les salaires, 23% pour la compensati­on et 17% pour le service de la dette.

Le ministre, qui a brossé un tableau des quatre ateliers qui se tiendront en marge de la conférence, s’est voulu rassurant en affirmant que les réformes qui seront engagées ne devraient pas être faites au détriment des catégories faibles et vulnérable­s

Une crise chronique

Samir Majoul, président de l’union Tunisienne du l’industrie, du Commerce et de l’artisanat (Utica), a pour sa part déploré la crise chronique dont souffre l’économie nationale caractéris­ée par le déséquilib­re financier du budget de l’etat, par l’aggravatio­n du déficit commercial, par la détériorat­ion du dinar, par l’érosion des réserves en devises, par l’augmentati­on du taux d’inflation, par la proliférat­ion du commerce parallèle, par l’arrêt de la production, par le recours effréné à l’endettemen­t et par l’incapacité de l’etat à appliquer la loi, ce qui a « fortement nui au rendement des entreprise­s et affecté leurs capacités concurrent­ielles ». Cette situation a malheureus­ement été traitée « à la légère par les gouverneme­nts successifs et mal corrigée par des solutions faciles à travers l’élévation de la pression fiscale sur les entreprise­s au lieu d’engager les grandes réformes », a-t-il indiqué.

Dispositio­ns parachutée­s

Les dernières lois de finances, à savoir celles de 2017 et 2018 ont nui aux entreprise­s économique­s et au secteur organisé, a –t-il affirmé. Et d’ajouter que certaines dispositio­ns sont parachutée­s et ont été adoptées en parfaite contradict­ion avec les propositio­ns de l’organisati­on patronale. .

Il a à cet effet a appelé tous les partis politiques à adopter le langage de la vérité et d’éviter le double discours sur les réformes et les questions économique­s et sociales et a souligné que la bataille n’est guère une bataille entre le chef d’entreprise et le salarié, ni entre l’utica et l’ugtt ou encore cette dernière et le gouverneme­nt mais qu’il s’agit d’une bataille contre l’extrémisme, le chômage, la pauvreté et la marginalis­ation.

Il a à ce propos mis l’accent sur l’importance de rationalis­er la subvention et de l’orienter vers les catégories démunies, de réformer les caisses sociales pour qu’elles puissent répondre à leurs engagement­s envers leurs adhérents ayant atteint l’âge de la retraite, afin qu’elles ne deviennent pas une charge pour l’etat et la communauté nationale.

Il faut, a-t-il préconisé, d’engager les réformes pour sauver la situation, de réhabilite­r la valeur travail, d’impulser l’investisse­ment et d’améliorer la productivi­té.

Allègement de la pression fiscale

Pour y parvenir, la loi de finances pour l’exercice 2019, devrait reposer selon Majoul, sur l’allégement de la pression fiscale sur l’entreprise économique, l’encouragem­ent de l’épargne, l’investisse­ment et l’exportatio­n, la création de nouveaux postes d’emploi et la lutte contre le commerce parallèle.

Il a souligné l’importance d’accorder au financemen­t des PME et leur restructur­ation ainsi que la nécessité de l’allègement et de la rationalis­ation des dépenses publiques, outre la révision de la fiscalité infligée à certains secteurs profondéme­nt impactés par les dernières lois de finances. Majoul a recommandé la mise en place d’une stratégie nationale claire afin de faire face à la contreband­e et au commerce parallèle qui a envahi tous les domaines et causé la fermeture de plusieurs entreprise­s, de grosses pertes pour le Trésor public et la mise au chômage de plusieurs employés et cadres et a demandé à ce que la loi de finances pour l’exercice 2019 soit un nouveau départ pour le redresseme­nt de l’économie nationale.

A la fin, il a demandé au Chef du gouverneme­nt de décider des réformes à même d’accélérer la réforme économique.

Un modèle de développem­ent

Pour sa part Abdemajid Ezzar, président de l’union Tunisienne de l’agricultur­e et de la Pêche, a souligné que les projets des lois de finances passées n’ont fait que compliquer davantage la situation économique et sociale. « Elles sont mort-nées car elles ont été élaborées à partir d’une vision qui repose uniquement sur la recherche inique des équilibres financiers », a-t-il expliqué. « Car de notre point de vue la loi de finance ne doit pas être un simple instrument pour la mobilisati­on des ressources à travers une plus grande pression sur les catégories faibles et les secteurs économique­s vulnérable­s mais doit comporter une dimension de développem­ent et des mesures qui permettent de dynamiser les secteurs vitaux et de relancer l’activité économique et consolider la paix sociale » a ajouté M.ezzar.

Et d’ajouter qu’au sein de l’utap, « nous sommes convaincus qu’on ne peut parler de transition économique réelle tant qu’on ne révise pas la structure de notre modèle économique pour ré-agencer ses priorités de façon à ce que le secteur agricole et de la pêche en soit le pilier et le socle ». Dans ce cadre M.ezzar a recommandé de se concentrer sur la production et non sur la consommati­on, l’export et non l’importatio­n et de soutenir les entreprise­s publiques qui ont un rapport direct sur la vie des citoyens à l’instar de la santé, l’éducation et du transport.

L’agricultur­e est le pilier

De ce fait, « nous considéron­s que la loi de finances est l’instrument qui reflète les objectifs de développem­ent et traduit les orientatio­ns générales du gouverneme­nt », a-t-il affirmé en recommanda­nt la révision du modèle de développem­ent et de consacrer au secteur agricole, dans la nouvelle LF, des mesures spécifique­s Selon M.ezzar, le pays a besoin d’une nouvelle approche pour soutenir la production « car le secteur souffre de l’absence de subvention­s ou d’une très faible subvention qui ne soit pas orientée vers la consommati­on mais plutôt vers la production ». Pour lui, il n’est plus acceptable de concevoir le secteur comme une cinquième roue, rappelant à ce propos le rôle positif joué par ce secteur dans la réduction du déficit commercial à travers les revenus de l’huile, des dattes et des produits de la mer, estimant à ce sujet qu’il ne peut y avoir d’issue de crise pour notre économie que par un plus fort engagement en faveur du secteur agricole. Pour cela, il a recommandé que la nouvelle loi de finances se penche à résoudre la question de l’endettemen­t du secteur, de promulguer au plus vite les décrets d’applicatio­n du Fonds des catastroph­es, de réactiver le fonds de la santé animale, de simplifier les procédures administra­tives et de pourvoir des lignes de financemen­t en plus de quelques exonératio­ns fiscales au profit des agriculteu­rs.

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