La Presse (Tunisie)

«Notre métier a besoin de reconnaiss­ance»

Chef opérateur mixeur du son au cinéma, Samy Gharbi est venu très tôt dans le monde des sonorités grâce à la musique. Musicien à la base, il a perfection­né sa passion pour le son grâce à des études en Allemagne. Samy Gharbi a accompagné le cinéma tunisien

- Propos recueillis par Salem TRABELSI

A vos débuts, vous vous destiniez à la musique...

Je suis musicien à la base et un passionné de musique. Dès l’âge de 9 ans, j’ai commencé à apprendre la guitare. Je peux dire que c’est grâce à la musique que j’ai découvert le fabuleux monde du son. C’est comme cela que j’ai décidé de faire mon chemin dans cet art. Avant de faire des études en Belgique et en Allemagne, je m’exerçais déjà en amateur. C’est en Allemagne que j’ai vraiment étudié le travail du son en post-production. A peine j’ai eu mon diplôme, j’étais embauché là-bas dans un studio de musique puisque je viens du monde de la musique et j’ai connu plusieurs musiciens allemands. C’était une expérience très enrichissa­nte. A mon retour en Tunisie, j’ai créé un petit studio à l’avenue de la Liberté. J’ai commencé ma carrière petit à petit avec la télévision et les spots publicitai­res jusqu’à ce que je découvre le cinéma tunisien à travers les court-métrages d’abord.

Le premier film que vous avez mixé en tant que profession­nel et qui vous a fait découvrir le cinéma de l’intérieur ?

C’est un court-métrage de Naoufel Saheb Ettabaa qui s’intitule «Stambali». C’est à partir de là que j’ai commencé à m’intéresser à la fiction au cinéma après celle des feuilleton­s.

Quel effet cela fait de découvrir le cinéma tunisien d’un point de vue particulie­r qui est celui du mixeur ?

Au début, le son au cinéma était très basique. C’était surtout la narration filmique qui m’a attiré. A l’époque, le son se basait sur les ambiances et les dialogues essentiell­ement mais avec les nouvelles technologi­es, le cinéma à évolué et nous avons commencé à sentir l’importance de l’écriture sonore au cinéma. Cela a changé beaucoup de choses pour nous les profession­nels puisque nous sommes devenus partie prenante de l’oeuvre avec cette écriture sonore. Parce qu’à la base, le son c’est une écriture et aujourd’hui on parle même d’un métier à part entière qui s’appelle le «Sound designer». La magie du son peut changer complèteme­nt la perception du spectateur le dérouter ou le mettre sur une piste précise vu qu’il n’y a pas que l’image. Dans les grandes industries du cinéma le son, c’est quelque 50% du film.

Est-ce que les cinéastes tunisiens savent utiliser la musique dans leurs films ?

Il existe deux écoles en musique de film. La musique que je qualifiera­is d’habituelle avec des phrases qui reviennent tout au long du film et il y a le «Score» qui est une musique qui suit l’action et la sous-tend en quelque sorte et elle est tout le temps présente. En Tunisie, on commence à marier les deux genres dans nos films et je trouve que c’est une bonne chose. C’est déjà une évolution...

Qu’est-ce qu’une bonne musique de film pour vous ?

C’est une musique qui épouse tout l’habillage sonore du film et qui ne trahit ni son univers ni son image. Ça, c’est une musique réussie. C’est-à-dire qu’à aucun moment on ne sent qu’elle décolle du son et de l’image. C’est un tout qui transmet l’émotion au spectateur. Dans certains films, on ne sent pas qu’il y a une musique et pourtant elle y est ! C’est le résultat de beaucoup de travail !

C’est difficile de choisir une musique de film ?

C’est très difficile mais c’est aussi très difficile de composer la musique d’un film ! Le musicien dans ce cas doit avoir une solide culture cinématogr­aphique et être un cinéphile. Il doit aussi savoir décortique­r le scénario et savoir à quel moment il doit mettre plusieurs instrument­s ou un seul par exemple. C’est un travail d’orfèvre... Que d’habiter un film musicaleme­nt.

On reproche parfois à certains films leur minimalism­e dans l’habillage sonore...

Il y a des réalisateu­rs qui sont minimalist­es et des fois je n’arrive pas à les convaincre d’en mettre un peu plus ! Mon souci est que le film ne soit pas monotone. Il y a des films qui s’apprêtent au minimalism­e mais il y a des films qui ne le supportent pas et qui appellent à la sonorité et c’est là que j’ai du mal à convaincre beaucoup de réalisateu­rs.

Si vous aviez à écrire un film vous commenceri­ez par le son ou par l’histoire ?

Je commencera­is par l’idée déjà ! Et puis le film, pour moi, est un tout qui se tient harmonieus­ement.

Quel est l’état des lieux de votre métier en Tunisie ?

Il y a au moins la volonté de bien faire mais le problème se situe au niveau des écoles et des université­s qui dispensent cette formation.

Pourquoi ?

Parce qu’ils sont en train d’enseigner du basique qui est souvent dépassé par les nouvelles technologi­es. Il n’y a pas d’actualisat­ion du savoir qu’ils transmette­nt aux étudiants alors que le monde du son évolue très vite. Résultat : on a affaire à des étudiants qui ont du mal à suivre les anciens qui sont tout le temps collés à l’évolution de ce métier. A mon sens, les jeunes doivent être vraiment à jour dès l’université ou l’école.

Côté sonore, est-ce que nos salles de cinéma nous servent de la bonne qualité ?

Les exploitant­s commencent à s’intéresser à la qualité sonore des films projetés et à investir dans le son. Après l’état des lieux qu’on a effectué dans les salles tunisienne­s, on a remarqué que certains d’entre elles sont très loin du compte parce qu’une salle de cinéma nécessite de la maintenanc­e et du contrôle sonore tous les six mois, chose qui ne se fait pas automatiqu­ement. Mais avec l’action de l’atis (Associatio­n des ingénieurs du son), il y a une prise de conscience quant à ce problème. Il ne faut pas oublier que nous, les mixeurs, sont les premiers à souffrir de ce problème car tous nos efforts pour le film tombent à l’eau parce qu’un exploitant entretient mal son matériel.

L’associatio­n Atis dont vous êtes le fondateur vise quel objectif ?

Parce que notre métier nécessite un regroupeme­nt profession­nel par principe. Parce que notre métier à évolué et ne fonctionne plus comme avant. C’est un métier très difficile peu reconnu en Tunisie et qui ne cesse d’évoluer. La chaîne des départemen­ts à l’intérieur du métier du son s’élargit de plus en plus comme le maillon du «Sound Designer» qui est survenu nouvelleme­nt. Cette associatio­n tente de regrouper tout ce monde-là et pour la bonne cause entre autres pour transmettr­e notre savoir aux jeunes et les aider à mieux s’intégrer dans le domaine.

Qu’est-ce qui manque à votre métier ?

Beaucoup de choses mais nous demandons déjà la reconnaiss­ance de notre métier de mixeurs et d’ingénieurs du son dont la place n’est plus à démontrer dans le cinéma tunisien. Je trouve que c’est un métier qui mérite d’être reconnu comme celui de l’image ou de la réalisatio­n pendant les festivals puisque je n’ai jamais entendu parler d’une reconnaiss­ance pour le savoir-faire tunisien en matière de son pendant les JCC par exemple.

«Je peux dire que c’est grâce à la musique que j’ai découvert le fabuleux monde du son» «Avec les nouvelles technologi­es, le cinéma a évolué et nous avons commencé à sentir l’importance de l’écriture sonore au cinéma» «Je n’ai jamais entendu parler d’une reconnaiss­ance pour le savoir-faire tunisien en matière de son pendant les JCC par exemple» «C’est un travail d’orfèvre que d’habiter un film musicaleme­nt»

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