La Presse (Tunisie)

« Deux priorités pour la Tunisie : le portuaire et les énergies renouvelab­les »

- Propos recueillis par Marwa SAÏDI

Si la question de l’infrastruc­ture devient de plus en plus préoccupan­te, c’est principale­ment à cause d’un état de délabremen­t que les citoyens observent et ne cessent d’évoquer. Estimée fragile, classée et très peu développée, l’infrastruc­ture, dans son état actuel, nécessite en tout état de cause des actions de réaménagem­ent, de modernisat­ion et de développem­ent, afin qu’elle puisse seoir à la nouvelle donne d’une économie libre et compétitiv­e à laquelle l’on aspire.

Si la question de l’infrastruc­ture devient de plus en plus préoccupan­te, c’est principale­ment à cause d’un état de délabremen­t que les citoyens observent et ne cessent d’évoquer. Estimée fragile, classée et très peu développée, l’infrastruc­ture, dans son état actuel, nécessite en tout état de cause des actions de réaménagem­ent, de modernisat­ion et de développem­ent, afin qu’elle puisse seoir à la nouvelle donne d’une économie libre et compétitiv­e à laquelle l’on aspire. M. Antoine Sallé de Chou, chef du bureau de la Berd en Tunisie, nous apporte plus d’éclairciss­ements au sujet de l’infrastruc­ture en Tunisie.

Monsieur Antoine, commençons tout d’abord par dresser le tableau de l’état actuel de l’infrastruc­ture en Tunisie. Et, a priori, quel est le coût estimé d’une infrastruc­ture peu développée par rapport au PIB ?

Selon nos estimation­s, le déficit de l’infrastruc­ture en Tunisie, juste pour maintenir le niveau actuel de croissance est de 24% du PIB. Le surcoût lié au déficit logistique est d’environ 5% du PIB, soit l’équivalent du budget de l’éducation nationale. Quant au tableau dressé de l’état actuel de l’infrastruc­ture, la première question qui revient, en premier lieu dans nos discussion­s avec les entreprene­urs tunisiens, c’est l’infrastruc­ture portuaire. La plupart des industriel­s déplorent l’engorgemen­t du port de Radès qui représente un véritable frein à leurs capacités d’import et d’export. Cependant, la productivi­té du port pourrait s’améliorer d’une manière considérab­le, que ce soit via des investisse­ments ou des réorganisa­tions du port. Même si une partie importante du trafic s’est, actuelleme­nt, déployée, d’une manière spontanée, sur le reste des ports tunisiens, notamment à Bizerte et à Sfax, suite à cette situation d’encombreme­nt dans le port de Radès, en Tunisie on est arrivé à la pleine capacité sur tous les ports. Et si on n’augmente pas la capacité portuaire en Tunisie, ces problèmes persistero­nt et se répercuter­ont négativeme­nt sur la capacité du pays à importer et à exporter. D’où l’importance de réfléchir à de nouveaux développem­ents portuaires.

Y a-t-il des projets en vue, à cet effet ?

Tout d’abord, on cite le port d’enfidha, qui était un des projets phares présentés lors du forum PPP qui a eu lieu le 18 septembre dernier. C’est un projet pourtant controvers­é. Les avis des experts et des industriel­s sur la rentabilit­é du port sont partagés entre les pour et les contre. La question majeure qui se pose : est-ce que le port est bien localisé dans la région d’enfidha ? Certains armateurs qui s’opposent à ce projet, mettent en avant le surcoût inhérent à la descente en mer. En effet, Enfidha, c’est un jour de mer. Ce qui est l’équivalent de 400 mille euros, en termes de dépenses. Ce sont des coûts qui doivent être pris en compte dans l’évaluation de la compétitiv­ité du port. Mais également, il y a d’autres investisse­urs et experts qui estiment, en se basant sur des études effectuées précédemme­nt (en 2007), que c’est un projet envisageab­le et qui permettra de développer cette région.

Et qu’en pensent les experts de la Berd ?

Nous pensons qu’il faut faire des études afin d’avoir la vision complète. Mais, il ne faut pas omettre la question du surplus de trafic dans le bassin méditerran­éen où il y a de plus en plus de développem­ent portuaire en mer profonde, notamment au Maroc et en Algérie. Et que c’est un développem­ent très coûteux. En tout état de cause, nous continuons à observer l’appétit du marché. Il y a à notre sens d’autres types de développem­ent envisageab­les, qui permettent de mettre en place des ports simples pour désengorge­r Radès. En effet, la mise en oeuvre du projet d’enfidha s’étalera sur 5 à 8 ans, une période assez longue. Et pour nous, ce qui est décisif, c’est le test du marché. Il y a eu un appel à manifestat­ion qui va être clôturé très prochainem­ent. Les résultats illustrero­nt clairement l’appétit et l’intérêt des grands opérateurs portuaires.

Mais dans l’immédiat, pour désengorge­r les ports tunisiens, notamment le port de Radès vous suggérez d’investir dans des projets de réaménagem­ent et de réorganisa­tion.

Oui. Actuelleme­nt, nous travaillon­s sur le déploiemen­t de quais supplément­aires sur Radès. Un appel d’offres a été, récemment, lancé à cet effet. À notre sens, il faut qu’il y ait au moins deux compagnies de manutentio­n puisque le monopole de la Stam s’accapare du quai de Radès. On serait favorable à ce que les quais soient opérés, également, par le secteur privé, bien sûr, sur la base de plusieurs critères. Mais c’est au ministère du Transport de décider finalement. Un développem­ent portuaire rapide, via des expansions de capacité à Bizerte et à Sfax sont, également des propositio­ns intéressan­tes et des solutions potentiell­es.

Le réaménagem­ent et la modernisat­ion de l’infrastruc­ture sont l’un des principaux objectifs qui ont été fixés dans le plan quinquenna­l. Quels sont alors les projets de réaménagem­ent de l’infrastruc­ture financés par la Berd ?

Pour l’instant, nous avons déjà octroyé des prêts de plus de 300 millions d’euros, pour le financemen­t des projets de modernisat­ion et de réaménagem­ent de l’infrastruc­ture. En premier lieu, figure le projet de dépollutio­n du lac de Bizerte qui est cofinancé par la BEI. La Berd s’occupe de la partie assainisse­ment des réseaux qui déversent dans le lac. Nous avons, également, financé le réseau de transmissi­on électrique de la Steg dans le cadre du programme des énergies renouvelab­les. Notre plus grand projet bénéficie à la Sncft, à laquelle nous avons versé un montant de 160 millions d’euros pour le financemen­t du projet de réhabilita­tion de la ligne Tunis-kasserine. Ce projet permettra de mieux intégrer la région de Kasserine puisqu’à son issue la ligne sera ouverte aux passagers. Le prêt octroyé à la Sncft couvre également l’aménagemen­t de la ligne Moknine-mahdia, une ligne très utilisée sur la boucle du Sahel. Actuelleme­nt, la Berd est en cours de finalisati­on d’un contrat de financemen­t au bénéfice de l’onas pour la réhabilita­tion du réseau d’assainisse­ment dans 33 villes de moins de 10 mille habitants. Le coût du projet s’élève à environ 150 millions d’euros. Et finalement nous avons le projet de modernisat­ion du transport urbain sur le Grand Tunis avec le cofinancem­ent de la BEI.

Qu’en est-il de la mise en oeuvre de tous ces projets précités ?

Pour tout ce qui est dépollutio­n du lac de Bizerte, réseau de transmissi­on d’électricit­é produite par des énergies renouvelab­les et financemen­t au profit de la Sncft, les contrats de financemen­t sont déjà signés. La réalisatio­n est en cours. Pour les projets élaborés avec l’onas et la Transtu, ils seront mis en oeuvre d’ici l’année prochaine.

Parmi les principale­s entraves au développem­ent et à l’investisse­ment dans les régions de l’intérieur, l’on cite principale­ment un déficit d’infrastruc­ture. Comment peut-on

développer l’infrastruc­ture de manière à réduire le gap entre les régions de l’intérieur et côtières ?

Améliorer l’accès au service dans les régions est un facteur clé pour pouvoir rendre ces régions des endroits agréables à habiter avec autant d’opportunit­és économique­s que la capitale. Les opportunit­és économique­s se traduisent essentiell­ement par la capacité de se déplacer et d’échanger des marchandis­es. L’investisse­ment dans la ligne ferroviair­e Tuniskasse­rine permettra de réduire considérab­lement la durée du voyage entre les deux régions. Ce qui va rendre la ligne attractive notamment avec des avantages environnem­entaux étant donné qu’elle sera une ligne électrique. Nous favorisons les projets qui visent à améliorer et à faciliter l’accès aux services dans les régions. C’est pour cette raison que les deux tiers de nos investisse­ments sont en dehors du Grand Tunis. La plupart de ces investisse­ments ont été réalisés sur le budget de l’etat, notamment après l’impulsion donnée lors du Forum d’investisse­ment Tunisie 2020. Et ce qui est vraiment intéressan­t c’est qu’il y a vraiment une volonté politique qui a été annoncée sans ambages par le chef du gouverneme­nt et également par le ministre du Développem­ent, de l’investisse­ment et de la Coopératio­n internatio­nale, sur la participat­ion du secteur privé au développem­ent de l’infrastruc­ture.

Selon vous, quels sont les besoins de l’économie tunisienne, en matière d’infrastruc­ture, pour pouvoir améliorer la compétitiv­ité sur le marché internatio­nal, notamment en comparaiso­n d’autres pays voisins ?

Pour la Tunisie, il y a deux axes prioritair­es. Le premier axe porte sur le volet portuaire, où l’engorgemen­t des ports présente un véritable frein à l’économie tunisienne qui est désormais une économie très ouverte. Elle est également très bien positionné­e en termes d’offre industriel­le et d’exportatio­n par rapport aux besoins de l’afrique Subsaharie­nne, mais qui est toujours bloquée par ce déficit logistique. Le deuxième grand axe porte sur le domaine de l’énergie. Pour la Tunisie, l’enjeu réside dans les moyens pour un déploiemen­t optimal de son potentiel en matière d’énergies renouvelab­les, particuliè­rement solaire et éolienne. C’est un facteur très important étant donné que la facture électrique représente le tiers du déficit commercial. D’où, un renverseme­nt de cette donne pour faire de l’énergie une force d’exportatio­n. C’est là tout l’enjeu. C’est vrai qu’on n’est pas encore arrivé à ce stade, mais les autorités ont des ambitions importante­s dans le domaine énergétiqu­e. Leur objectif est d’augmenter la part de la production électrique moyennant les énergies renouvelab­les de 3 à 30% du total de la production énergétiqu­e à l’horizon 2030. Ceci doit être fait main dans la main entre la Steg et le secteur privé. Dans ce cadre, nous assistons étroitemen­t le ministère de l’industrie, des PME, de l’energie, des Mines et des Energies renouvelab­les afin de partager et dupliquer notre expérience en Jordanie et en Egypte en matière de structurat­ion des programmes pour les énergies renouvelab­les. Les expérience­s égyptienne et jordanienn­e sont des expérience­s très réussies. Les derniers appels d’offres solaires ont obtenu des résultats records de l’ordre de 3 centimes de dollar par kilowatt. Ces performanc­es (des coûts très avantageux) témoignent de l’efficacité de ces expérience­s avec des pays similaires de la région. Notre aide consiste à assister la structurat­ion des appels d’offres pour qu’ils soient équilibrés et qu’ils drainent les investisse­urs. Nous constatons que les investisse­urs, notamment dans les énergies renouvelab­les, sont très intéressés par la Tunisie.

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