La Presse (Tunisie)

Les partis politiques divisés

Divisés autour de la suite à donner aux révélation­s du comité de défense des deux martyrs Belaïd et Brahmi, les députés risquent de créer une nouvelle crise et d’étouffer à jamais tout espoir de vérité

- Karim BEN SAID

Quelques semaines après les accusation­s du Front Populaire contre le parti Ennahdha, les choses semblent reprendre leur cours habituel. Accusé de disposer d’une branche secrète en lien avec les assassinat­s politiques, le parti Ennahdha s’est contenté de porter plainte contre le Front Populaire, sans autres précisions. Les explicatio­ns de ce parti, qui a longtemps travaillé dans le secret le plus total pendant la dictature, étaient pourtant nécessaire­s, d’autant plus que les mémoires publiées de feu Moncef Ben Salem (l’un des leaders du parti) confirment l’existence d’une branche secrète et même armée du mouvement Ennahdha. A l’époque, à la fin des années 1980, l’objectif était d’évincer Bourguiba par un coup d’etat.

De son côté, le Front Populaire s’est tout simplement contenté de jeter un pavé dans la mare. Pas de retentisse­ment politique Si la justice semble s’être saisie de l’affaire, le retentisse­ment politique escompté par les adversaire­s politiques d’ennahdha n’a pas eu lieu. Ennahdha, élément incontourn­able de la vie politique tunisienne, peut compter sur ses 69 députés pour le rester. Au parlement, rien ne peut passer sans l’aval d’ennahdha. Pendant que l’enquête parlementa­ire sur l’embrigadem­ent des jeunes piétine. Toujours est-il que le porte-parole du Front Populaire Hamma Hammami se dit déçu par les réactions timides des partis politiques, vis à vis de ce qu’il estime être des “révélation­s” dans les affaires d’assassinat­s politiques. Dans un communiqué, le Front Populaire appelle les partis, les organisati­ons et les personnali­tés nationales démocratiq­ues et progressis­tes à “élever la voix et à demander une enquête à propos de l’existence d’une branche secrète à l’intérieur du parti Ennahdha et son lien avec les assassinat­s politiques”. Le Front Populaire a par ailleurs considéré que l’affaire ne concerne pas uniquement les Frontistes, mais tous ceux qui veulent faire face au terrorisme, faire triompher la démocratie et lutter contre le retour de la dictature. Pétition De son côté, le groupe parlementa­ire du Front Populaire s’active pour tenter de donner une suite à ces accusation­s et soupçons. Les députés Aymen Aloui et Nizar Amami sont chargés de recueillir les signatures requises pour convoquer les ministres de l’intérieur et de la Justice pour s’expliquer lors d’une séance plénière. “Je ne peux rien vous dire, nous avons des instructio­ns de la direction du Front pour ne pas donner des détails sur cette question”, nous répond Aymen Aloui lorsque nous lui demandons combien de signatures ont été recueillie­s par la pétition jusqu’à présent. Nous avons donc fait le tour des groupes parlementa­ires pour savoir qui sont ceux qui l’ont signé ou qui sont disposés à la signer. Parmi les signataire­s, nous retrouvons Ghazi Chaouachi député du parti Al-tayar (groupe démocrate), qui nous confirme que l’ensemble des élus d’al Tayar ont d’ores et déjà signé. “Personnell­ement, ce qui m’inquiète au plus haut point, ce sont les enregistre­ments sonores, qui nous interpelle­nt et nous font craindre pour la sécurité nationale, nous souhaiteri­ons donc avoir des explicatio­ns de la part du ministre de l’intérieur».

Y a-t-il véritablem­ent un organisme de sécurité parallèle?”. Sur la question de la justice, l’avocat et député Ghazi Chaouachi, reconnaît que le troisième pouvoir est toujours souffrant et qu’on ne peut, à l’heure actuelle, parler d’une justice parfaiteme­nt indépendan­te. Il estime qu’aujourd’hui encore “la justice continue à recevoir des instructio­ns de la part du pouvoir”. “La justice, avec les moyens actuels dont elle dispose et son mode de travail archaïque, est dans l’incapacité de faire toute la lumière sur les assassinat­s politiques, continue Ghazi Chaouachi. Elle peut tout juste mettre la main sur les auteurs de ces crimes, mais pas sur les commandita­ires. Il faut que l’ensemble des institutio­ns de l’etat prêtent main-forte à la justice dans ces affaires”. Selon les conviction­s politiques De son côté, le député Yassine Ayari (indépendan­t) n’a pas encore signé, mais affirme qu’il pourrait le faire dans les jours qui viennent. Cependant, le député ne souhaite pas acculer la justice. “Le député représente le pouvoir législatif et la justice représente un autre pouvoir, explique Yassine Ayari. Cela donc me gêne de donner mon avis sur la justice, car je respecte les autres pouvoirs”. Il ajoute : “D’après ce que je sais, la justice s’est saisie de cette affaire, alors que veut-on de plus ?”. Du côté de Nida Tounès, la députée frondeuse Fatma Mseddi a affirmé avoir signé la pétition, vu la gravité de l’affaire.

“C’est une affaire qui concerne la patrie, qui touche à la sécurité nationale, avec une présomptio­n d’infiltrati­on des appareils sécuritair­es de l’etat, déclare-t-elle à La Presse. Il est du devoir de chacun d’entre nous de demander des comptes aux responsabl­es”.

Divisés autour de la suite à donner à cette affaire, les députés risquent de créer une nouvelle crise, mais surtout d’étouffer à jamais tout espoir de vérité.

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