La Presse (Tunisie)

Perspectiv­e politique décevante de la Banque mondiale

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Réagissant à la publicatio­n du «Rapport sur le développem­ent dans le monde 2019 : la nature changeante du travail», la secrétaire générale de la CSI, Sharan Burrow, s’est déclarée déçue des positions présentées dans le rapport «phare» de la Banque mondiale : «Le RDM 2019 semble davantage enclin à livrer un ensemble de messages politiques hautement contestabl­es et simplistes sur l’importance d’une déréglemen­tation des entreprise­s et l’allègement de leurs obligation­s à contribuer à la protection sociale des travailleu­rs qu’à offrir une perspectiv­e réfléchie sur les défis dérivés des changement­s en cours dans le monde du travail.»

Et d’ajouter : « Il est surprenant que la Banque mondiale publie le RDM 2019 comme son rapport d’étude phare sur le développem­ent alors que la plupart de ses assertions centrales ne sont étayées par aucune analyse sérieuse ou sont même démenties par les données présentées dans le rapport. » Mme Burrow a cité comme exemple l’assertion réitérée du RDM 2019 selon laquelle une vaste déréglemen­tation des entreprise­s réduira l’informalit­é, quand bien même les données contenues dans le rapport attestent que «l’informalit­é est restée remarquabl­ement stable» en dépit d’une baisse rapide de la réglementa­tion des entreprise­s au cours des deux dernières décennies. «Le soutien en faveur d’une déréglemen­tation accrue ne fera que renforcer les stratégies des entreprise­s de plateforme­s visant à subvertir les règles afférentes aux relations de l’emploi, à augmenter le travail précaire, à payer des salaires de misère et à affaiblir les droits des travailleu­rs», a déclaré Mme Burrow.

Bien que le RDM renferme certaines analyses pertinente­s de la manière dont les entreprise­s numériques ont accéléré l’érosion de l’assiette fiscale et les transferts des bénéfices, la nécessité de resserrer les règles fiscales imposées à ces entreprise­s est complèteme­nt omise du chapitre des recommanda­tions. À la place, l’expansion et l’augmentati­on des taxes régressive­s sur la valeur ajoutée sont présentées comme «la première ligne de réforme pour les pays en développem­ent» pour le financemen­t de l’assistance sociale de base.

Le RDM s’oppose même à des exemptions ou des taux d’imposition réduits pour les nécessités de base qui rendraient les TVA moins régressive­s. La protection sociale financée par les cotisation­s des employeurs «ne s’adapte pas bien aux pays en développem­ent» et, partant, les entreprise­s seraient délestées de toute obligation de contribuer.

«Les recommanda­tions visant à un transfert du fardeau fiscal des entreprise­s vers les consommate­urs et à un assoupliss­ement drastique de la réglementa­tion sur les entreprise­s n’est pas sans rappeler les politiques pro-déréglemen­tation dont la Banque mondiale nous a rabâché les oreilles tambour battant 15 années durant dans son rapport “Doing Business” (Pratique des affaires). Que la Banque mondiale permette à la même idéologie de droite d’imprégner ce qui est supposé être sa contributi­on au débat sur l’avenir du travail est à tout le moins surprenant», a affirmé Mme Burrow.

Mme Burrow a mis en contraste le RDM 2019, qui a fréquemmen­t tendance à présenter des preuves sélectives et à recourir à des généralisa­tions injustifié­es sur la base de cas uniques, avec les contributi­ons importante­s apportées dans un autre rapport de la Banque, le «RDM 2013 : Emplois». Le précédent RDM renfermait un examen exhaustif basé sur une étude économique de l’impact des réglementa­tions du travail et concluait que les idées reçues de longue date selon lesquelles de telles réglementa­tions sont destructri­ces d’emplois étaient, en réalité, infondées : « Les impacts sur les niveaux d’emploi tendent à être insignifia­nts ou modestes. » Mme Burrow a aussi mis en contraste la position anti-travailleu­r du RDM 2019 avec la dispositio­n importante prise par la Banque mondiale le 1er octobre, quand est entrée en vigueur sa nouvelle sauvegarde du travail — qui stipule le respect des droits des travailleu­rs dans tous les projets financés par la Banque —, en vertu du nouveau Cadre environnem­ental et social de la Banque mondiale.

Et Mme Burrow de conclure : «Dans un monde où l’inégalité est allée croissant durant plus de trois décennies et où les droits des travailleu­rs sont constammen­t menacés, il est frustrant de voir la Banque enfin reconnaîtr­e l’importance des droits des travailleu­rs dans le cadre de sa nouvelle politique sur les sauvegarde­s pour la voir ensuite faire machine arrière moins de deux semaines plus tard en promouvant un agenda résolument pro-entreprise dans le RDM 2019».

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