Eviter la crise
LE collectif de défense de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, deux leaders politiques lâchement assassinés en 2013, a fait, hier, de nouvelles révélations et cette fois il a frappé fort, très fort. Pour la première fois, les accusations des avocats de la défense sont dirigées vers un responsable nommément désigné devant les médias nationaux et internationaux, et même ses commanditaires. C’est le mouvement Ennahdha qui est accusé. Le collectif certifie détenir des documents accablants et des preuves irréfutables compromettant le parti islamiste, mais que la justice ne détient pas en raison de leur usurpation et dissimulation par les auteurs des deux assassinats politiques perpétrés successivement à quelques mois d’intervalle.
Les révélations sont graves. Le Front populaire n’a eu de cesse d’accuser le parti islamiste, alors au pouvoir, et de lui en attribuer la responsabilité politique, faute de preuves. Cette fois, elles semblent être irréfutables et le collectif de défense dit vouloir aider la justice à déterrer la vérité en prenant à témoin l’opinion nationale et internationale.
Mais des révélations aussi graves ne peuvent rester sans impact sur la scène nationale.
Le mouvement Ennahdha est encore au pouvoir et il a encore de beaux jours devant lui, eu égard aux résultats enregistrés aux municipales de mai 2018.
Il part favori pour les prochaines échéances électorales de 2019 et rien ne contredit le fait que ce parti, majoritaire au Parlement, tire toutes les ficelles de la vie politique. De la crise au sein de Nida Tounès, il en sort renforcé plus qu’au temps de la Troïka. Aujourd’hui, le parti qui a fait sa mue et renoncé à son habit religieux — c’est ce qu’affirment ses dirigeants, contrairement à sa base — est prêt à composer avec tous les autres partis et à conclure d’autres consensus. Ce sont les autres partis qui ne veulent pas d’ennahdha.
Quant à son deal avec Nida, des éléments imprévus sont entrés en ligne, notamment le conflit Hafedh Caïd Essebsi et Youssef Chahed, et ont fini par tout compromettre.
Après les révélations fracassantes des avocats de la défense, Ennahdha est appelé à réagir, à expliquer aux Tunisiens qui ont le droit de connaître la vérité. Bonne ou mauvaise. Il reste qu’il faut souhaiter que le timing de ces révélations n’ait pas été choisi à des fins politiques. Tenter aujourd’hui de mettre le parti islamiste au pied du mur risque d’accentuer la crise politique.
Si le collectif de défense disposait d’autant de preuves accablantes, pourquoi n’ont-elles pas été révélées plus tôt, s’est interrogé plus d’un observateur hier.
La rupture déclarée entre le président Caïd Essebsi et le président d’ennahdha aurait-elle réveillé les consciences ou de vieux démons ? Il faut espérer, en toute circonstance, que la justice fasse son travail dans l’indépendance la plus totale. C’est le seul moyen d’éviter les crises politiques qui risquent de déboucher sur des conflits douloureux.
Il reste qu’il faut souhaiter que le timing de ces révélations n’ait pas été choisi à des fins politiques. tenter aujourd’hui de mettre le parti islamiste au pied du mur risque d’accentuer la crise politique.