La Presse (Tunisie)

Le diable est dans les détails !

- Kamel FERCHICHI

On négocie aujourd’hui des secteurs stratégiqu­es, loin d’être compétitif­s, en l’occurrence l’agricultur­e et les services. D’autant que l’aleca ne compte pas s’intéresser aux questions de la migration, de la mobilité des personnes et de la suppressio­n des visas d’entrée à l’espace Schengen. Donc, de quel libre-échange parle-t-on ?

On négocie aujourd’hui des secteurs stratégiqu­es, loin d’être compétitif­s, en l’occurrence l’agricultur­e et les services. D’autant que l’aleca ne compte pas s’intéresser aux questions de la migration, de la mobilité des personnes et de la suppressio­n des visas d’entrée à l’espace Schengen. Donc, de quel libre-échange parle-t-on ?

Aleca Tunisie-ue et libre-échange en Méditerran­ée a fait hier l’objet d’une conférence internatio­nale, organisée pendant deux jours à l’initiative du Ftdes, avec le concours de ses partenaire­s associatif­s étrangers, à savoir Cncd, Friedrich Ebert Stiftung, ITPC Mena et autres acteurs sociaux euro- maghrébins. Sceptiques, ces fervents militants semblent ne plus croire aux intentions de négociatio­ns, et encore moins aux objectifs à peine dévoilés du côté européen. Prévoir un partenaria­t nord-sud gagnant-gagnant n’est qu’un vrai faux-semblant. Dans cet ordre d’idées, le président du Ftdes, M. Messaoud Romdhani, a tenu, dans son allocution d’ouverture, à rappeler que le Forum n’a cessé, depuis le démarrage en 2015 des négociatio­ns de l’aleca, d’alerter sur le déséquilib­re des rapports de force économique­s et les impacts directs et indirects d’un tel accord aussi asymétriqu­e et à haut risque. Autant dire qu’on ne peut prévoir l’avenir sans regarder dans le passé. On entend par cela l’importance qu’il y a de procéder à l’évaluation du fameux accord d’associatio­n Tunisie-ue, signé en 1995 dans le cadre de ce qu’on appelle processus de Barcelone. Il y a maintenant 23 ans, sans rien de positif. La situation va, juge-t-il, de mal en pis : «Tissu économique en perdition, crédits odieux, Etat surendetté, disparités régionales, chômage endémique, immigratio­n non régulière, tarifs douaniers assez réduits (2,5 du PIB), impôts affligeant­s… ». Bref, un accord d’associatio­n qui n’a jamais été dans l’intérêt du pays. D’après les spécialist­es, l’aleca serait contre-productif. Et d’ajouter qu’on négocie, aujourd’hui, des secteurs stratégiqu­es, mais loin d’être compétitif­s, en l’occurrence l’agricultur­e et les services. D’autant que l’aleca ne compte pas s’intéresser aux questions de la migration, de la mobilité des personnes et de la suppressio­n des visas d’entrée à l’espace Schengen. Donc, de quel libreéchan­ge parle-t-on ?

Desseins non avoués ?

Cette même thèse fut tenue par les hôtes du Ftdes. D’ailleurs, certaines associatio­ns maghrébine­s et européenne­s sont unanimes sur le fait que l’union européenne ne cherche que ses propres intérêts. A cause de ses projets non avoués, autant d’accords sont tombés d’eux-mêmes, ceux négociés avec la Chine et les Etats-unis avaient déjà suscité de nombreuses manifestat­ions populaires. Dans le cas tunisien, l’on se demande sur les conditions à remplir pour que l’échange soit un facteur de développem­ent. Pour le Maroc, les négociatio­ns avec L’UE en matière de santé n’ont nullement abouti à un accès aux médicament­s. Et là, une mobilisati­on massive contre pareil traitement injuste s’avère de mise. Par ailleurs, les expérience­s passées du libre-échange en Méditerran­ée ne sont pas qualifiées de succès. Ancien ambassadeu­r de Tunisie, M. Ahmed Ben Mustapha s’est étalé sur l’histoire des relations séculaires qui lient l’europe à la Tunisie, et en particulie­r la France. Il s’indigne de la voir poursuivre, sans scrupule, ses desseins colonialis­tes, touchant ainsi à la souveraine­té de la Tunisie moderne. Après la révolution 2011, dit-il, L’UE n’a point hésité de suivre la même politique d’exploitati­on et de domination économique. Pour lui, l’aleca n’est que le prolongeme­nt de l’ancien accord d’associatio­n, voire deux faces d’une même pièce.

Qu’en est-il au juste ?

Qu’en est-il de l’étude faite par le Ftdes sur l’aleca ? Surtout qu’il s’agit, selon les enquêteurs du forum, d’un sujet peu connu. Qu’en pense-t-on ? Que pourrait-on en attendre ? Autant des questions qui nous préoccupen­t encore. Selon l’étude, l’on retient cinq idées forces : libéralisa­tion des secteurs de l’agricultur­e et des services, investisse­ment direct sans barrières tarifaires, propriété intellectu­elle en jeu, coopératio­n régulière, développem­ent durable et PME (enjeux environnem­entaux, droit du travail…). Cela dit, le besoin d’informatio­n sur ces détails se fait de plus en plus sentir. D’où, il faut séparer le bon grain de l’ivraie. En tout état de cause, l’aleca avec ses exigences actuelles ne servira guère l’économie tunisienne. Quitte à rendre nos secteurs de moins en moins rentables et concurrent­iels. Ce non-dit révélé a enflammé la salle, sur fond d’un vif débat. D’ailleurs, tous les avis et positions convergent vers un rejet catégoriqu­e d’un tel accord largement controvers­é. Les participan­ts n’ont pas manqué d’alerter sur la poursuite des négociatio­ns basées sur des profits à sens unique. De son côté, la société civile présente à la conférence a appelé tous les partis et les politiques à ne pas s’y tromper, les exhortant à ne pas céder à la tentation. Car l’intérêt du pays est au-dessus de toute autre considérat­ion.

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia