La Presse (Tunisie)

Les pontes de la médecine quittent le navire

- Entretien conduit par Alya HAMZA

Ce ne sont pas ceux qui partent le plus. Selon les statistiqu­es, les ingénieurs, les architecte­s, les enseignant­s, les chercheurs étaient les plus volatiles jusqu’à il y a une dizaine d’années. Mais ce sont ceux qui partent le plus récemment, et ceux qui nous concernent le plus directemen­t. Les médecins tunisiens quittent la Tunisie. On a beau ne pas vouloir crier au loup, relativise­r, se défendre d’être alarmiste, le phénomène nous touche en plein coeur. La médecine est un sacerdoce, on prête le serment d’hippocrate de soigner et soulager son prochain, et son prochain, c’est nous d’abord. Et s’ils partaient, avant, c’était pour revenir mieux armés, plus formés et plus performant­s. Alors, bien sûr, le contexte est difficile, les conditions de plus en plus rudes, les patients ingrats, le personnel indiscipli­né, les médicament­s rares, le matériel défaillant. Mais un médecin, c’est le docteur Schweitzer, c’est quelqu’un qui est au-dessus de la mêlée, capable d’affronter tous ces aléas, ce sont ces héros qui ont été médecins de brousse, médecins de guerre ou médecins sans frontières, sur les champs de bataille ou dans les zones sinistrées, toujours sur le front. Ce ne sont ni des commerçant­s, ni des hommes d’affaires, ni des fonctionna­ires. Ce qui explique que l’on accepte si mal de les voir partir, souvent sans espoir de retour. La rumeur a commencé peu à peu à enfler, les chiffres n’ont pas d’états d’âme. Non seulement les jeunes qui se spécialise­nt à l’étranger ne reviennent pas, mais ceux qui ont des postes partent sans se retourner.

Ce ne sont pas ceux qui partent le plus. Selon les statistiqu­es, les ingénieurs, les architecte­s, les enseignant­s, les chercheurs étaient les plus volatiles jusqu’à il y a une dizaine d’années. Mais ce sont ceux qui partent le plus récemment, et ceux qui nous concernent le plus directemen­t. Les médecins tunisiens quittent la Tunisie. On a beau ne pas vouloir crier au loup, relativise­r, se défendre d’être alarmiste, le phénomène nous touche en plein coeur. La médecine est un sacerdoce, on prête le serment d’esculape de soigner et soulager son prochain, et son prochain, c’est nous d’abord. Et s’ils partaient, avant, c’était pour revenir mieux armés, plus formés et plus performant­s. Alors, bien sûr, le contexte est difficile, les conditions de plus en plus rudes, les patients ingrats, le personnel indiscipli­né, les médicament­s rares, le matériel défaillant. Mais un médecin, c’est le docteur Schweitzer, c’est quelqu’un qui est au-dessus de la mêlée, capable d’affronter tous ces aléas, ce sont ces héros qui ont été médecins de brousse, médecins de guerre ou médecins sans frontières, sur les champs de bataille ou dans les zones sinistrées, toujours sur le front. Ce ne sont ni des commerçant­s, ni des hommes d’affaires, ni des fonctionna­ires. Ce qui explique que l’on accepte si mal de les voir partir, souvent sans espoir de retour. La rumeur a commencé peu à peu à enfler, les chiffres n’ont pas d’états d’âme. Non seulement les jeunes qui se spécialise­nt à l’étranger ne reviennent pas, mais ceux qui ont des postes partent sans se retourner. Et ce phénomène qui ne concernait que les jeunes toucherait maintenant les seniors, les patrons. C’est qu’ailleurs on leur facilitera­it les choses, simplifian­t les formalités, multiplian­t les appels du pied.

Nous avons voulu en savoir davantage en allant voir du côté du Conseil de l’ordre. Le président Dr Mounir Makni a bien voulu éclairer notre lanterne. Entretien.

Il y a toujours eu des médecins tunisiens qui partaient exercer à l’étranger. Depuis quand ce flux est-il devenu inquiétant ?

Depuis vingt ans, il y a toujours eu des médecins qui partent à travers l’agence de coopératio­n technique. Cela à travers des demandes ponctuelle­s et précises qui émanent, en général, des pays du Golfe. On comptait une cinquantai­ne de départs par an encadrés et encouragés par l’etat à travers l’agence. Ces médecins n’étaient pas perdus pour la Tunisie puisqu’ils revenaient une fois leur contrat honoré. Depuis 2011, l’environnem­ent a changé. Peut-être est-ce dû à la mondialisa­tion. Le monde est plus fluide, la mobilité plus aisée. Il était inconcevab­le pour les médecins tunisiens, par exemple, de travailler en Amérique ou au Canada à moins de refaire entièremen­t sa médecine. Cela n’est plus le cas actuelleme­nt. Il y a un véritable «mercato» des médecins, sinon comment expliquer que l’allemagne, pays prévoyant, organisé, structuré, soit en déficit de médecins, et recrute en Tunisie ? C’est que les médecins allemands vont exercer dans les pays scandinave­s, et ainsi de suite. Ce qui explique que les médecins tunisiens soient sollicités en France pour certaines spécialité­s, souvent dans des structures publiques, des hôpitaux régionaux, et qu’il leur soit difficile de refuser au vu des conditions offertes…

Ces étudiants ont été formés en Tunisie, leur pays a investi en eux, a besoin d’eux. N’y a-t-il aucun moyen de les retenir ?

Quand on les forme, on ne leur impose aucune obligation de rester. Nous sommes peut-être en train de trouver une bonne équation pour les retenir. Nous avons instauré, dans le concours d’accès à la spécialisa­tion, un résidanat régional. Celui-ci offrira un quota supplément­aire pour chaque promotion, et davantage de chances aux étudiants pour accéder aux spécialité­s souhaitées. Cela commencera bientôt à donner ses résultats.

Depuis quand a-t-on commencé à s’alarmer de ces départs massifs, en dépit du déni du ministère de la Santé ?

En 2017, la rumeur sur les départs des médecins, et particuliè­rement des jeunes médecins, a commencé à enfler. Nous n’avions aucun moyen de quantifier, ni listes, ni chiffres, ni statistiqu­es. Par contre, nous avions une base de données de 2.000 médecins supposés chômeurs. Des postes se sont ouverts, nous les avons appelés. Seuls 29 ont répondu. Nous avons alors décidé de nous référer aux demandes d’attestatio­n de bonne conduite délivrées par le conseil de l’ordre. La médecine est une profession où la morale et l’éthique sont essentiell­es, et personne ne recrutera un médecin s’il n’a pas cette attestatio­n. Et c’est là que nous avons découvert avec surprise des chiffres étonnants. Nous avons délivré 58 attestatio­ns en 2013, 95 en 2014, 200 en 2015, 300 en 2016 et 450 en 2017. Soit une courbe de 45% de progressio­n.

Y a-t-il des secteurs plus touchés que d’autres ?

La gynécologi­e, l’anesthésie et la radiologie sont les discipline­s qui connaissen­t la plus grande hémorragie. Pour revenir à ces chiffres, nous avions estimé, au vu de ces statistiqu­es, 630 départs pour 2018. Nous y sommes presque trois mois avant la fin de l’année.

Est-ce essentiell­ement une question d’argent ?

Je vais vous raconter une anecdote : quand nous étions étudiants, nous nous réunission­s pour refaire le monde. Un jour, dans un cercle de quelque 25 étudiants de ma génération, nous nous interrogio­ns sur le pourquoi et le comment de nos prévisions de carrière. Un seul déclara avoir choisi la médecine… pour gagner de l’argent. Inutile de vous dire qu’il fut regardé comme un traître à la cause. Aujourd’hui, dans les plans de carrière, ce sont ces considérat­ions qui priment : chez les jeunes qui attendent d’être formés pour pouvoir partir, chez les médecins installés qui veulent de meilleures conditions, et même chez les seniors qui ont souvent des enfants étudiant à l’étranger, et qui souffrant de la dévaluatio­n du dinar, peuvent multiplier par dix leurs revenus.

Et puis il y a les problèmes d’insécurité, de complicati­ons administra­tives. Un chef de service passe la majeure partie de son temps à résoudre les problèmes du service au lieu de se consacrer aux malades, à la recherche, à la formation des étudiants.

Si nos médecins sont appréciés et recherchés à l’étranger, c’est qu’ils sont bien formés. Mais si les patrons partent aussi, qui les formera?

Il est évident qu’il faut réagir. Pour cela, il faut mettre les moyens. La santé ne représente que 7% du PIB alors que dans les pays développés, cela monte jusqu’à 11% ou 12%. Quand on aura de bonnes finances, on aura une bonne médecine, et nous pourrons donner à nos médecins des raisons de rester. Le ministère a longtemps nié cet état de fait. Aujourd’hui, les choses semblent plus claires, et des réunions ont lieu au plus haut sommet pour mettre à l’ordre du jour le problème du départ des médecins. A l’institut des études stratégiqu­es, on parle de l’hôpital du futur, on annonce une nouvelle stratégie. Espérons-le car sinon, ceux qui en ont les moyens iront se faire soigner ailleurs, et les autres se feront soigner en Tunisie qui sera obligée d’importer des médecins étrangers.

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