La difficile équation
Après les dernières inondations de Bizerte et de Nabeul, il est légitime de s’interroger sur ce qui a été, véritablement, fait pour prémunir nos villes contre les catastrophes de ce genre. S’il est vrai que devant le déchaînement de la nature, il est impe
La puissance des précipitations à Nabeul a tourné autour des 300 mm en un temps record. Il est impossible pour n’importe quelle infrastructure de résister. L’exemple des dégâts causés par de tels phénomènes en Europe, et en particulier en France, a montré la précarité de certains ouvrages face à la force des éléments de la nature.
Ce qui ne devrait, en aucun cas, constituer une excuse pour disculper les responsables éventuels. Car ce qui est arrivé et qui risque de se reproduire là ou ailleurs n’a pas trouvé les explications nécessaires. Les causes sont multiples et complexes. Elles vont de ce qui est de l’ordre de la prévention et de la protection à ce qui relève de la planification et des études de terrain.
La télévision nationale a invité un expert, en l’occurrence le géomorphologue et universitaire Mongi Bourgou, reconnu au niveau international, pour apporter un éclairage sur ce phénomène naturel. Ce qu’il avait affirmé relevait de la simple logique. En tant que spécialiste des risques naturels, il avait expliqué que les averses enregistrées, dernièrement à Nabeul, se situent dans un cadre naturel qui n’est autre que la transition entre les saisons. Toutefois, cette transition a été trop brusque. Durant cette période, les cours d’eau sortent de leurs lits lors des crues et s’amplifient. Lorsqu’ils rencontrent des constructions installées dans leurs lits, ils emportent tout sur leur passage. En somme, l’oued reprend son cours initial et, par conséquent, ses droits que l’homme lui a enlevés. S’il y a des catastrophes c’est parce que l’homme occupe les voies naturelles d’écoulement. De plus, les ponts sont construits dans les endroits où l’eau coule faiblement. Donc, quand les flots sont impétueux, l’eau va se déchaîner et détruire tout ce qui s’oppose à elle.
44 études en cours
Si les voies d’eau sont fermées, c’est à cause de l’urbanisation galopante et anarchique. D’où la nécessité d’anticiper par les moyens de curage, de drainage, d’entretien et d’élargissement de ces voies. En fait-on assez ? La réponse est, malheureusement, négative. On se limite au strict minimum jusqu’à ce que la catastrophe arrive. On réagit après coup. Tous les services se renvoient, alors, la balle. Pourtant, le mal est fait. Et les conséquences, à bien y voir, sont de loin très importantes. Avec des mesures de prévention et une politique d’anticipation on aurait pu réduire les dégâts. Aujourd’hui, il faudrait des centaines et des centaines de milliards pour remettre en l’état l’infrastructure détruite. Mais il y a d’autres pertes irremplaçables (documents historiques, monuments et conséquences morales pour la population).
Sur un autre plan, il serait bon de signaler que les autorités avaient annoncé, quelques jours avant cette catastrophe survenue à Nabeul, qu’un programme de protection des villes était en préparation. 44 études sont actuellement en cours d’élaboration pour la protection des villes, réparties sur 22 gouvernorats pour un coût global estimé à 1.602 MD.
Les inondations du 24 août, à Bizerte, étaient un signe avantcoureur. Les spécialistes avaient, tous, mis en cause les quartiers et les lotissements anarchiques avoisinant les oueds et les cours d’eau. Pour eux, ce serait une des causes essentielles.
Tous, aussi, pensent que ces inondations sont dues à l’absence de fonctionnalité des équipements du traitement des eaux usées. Ils proposent, entre autres, de préserver la propriété publique des eaux, de juguler le phénomène de la construction et des lotissements anarchiques installés près des oueds, tout en procédant au contrôle, au curage et au nettoyage des équipements de traitement des eaux pluviales, outre la suppression des obstacles contre l’écoulement naturel des eaux vers le déversoir final.
Il y aurait lieu, par ailleurs, de s’en référer à un ancien rapport de la Cour des comptes, datant d’une dizaine d’années, qui porte, justement, sur la situation de l’aménagement du territoire et de l’aménagement urbain. Et là, on pense à nos ingénieurs et à nos architectes. Font-ils ce qu’il faut pour préserver la nature et réaliser de bons plans ? Ont-ils une part agissante allant dans ce sens ? Ou se contentent-ils de critiquer ce qui est proposé sans faire de contre-propositions viables ?
Négligences des collectivités locales
En tout état de cause, les remarques consignées dans le rapport indiqué de la Cour des comptes restent sans appel. Selon ce document, il en résulte de l’examen des différentes dispositions légales et d’organisation prises pour parer au risque d’inondation que l’effort consenti a couvert l’ensemble du territoire national. Cependant, certains aspects de la question appellent à davantage d’attention en vue de consolider l’action et les acquis en matière de protection des villes contre ce risque. Il s’agit, entre autres, du cadre juridique et d’organisation, des plans d’aménagement du territoire et des plans d’aménagement urbains, des ouvrages de protection et de drainage des eaux pluviales. Le rapport ajoute que le Code des eaux rend obligatoire la délimitation, par décret, du domaine public hydraulique dont font partie les cours d’eau de toutes sortes et les terrains compris dans leurs francs bords. En l’absence de ces décrets ou de leur application, il est automatique de voir certains dépassements. L’utilisation des plans directeurs d’aménagement serait de nature à faciliter l’action de détermination des spécificités de chaque région avec la précision et l’exhaustivité requises et notamment pour tout ce qui a trait aux risques d’inondations.
En ce qui concerne les plans d’aménagement urbain, le code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme stipule que ces plans doivent prendre en compte les risques naturels ainsi que les facteurs environnementaux de la région concernée. Or, il s’avère que les collectivités locales, les autorités régionales et les directions centrales du ministère de l’equipement, de l’habitat et de l’aménagement du territoire n’ont pas toujours observé, lors de l’élaboration de ces plans, les dispositions édictant l’obligation de faire mention expresse des risques d’inondations.
En matière de respect des plans d’aménagement urbain par les collectivités locales, plusieurs écarts ont été constatés, telle l’édification de constructions, voire de cités d’habitation, dans des zones inondables.
Pis encore, les collectivités locales n’ont pas toujours apporté les soins requis à la réalisation des réseaux de drainage des eaux pluviales dans leurs zones d’intervention. Les motifs invoqués tiennent au manque de crédits et à l’insuffisance des ressources humaines et techniques. Or, il serait bien à propos de réexaminer ces possibilités en redistribuant les ressources humaines pour une gestion plus efficiente.
Quant à l’entretien et à la maintenance des ouvrages de drainage des eaux pluviales, plusieurs collectivités locales n’y consentent pas l’effort nécessaire. Aussi ces ouvrages sont-ils obstrués et leur fonctionnalité réduite, sinon annulée.