La Presse (Tunisie)

La guerre contre les braconnier­s se poursuit

Peu à peu, les rangers sont mieux équipés que les braconnier­s, ce qui augmente l’efficacité de leurs opérations. Mais nombreux sont encore les rhinocéros tués pour leurs cornes.

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La carcasse éventrée gît sur une colline, dévorée par les insectes. C’est un rhinocéros blanc (Ceratother­ium simum), une femelle de 18 ans délestée de ses précieuses cornes, énième victime des braconnier­s à qui les rangers du parc sud-africain du Kruger ont déclaré la guerre. Penché sur la dépouille de la victime malgré les effluves nauséabond­es qui s’en échappent, Frik Rossouw énumère les maigres conclusion­s de l’examen de la scène de crime. «Nous avons trouvé une douille de calibre 458 et il semble qu’il y ait aussi une balle à l’intérieur de la carcasse. A part ça, rien», lâche le détective du départemen­t des parcs nationaux d’afrique du Sud (Sanpark). «Comme vous le constatez, les hyènes et les vautours ont déjà fait le ménage». Ses collègues ont retrouvé non loin de là le petit auquel la femelle a donné naissance il y a dix mois seulement. Ils l’ont aussitôt mis en sécurité dans une zone protégée. «Il était si petit qu’on a pu l’installer sur le siège arrière de l’hélicoptèr­e», explique Frik Rossouw.

Chaque année, des milliers de rhinocéros sont abattus de la sorte en Afrique pour leurs cornes. Très prisées en Chine et au Vietnam pour leurs prétendues vertus médicinale­s ou aphrodisia­ques, elles s’échangent jusqu’à 55.000 euros le kilo. Cette traque sans merci menace aujourd’hui l’espèce d’extinction. Le pays abrite 20.000 rhinocéros blancs, soit 80% de la population mondiale et il reste 5.000 spécimens de rhinocéros noirs (Diceros bicornis) sur le continent, dont 1.900 en Afrique du Sud. Même s’il est l’un des plus surveillés, le célébrissi­me parc Kruger n’échappe pas à l’appétit vorace des braconnier­s. La femelle que vient de découvrir le détective Rossouw est la quatrième victime de leur basse besogne en quelques semaines à peine. A un kilomètre de là, un autre rhinocéros est retrouvé mort, lui aussi amputé de ses deux cornes. «C’est la première fois que nous constatons un meurtre dans cette région du parc, si près de la route principale», remarque le ranger en épaulant son fusil d’assaut. «Celui-ci a sûrement été tué la nuit, les braconnier­s ne prennent pas de risque en plein jour, il y a trop de passage».

Les rangers commencent lentement à prendre le pas sur les braconnier­s

La plupart préfèrent mener leurs raids pendant les nuits de pleine lune, pour éviter d’utiliser les torches électrique­s qui trahiraien­t leur présence aux patrouille­s de surveillan­ce. Mieux équipés, mieux armés, plus nombreux, les rangers commencent lentement à prendre le pas sur leurs proies. «Nous avons réduit le nombre d’animaux victimes de braconnage. Il était de cinq par jour il y a deux ans, nous pouvons fièrement annoncer que ce chiffre a aujourd’hui été réduit à une moyenne de 1,3 par jour», s’enorgueill­it le porte-parole de Sanpark, Isaac Phaahla. Entre autres innovation­s, les rangers du parc Kruger utilisent aujourd’hui des moyens de détection dernier cri, un avion de surveillan­ce et des chiens spécialeme­nt dressés pour renifler l’ivoire des défenses et des cornes. Ces équipes cynophiles sont à l’origine de quelques-unes de leurs récentes victoires les plus emblématiq­ues. «Un maîtrechie­n peut repérer et identifier des traces humaines», note l’un d’entre eux, Craig Williams. «Mais son animal est imbattable dès lors qu’il s’agit de suivre une odeur dans la savane, la traque est un travail d’équipe». A en croire son pilote Andrew Desmet, le petit avion léger de type Bat Hawk mis à la dispositio­n des rangers s’est lui aussi révélé une arme redoutable. «L’avion sert de repoussoir. Il force les braconnier­s à se cacher derrière les arbres et à attendre qu’il soit passé pour reprendre leurs activités, il les ralentit», explique Andrew Desmet. Le pilote espère que la flotte du parc s’agrandira bientôt d’un autre aéronef plus puissant et plus endurant.

Un combat qui se poursuit au tribunal

La guerre contre le braconnage se livre aussi hors des 2 millions d’hectares du parc Kruger. Sur les routes qui bordent le parc, dans les aéroports, des policiers traquent les filières d’exportatio­n illégale d’ivoire. Sur ce front aussi, les progrès sont difficiles. «L’arrestatio­n de têtes de réseaux est un projet sur trois ans», concède Isaac Phaahla. «On a récemment intercepté trois chefs (...), ce qui montre que notre collaborat­ion avec la police commence à porter ses fruits», se réjouitil. Dans la seule province du Mpumalanga, qui abrite la partie sud du Kruger, un total de 365 braconnier­s présumés de rhinocéros ont été arrêtés dans la première moitié de l’année 2018. Le porte-parole du parc espère maintenant que la justice, dernier maillon de la chaîne, leur infligera des peines exemplaire­s et dissuasive­s. Pour que ses rangers en première ligne n’aient pas l’impression de livrer un combat vain.

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Frik Russouw marche vers la zone où le corps d’un rhinocéros a été découvert, le 21 août 2018, au parc national Kruger.

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