Contraintes et obligations économiques
Le Dr Mohamed Ali Bouhdiba travaille depuis quelque vingt années dans les pays du Golfe, Dubai, Koweït... Il a néanmoins gardé une proximité attentive avec le domaine de la santé en Tunisie, y conserve de nombreux amis, et revient régulièrement se replonger dans l’atmosphère du monde médical. Il nous confie un point de vue analytique, dépassionné et lucide
Le Conseil de l’ordre des médecins tire la sonnette d’alarme et annonce que 900 médecins quitteront la Tunisie en 2019. Il dit que d’ici 2024, ce seront 2.000 médecins qui partiront chaque année et qu’il faudra importer des médecins étrangers. Tout cela est effectivement inquiétant, mais pas tant que ça. Nous avons 4 facultés de médecine en Tunisie qui totalisent environ 11.000 étudiants. Pour y entrer, il faut une excellente moyenne au bac. Seuls 700 sont admis sur un total de 50.000 bacheliers. Chaque année 2.000 médecins obtiennent leurs diplômes et parmi eux, un concours sélectionne 400 pour la spécialité.
On voit donc que malgré nos besoins, les études médicales restent difficiles d’accès et que la filière est étranglée par un numérus closus. Notre démographie médicale est de 1,65 médecin pour mille habitants, c’est peu mais ce n’est pas très différent de la Turquie (1,84), ni de Singapour (1,9), ni de la Chine (1,49), ni même du Qatar (1,96). La démographie de toute façon est un mauvais indicateur car si la France compte 3,2 médecins par mille habitants, elle est largement dépassée par la République démocratique du Congo qui compte 9 médecins pour mille habitants, par la Bulgarie (4) et par l’azerbaïdjan (3,4). Il ne faut pas oublier aussi que 10% des médecins sont au chômage et que le Conseil de l’ordre avait, il y a peu, annoncé qu’il y avait trop d’ouvertures de cabinets médicaux en Tunisie. Nos jeunes médecins ont toujours été faire des stages à l’étranger, ce n’est pas nouveau. C’est l’augmentation du nombre des départs qui inquiète le Conseil de l’ordre. Cela n’est pas nécessairement en rapport avec la dégradation des hôpitaux et pourrait être dû au fait que la France a assoupli considérablement les conditions de recrutement des médecins étrangers. Quant à leurs aînés qui quittent de plus en plus, on peut les comprendre. Ces gens ont parfois des enfants qui étudient à l’étranger et avec la chute du dinar, ils n’arrivent plus à faire face aux dépenses en euros. Ils quittent donc pour un salaire en devises fortes. Outre la dégradation de la médecine en Tunisie, hôpitaux sales et délabrés, manque d’équipements, manque de médicaments, etc….
La cause semble être un désengagement de l’etat de la santé publique, sur les conseils «judicieux»du FMI. Nous pouvons comprendre cela comme un argument économique dans une économie en pleine mutation,mais une armée ne se replie jamais dans le désordre. Le désengagement ne doit pas être un abandon, mais au contraire un processus minutieusement contrôlé en essayant d’utiliser de façon optimum nos maigres ressources.