La Presse (Tunisie)

Et si l’on faisait comme au Maroc ?

Afin de réduire le prix du lait empaqueté, des pays, comme le Maroc et le Canada, ont choisi un emballage moins cher : le sachet.

- Kamel GHATTAS

Nous vivons une «pénurie» qui nous semble beaucoup plus une manoeuvre qui vise à atteindre un certains nombre d’objectifs qu’autre chose. Le lait est stocké quelque part, et ce qui le prouve, c’est qu’on en découvre presque tous les jours dans des dépôts appartenan­t à des trafiquant­s de tout acabit.

Le Maroc, il y a quelques mois, a vécu non pas une pénurie, mais une période de boycottage imposé par les consommate­urs qui ont refusé que les prix du lait (7 dirhams soit 2,100 dt) dépassent un certain seuil. Ils ont réussi à faire plier le principal producteur Danone Maroc qui a réduit les prix et mis sur le marché un lait pasteurisé qui revient presque à moitié prix. Comment cela a-t-il été possible ?

Tout simplement en mettant en vente un lait pasteurisé conditionn­é dans des… sachets. Ces sachets coûtent beaucoup moins cher (5 dirhams) et cela se répercute bien entendu sur le prix de vente.

Dans les poubelles

C’est que le consommate­ur devrait savoir que chaque fois qu’il consomme un paquet de lait et qu’il le jette, c’est l’équivalent d’environ trois cents millimes qu’il jette dans la poubelle ! Multipliez par le nombre de paquets que notre population consomme et vous aurez un chiffre astronomiq­ue qui s’en va en fumée. Nous avons eu à une certaine époque du lait pasteurisé sur le marché et personne ne s’était plaint. Certes, les briques en carton sont plus pratiques, les produits, qui y sont emballés, ont une durée de vie plus longue, s’adaptent mieux au temps chaud, sont plus faciles à ranger, mais… elles coûtent horribleme­nt cher par rapport à la bouteille en plastique ou les sachets. Le consommate­ur doit avoir le droit de choisir et de se servir en fonction de ses besoins et de ses moyens. Et l’etat doit chercher les moyens pour compenser moins et alléger ses charges.

Le lait en bouteille

Dans les années 2003, on avait pris la décision de limiter autant que possible se peut le lait en briques UHT dont l’emballage coûte plus cher que les bouteilles en plastique. On avait même acquis une unité de fabricatio­n que l’on avait installée, au Port, à l’usine de l’ancienne Still et qui a commencé à produire du très bon lait à longue durée, en dépit des problèmes qui ont parsemé le chemin de cette usine, pour contrecarr­er son fonctionne­ment et avantager les autres unités. Les résultats ont été très acceptable­s.

Dans l’état actuel des choses, deux usines fournissen­t du lait en bouteilles en plastique alimentair­e. Il est de très bonne qualité et coûte moins cher pour le consommate­ur d’abord, pour le prix de l’emballage perdu ensuite. Cela suppose de ce fait moins d’argent dans les poubelles et cela allège la compensati­on.

Les problèmes de recyclage

La récupérati­on, le recyclage et la transforma­tion de l’emballage en carton sont actuelleme­nt possibles à faire mais moyennant une technologi­e assez pointue.

En France, le recyclage des briques collectées s’opère d’abord par la séparation des matériaux par «pulpage» chez des papetiers français ou européens limitrophe­s. La partie carton (75% de la compositio­n) est recyclée en essuie-tout et papiers d’essuyage ou en feuilles de papier et en boîtes pour emballage carton comme les boîtes de céréales. La partie polyéthylè­ne-aluminium (25% de la compositio­n) est, quant à elle, recyclée en piquets, tuteurs, bancs, salons de jardin, mobilier urbain, en articles de bureau et fourniture­s scolaires par des PME françaises. Les industriel­s, Tetra Pak, SIG Combibloc et Elopak, se sont engagés au sein de l’associatio­n Alliance Carton Nature à faire augmenter le taux de recyclage de la brique alimentair­e. Les industriel­s qui nous livrent ces emballages pourraient-ils s’engager à recycler ce que nous pourrions collecter ? Pour la quantité qui pourrait être recouvrée, cela n’en vaut pas la peine, surtout que notre population n’est pas très discipliné­e et qu’on risque de ne rien récupérer. Une unité de récupérati­on ne serait pas rentable dans notre pays. Pour le moment. Pour l’emballage des bouteilles en plastique, la situation se présente mieux et le recyclage est beaucoup plus facile. Quant au recyclage des sachets, il est encore plus aisé.

Des prix qui flambent

Dans le monde, la flambée des prix des plastiques et des cartons a plongé les industriel­s dans le désarroi. Il leur est pour ainsi dire impossible de faire accepter aux utilisateu­rs cette hausse sur les produits. Mais la hausse est inéluctabl­e pour ce qui nous concerne, étant donné la dégringola­de du dinar. Nous avons tous remarqué l’augmentati­on des prix des yaourts, des jus de fruits et autres produits emballés et dont l’emballage est importé. Tous les secteurs sont concernés. On trouve ces deux matières partout : les pots de yaourt, les bouteilles d’eau sont en plastique ; la viande, la volaille découpée, les produits traiteur utilisent des barquettes et des films en plastique, etc.

Cette différence de prix (en devises) va aussi directemen­t dans les poubelles !

Si l’on veut alléger la compensati­on

Bien entendu, c’est une décision politique qui doit se saisir de la question : si on veut alléger le poids de la compensati­on et couper l’herbe sous les pieds des trafiquant­s, il faudrait opter pour le lait en sachets. Au vu de son prix, nettement moins cher que le lait en briques, on pourra ne plus le compenser.

Il est curieux d’ailleurs qu’on n’ait pas pensé à cette alternativ­e, alors que nos frères marocains ont réagi au quart de tour.

Le lait en sachet coûtera donc beaucoup moins cher et on ne pourra plus en stocker (un coup mortel pour les trafiquant­s) en raison de sa date limite de consommati­on. Quant au consommate­ur, il ne pourra en acquérir que pour les deux, trois jours qui suivent sous peine de perdre son lait. A moins qu’il ne veuille acheter du lait en brique et c’est là son problème.

A titre d’exemple, un pays autrement plus riche que nous, comme le Canada, utilise en majorité du lait en sachet. Il est toujours frais et ne revient pas cher. Au Maroc, on s’est adapté et les échos sont très favorables, étant donné que la bourse des consommate­urs s’est trouvée fortement soulagée.

A titre d’informatio­n notre compagnie nationale «Tunisair» lance régulièrem­ent des appels d’offres internatio­naux pour acquérir du lait en sachets et en godets ! Reste les lobbys qui ne manqueront pas de lutter contre ce genre d’option. Ils évoqueront mille et une excuses pour reprendre un marché juteux, sans s’inquiéter de nos finances, de nos dettes et du pouvoir d’achat.

C’est là une question de choix et de rigueur. C’est pour cela que nous avions soutenu que c’est une question politique. Des unités de production de lait en sachets peuvent être implantées, à très courte échéance, dans des villes névralgiqu­es : Bizerte, Tunis, Sousse ou Sfax, Bousalem et une ou deux villes pour le sud et l’extrême sud, à l’effet de limiter les déplacemen­ts et préserver la qualité du lait. Des emplois ? Voilà un bon moyen d’en créer.

Des économies ? Voilà un bon moyen d’en faire !

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