Affaire Khashoggi: quelles retombées ?
Ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’affaire Khashoggi, qui en d’autres temps aurait été sacrifiée sur l’autel de la raison d’etat et des «intérêts supérieurs», est en train de prendre une ampleur sans précédent. Et le paradoxe, c’est que les Etats ne se contentent pas de laisser les médias s’emparer de l’affaire : ils seraient plutôt dans le rôle de celui qui souffle sur les braises. La mort présumée du journaliste saoudien dans l’enceinte du consulat de son pays à Istanbul a donné lieu, en effet, à un concert d’accusations et de menaces émanant des «plus hautes sphères». Après les mises en garde de Recep Tayyip Erdogan, qui intervenait en tant que président du pays où les faits ont eu lieu, il y a eu Donald Trump qui est monté au créneau en sa qualité de président du pays où le journaliste résidait officiellement… Le premier mettait les autorités saoudiennes « au défi » de prouver que le journaliste avait bien quitté le consulat en ce mardi 2 octobre, comme elles l’affirmaient. Tandis que le second menaçait l’arabie saoudite d’un « châtiment sévère » dans l’hypothèse où les faits incriminés étaient avérés…
Que peut-on attendre du développement futur de cette affaire ? Au point auquel elle est parvenue dans l’opinion internationale, elle ne peut tout simplement plus être étouffée et nous devons envisager des conséquences diplomatiques : soit une forme ou une autre de gel des relations de plusieurs pays avec Riyad — ce qui déboucherait finalement sur une situation analogue à celle qu’a subie le Qatar au sein des pays du Golfe — étant donné que malgré les démentis saoudiens, les indices s’accumulent en faveur de la thèse du meurtre politique… soit des mesures de réparation engagées par l’arabie saoudite au niveau du fonctionnement de son système de renseignement et de gestion des voix discordantes sur sa scène politique.
Les toutes dernières informations, qui font état d’éléments « incontrôlables », suggèrent qu’on pourrait s’acheminer dans cette seconde direction. Face aux accusations et aux menaces dirigées contre elle, l’arabie saoudite a commencé par promettre de répliquer. Le prince héritier, Mohamed Ben Salmane, a par ailleurs maintenu une attitude de dénégation, en laissant entendre qu’il ne savait pas ce qui s’est passé dans le consulat d’istanbul. Sous-entendu : il a pu se passer des choses, mais alors elles se seraient passées en dehors de ses ordres et sans son aval… Et puis, nous avons appris qu’un échange téléphonique a eu lieu entre le président américain et le roi d’arabie, à la suite duquel l’on a appris du premier que des «éléments incontrôlables» pourraient avoir été derrière les événements en question.
Quoi qu’il en soit, on reste sidérés à l’idée d’abord qu’un régime puisse, aujourd’hui — et de façon contrôlée ou non contrôlée — répondre au problème des voix critiques par l’option de la liquidation physique et, ensuite, qu’il le fasse au mépris des retombées diplomatiques et économiques pour le pays, ou dans une sorte de cécité par rapport aux conséquences… Dans la mesure où la thèse de la mort devait se vérifier, on ne peut qu’encourager l’arabie saoudite à revoir profondément ses méthodes d’action et la philosophie qui régit sa vie politique : au vu des ambitions nouvelles qui sont affichées en termes de modernisation, c’est incontournable !