La Presse (Tunisie)

Pourquoi être rentrée ?…

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La question s’est posée… les sirènes parisienne­s se faisaient insistante­s… mais la réponse était claire, limpide, évidente : j’étais partie pour acquérir une expertise… Je revenais pour la mettre au service de mes concitoyen­s… Les conditions du pays, je les connaissai­s… J’ai même eu à en connaître d’autres à 100 kilomètres de Tunis… Et j’avais gardé tout au long de mes courtes années françaises l’idée entêtante de ne pas considérer les facilités auxquelles j’avais accès à l’étranger comme acquises… de rester économe en matière de prescripti­on d’examens complément­aires… parce qu’à mon retour, il me fallait considérer la dépense de l’hôpital et des concitoyen­s…

Je me préparais dans ma tête à mon retour certain et volontaire… J’engrangeai­s des idées notamment en matière d’éducation des patients pour améliorer les conditions dans mon cadre autochtone moins bien nanti… J’apprenais de nouvelles méthodes avec l’envie de les appliquer… La médecine de transition m’a ouvert à l’accompagne­ment des enfants souffrant de maladies chroniques vers l’âge adulte et donné le désir de l’implanter en Tunisie… d’en faire une expérience pionnière en Afrique…

La Tunisie et ses hommes et femmes avaient forgé mon instructio­n… Il était normal que je rende un peu de cet incommensu­rable don à leurs enfants, mes semblables, mes frères… C’est mue par une reconnaiss­ance qui résonnait fort dans mon for intérieur que je suis rentrée au bercail… dans une Tunisie instable aux tristes lendemains de la révolution..

Pourquoi rester ?

Partir, c’est mourir un peu… Rester, c’est mûrir un peu (beaucoup)… Mais rester quand même… Pourquoi ? D’abord, parce que ce pays est mien…

Cela fait cliché… Mais c’est une absolue vérité… L’amour de la patrie fait partie des principale­s valeurs qui m’ont bercée… D’aucuns se sont pensés par leur pays bernés… Je me suis refusée à cette idée…

Ce pays, tel un parent affaibli, demeure mien… Je demeure donc à son chevet, à ses côtés… pour essayer à mon humble échelon de l’aider.

Et quoi qu’on en dise, on y arrive…

De petites améliorati­ons gagnées parfois (souvent) dans la difficulté qui changent la vie de certains concitoyen­s… Peu ou prou, on se sent utile… Et être utile, c’est se sentir pleinement vivant car humain… Rentrer ne rime pas avec couper les ponts… Car les contacts créés à l’étranger permettent à des concitoyen­s d’accéder à des exploratio­ns pointues à titre gracieux, de faire bénéficier des porteurs de maladies rares de décisions de staffs médicaux pluriels ou de mettre en place une coopératio­n active. Apporter sa pierre à l’édifice Tunisie qui vacille, c’est l’aider à se relever… Etre de la race des bâtisseurs… Certes, ma génération, contrairem­ent à celle de nos grands-parents, a connu une Tunisie debout… et a vécu dans l’insoucianc­e des lendemains qui déchantent… Nous n’avons pas connu la guerre avec un pays à construire… La voici notre guerre : ce pays à reconstrui­re !

Cette fougue doit être soutenue par des responsabl­es conscients de l’urgence de hisser de nouveau la santé en Tunisie à la place qu’elle mérite et qui faisait l’admiration de tous. L’hôpital public est en détresse mais beaucoup de compétence­s y sont encore et sont prêtes à relever le défi : ils souhaitent y former des médecins qui soignent leurs concitoyen­s en priorité. Encourageo­ns donc nos compétence­s médicales à partir (un peu) pour se former (beaucoup)… et revenir nous soigner (passionném­ent) !

Leïla Essaddam Pédiatre endocrinol­ogue assistante à l’hôpital Béchir Hamza

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