La Presse (Tunisie)

La paix avec l’ethiopie rime avec exode

Les soldats érythréens qui autrefois arrêtaient les réfugiés se contentent maintenant d’enregistre­r leur nom au passage de la frontière

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AFP — Pendant trois ans, la peur et la pauvreté ont empêché Nebyat Zerea de quitter l’erythrée pour retrouver son époux. Mais l’ouverture le mois dernier de la frontière avec l’ethiopie a changé la donne. La réconcilia­tion accélérée entre les deux voisins de la Corne de l’afrique a notamment permis en quelques mois le rétablisse­ment des liaisons aériennes et la réouvertur­e des ambassades. Mais rien n’a eu un impact aussi fort que la réouvertur­e de la frontière terrestre en septembre. Depuis lors, le nombre d’erythréens cherchant refuge en Ethiopie a augmenté de façon spectacula­ire, selon L’ONU. Les soldats érythréens qui autrefois arrêtaient les réfugiés comme Nebyat se contentent maintenant d’enregistre­r leur nom au passage de la frontière. «Il fallait que je saisisse cette chance de quitter le pays», déclare-t-elle à L’AFP, quelques jours à peine après être arrivée dans la ville de Zalambessa, du côté éthiopien de la frontière, avec ses trois filles, toutes âgées de moins de six ans. Le nombre de réfugiés érythréens est passé de 53 par jour à 390 et les autorités éthiopienn­es ont enregistré plus de 6.700 arrivées depuis la réouvertur­e de la frontière, selon le Haut-commissari­at de L’ONU aux réfugiés (HCR).

Il n’y a rien de nouveau à voir les Erythréens quitter leur pays: des centaines de milliers d’entre eux ont fui ces dernières années un régime ultra-répressif et une économie en décrépitud­e, dont beaucoup ont tenté le périlleux voyage à travers les déserts et la mer Méditerran­ée vers l’europe. La normalisat­ion des relations entre l’erythrée et l’ethiopie avait soulevé l’espoir que le président érythréen Issaias Afeworki assouplira­it les politiques à l’origine de cet exode massif, comme un service militaire à durée indétermin­ée, comparé par les Nations unies à de l’esclavage.

Mais aucun changement n’a pour l’heure été annoncé et la paix a intensifié les migrations.

«Ce n’était pas dans mon intérêt d’aller dans un autre pays, mais au final j’y ai été forcé», assure Daniel Hadgu, un Erythréen arrivé récemment à Zalambessa et qui souhaite rejoindre sa soeur aux Pays-bas.

«Aucun business»

Ancienne province éthiopienn­e, l’erythrée a déclaré son indépendan­ce en 1993 après avoir chassé les troupes éthiopienn­es de son territoire en 1991 au terme de trois décennies de guerre. Les deux pays se sont ensuite livré une guerre entre 1998 et 2000, qui a fait quelque 80.000 morts, notamment en raison d’un conflit frontalier.

Les relations sont restées particuliè­rement tendues depuis, en raison du refus de l’ethiopie de céder à l’erythrée le territoire frontalier disputé, malgré un jugement en faveur de cette dernière d’une commission indépendan­te internatio­nale soutenue par L’ONU datant de 2002. En 2001, le président Issaias, le seul qu’a connu l’erythrée depuis son indépendan­ce, a muselé la presse indépendan­te, enfermé les dissidents et rendu indétermin­ée la durée du service militaire, justifiant sa décision en affirmant qu’une nouvelle guerre avec l’ethiopie pourrait éclater. Ce régime ultrarépre­ssif a miné l’économie du pays. «Il n’y a rien à faire, il n’y a aucun business», se lamente Jamila Abdela, à Zalambessa. «Je cherche juste à avoir une meilleure vie».

«Où vont-ils ?»

La guerre froide entre l’erythrée et l’ethiopie semblait devoir s’éterniser, jusqu’à la promesse surprise en juin du nouveau Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed de rendre le territoire disputé à son ennemi juré.

MM. Abiy et Issaias ont ensuite signé un accord de paix en juillet puis visité Zalambessa ensemble en septembre pour rouvrir le poste frontière, sous les yeux écarquillé­s de centaines de badauds principale­ment érythréens ayant traversé la zone tampon séparant alors les deux pays.

Par le passé, Nebyat avait tenté une fois sans succès de quitter l’erythrée — le paiement d’un passeur étant au-delà de ses moyens —. Cette fois, Nebyat n’aura eu qu’à payer un ticket de bus vers l’ethiopie, la première étape d’un long voyage qui doit l’emmener vers l’allemagne, où son mari a émigré il y a trois ans.

«On ne peut pas survivre en Erythrée, on n’a pas de revenus», dit-elle.

Taeme Lemlem, le gérant d’un bar de Zalambessa, raconte, lui, regarder parfois avec perplexité les groupes d’erythréens rassemblés dans la ville, agrippés à leurs sacs à dos alors qu’ils s’enregistre­nt auprès des autorités éthiopienn­es. «Tous les jours, il y a des gens qui passent ici», dit-il. «Je me demande où ils vont».

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