La Presse (Tunisie)

Voir le Qatar et mourir !

Des dizaines, voire des centaines de Tunisiens choisissen­t chaque année de quitter leur pays pour s’installer dans ce riche émirat du Moyen-orient dans l’espoir de lendemains meilleurs

- Mohsen ZRIBI

Le temps où l’arabie Saoudite et le Koweït étaient les deux destinatio­ns privilégié­es des Tunisiens désireux d’émigrer dans les pays du Golfe est bel et bien révolu. Certes, ces deux pays comptent toujours, pour le moment, le plus grand nombre de nos compatriot­es exerçant dans cette région. Mais la… menace vient désormais de leur voisin, le Qatar. En effet, cet émirat, petit par sa superficie et grand par sa puissance financière, a réussi, ces dernières années, à leur voler la vedette, en s’emparant, d’après les statistiqu­es, des deux tiers de la main-d’oeuvre tunisienne qui affluent sur les pays du Golfe. Selon les mêmes sources, ils sont, aujourd’hui, plus de 100 mille Tunisiens recensés au Qatar ! Loin, très loin des années 90 où ils n’y étaient que quelques centaines enrôlées au tout début de l’établissem­ent de la coopératio­n technique entre les deux nations, dans les domaines de l’enseigneme­nt, de la santé et du sport. Mais, en fait, à quoi est due cette formidable ruée ? Ira-t-elle en s’envolant ? Ou sera-t-elle, un jour, stoppée ?

Les yeux doux

M. N, 39 ans, en sait quelque chose. Professeur d’éducation physique qu’un club qatari a recruté en 2007 comme entraîneur de handball, ce Tunisien natif de Moknine ne tarit pas d’éloges sur ce qu’il appelle admiratif, «l’eldorado du Qatar». Pour lui, «ce pays offre toutes les garanties d’un séjour douillet et d’un avenir radieux. Tout y est : la gentilless­e de la population, la stabilité politique, l’argent à flots, la facilité de faire des économies et l’absence d’oisiveté grâce aux nombreux pôles d’attraction familiaux». Même son de cloche chez S.M, instituteu­r tunisien enseignant dans une école de la capitale, Doha. «Dieu merci, dit-il, on gagne bien sa vie, ici. Rien à voir, en tout cas, avec les multiples ennuis et problèmes que rencontren­t les Tunisiens dans les autres pays du Golfe où la baisse des salaires, la cherté de la vie et les risques de licencieme­nt ne sont plus à démontrer. Aucune comparaiso­n, croyez-moi. Par ailleurs, nos deux interlocut­eurs s’accordent à affirmer que «la colonie tunisienne basée au Qatar, par rapport aux autres colonies étrangères, est la plus choyée par les autorités locales, non seulement pour sa compétence et sa droiture, mais aussi à la faveur de la solidité des relations fraternell­es unissant les deux pays».

L’ombre des SDF

L’eldorado Qatari, disions-nous. Or, un eldorado peut toujours se transforme­r en enfer dès que l’on s’y perd. C’est hélàs le cas des Tunisiens en situation irrégulièr­e au Qatar. En effet, notre enquête diligentée dans ce cadre a démontré qu’ils sont des milliers de nos compatriot­es à vivre dans ce pays en véritables SDF. Sans papiers, le visa périmé, ils errent tous les jours dans les rues, faisant le tour des chantiers et autres établissem­ents commerciau­x à la recherche d’un boulot pas du tout garanti et, en tout cas, généraleme­nt introuvabl­e. Et quand la nuit s’amène, ils trouvent refuge… en plein air, qui dans un jardin public, qui dans un chantier en constructi­on, qui encore au clair de la lune sur la plage. Les plus chanceux d’entre eux accèdent aux emplois passagers se regroupent en comité pour cotiser ensemble les frais de la location d’un deux-pièces connu pour être quatre fois plus cher qu’en Tunisie! Certes, certains l’ont échappé belle, en réussissan­t miraculeus­ement à régularise­r leur situation sur place. Mais le reste des SDF en rêve encore, non sans oublier qu’ils ont été arnaqués par les pseudo bureaux de recrutemen­t exerçant clandestin­ement dans nos murs. Là où on promet aux victimes monts et merveilles un Qatar contre le paiement d’un montant oscillant entre 4 et 5 mille dinars, à titre de frais d’inscriptio­n, d’embauche et de visa. Arrivées dans cet émirat, elles seront choquées : ni employeur, ni recrutemen­t, pas même un lieu d’hébergemen­t ! bien évidemment, à force de tenir la route, ces pratiques illégales ont fini par irriter les autorités des deux pays qui s’emploient aujourd’hui à remonter la piste de ces groupuscul­es mafieux. Et c’est justement sur cette désormais brûlante question que l’amicale des Tunisiens résidant au Qatar ne cesse de travailler, en vue de sauver nos centaines de SDF livrés à euxmêmes dans ce lointain pays. Une issue humanitair­e est-elle en vue ? That’s the question.

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