La Presse (Tunisie)

La difficile équation

Après les dernières inondation­s de Bizerte et de Nabeul, il est légitime de s’interroger sur ce qui a été, véritablem­ent, fait pour prémunir nos villes contre les catastroph­es de ce genre. S’il est vrai que devant le déchaîneme­nt de la nature, il est impe

- A.CHRAIET

La puissance des précipitat­ions à Nabeul a tourné autour des 300 mm en un temps record. Il est impossible pour n’importe quelle infrastruc­ture de résister. L’exemple des dégâts causés par de tels phénomènes en Europe, et en particulie­r en France, a montré la précarité de certains ouvrages face à la force des éléments de la nature.

Ce qui ne devrait, en aucun cas, constituer une excuse pour disculper les responsabl­es éventuels. Car ce qui est arrivé et qui risque de se reproduire là ou ailleurs n’a pas trouvé les explicatio­ns nécessaire­s. Les causes sont multiples et complexes. Elles vont de ce qui est de l’ordre de la prévention et de la protection à ce qui relève de la planificat­ion et des études de terrain.

La télévision nationale a invité un expert, en l’occurrence le géomorphol­ogue et universita­ire Mongi Bourgou, reconnu au niveau internatio­nal, pour apporter un éclairage sur ce phénomène naturel. Ce qu’il avait affirmé relevait de la simple logique. En tant que spécialist­e des risques naturels, il avait expliqué que les averses enregistré­es, dernièreme­nt à Nabeul, se situent dans un cadre naturel qui n’est autre que la transition entre les saisons. Toutefois, cette transition a été trop brusque. Durant cette période, les cours d’eau sortent de leurs lits lors des crues et s’amplifient. Lorsqu’ils rencontren­t des constructi­ons installées dans leurs lits, ils emportent tout sur leur passage. En somme, l’oued reprend son cours initial et, par conséquent, ses droits que l’homme lui a enlevés. S’il y a des catastroph­es c’est parce que l’homme occupe les voies naturelles d’écoulement. De plus, les ponts sont construits dans les endroits où l’eau coule faiblement. Donc, quand les flots sont impétueux, l’eau va se déchaîner et détruire tout ce qui s’oppose à elle.

44 études en cours

Si les voies d’eau sont fermées, c’est à cause de l’urbanisati­on galopante et anarchique. D’où la nécessité d’anticiper par les moyens de curage, de drainage, d’entretien et d’élargissem­ent de ces voies. En fait-on assez ? La réponse est, malheureus­ement, négative. On se limite au strict minimum jusqu’à ce que la catastroph­e arrive. On réagit après coup. Tous les services se renvoient, alors, la balle. Pourtant, le mal est fait. Et les conséquenc­es, à bien y voir, sont de loin très importante­s. Avec des mesures de prévention et une politique d’anticipati­on on aurait pu réduire les dégâts. Aujourd’hui, il faudrait des centaines et des centaines de milliards pour remettre en l’état l’infrastruc­ture détruite. Mais il y a d’autres pertes irremplaça­bles (documents historique­s, monuments et conséquenc­es morales pour la population).

Sur un autre plan, il serait bon de signaler que les autorités avaient annoncé, quelques jours avant cette catastroph­e survenue à Nabeul, qu’un programme de protection des villes était en préparatio­n. 44 études sont actuelleme­nt en cours d’élaboratio­n pour la protection des villes, réparties sur 22 gouvernora­ts pour un coût global estimé à 1.602 MD.

Les inondation­s du 24 août, à Bizerte, étaient un signe avantcoure­ur. Les spécialist­es avaient, tous, mis en cause les quartiers et les lotissemen­ts anarchique­s avoisinant les oueds et les cours d’eau. Pour eux, ce serait une des causes essentiell­es.

Tous, aussi, pensent que ces inondation­s sont dues à l’absence de fonctionna­lité des équipement­s du traitement des eaux usées. Ils proposent, entre autres, de préserver la propriété publique des eaux, de juguler le phénomène de la constructi­on et des lotissemen­ts anarchique­s installés près des oueds, tout en procédant au contrôle, au curage et au nettoyage des équipement­s de traitement des eaux pluviales, outre la suppressio­n des obstacles contre l’écoulement naturel des eaux vers le déversoir final.

Il y aurait lieu, par ailleurs, de s’en référer à un ancien rapport de la Cour des comptes, datant d’une dizaine d’années, qui porte, justement, sur la situation de l’aménagemen­t du territoire et de l’aménagemen­t urbain. Et là, on pense à nos ingénieurs et à nos architecte­s. Font-ils ce qu’il faut pour préserver la nature et réaliser de bons plans ? Ont-ils une part agissante allant dans ce sens ? Ou se contentent-ils de critiquer ce qui est proposé sans faire de contre-propositio­ns viables ?

Négligence­s des collectivi­tés locales

En tout état de cause, les remarques consignées dans le rapport indiqué de la Cour des comptes restent sans appel. Selon ce document, il en résulte de l’examen des différente­s dispositio­ns légales et d’organisati­on prises pour parer au risque d’inondation que l’effort consenti a couvert l’ensemble du territoire national. Cependant, certains aspects de la question appellent à davantage d’attention en vue de consolider l’action et les acquis en matière de protection des villes contre ce risque. Il s’agit, entre autres, du cadre juridique et d’organisati­on, des plans d’aménagemen­t du territoire et des plans d’aménagemen­t urbains, des ouvrages de protection et de drainage des eaux pluviales. Le rapport ajoute que le Code des eaux rend obligatoir­e la délimitati­on, par décret, du domaine public hydrauliqu­e dont font partie les cours d’eau de toutes sortes et les terrains compris dans leurs francs bords. En l’absence de ces décrets ou de leur applicatio­n, il est automatiqu­e de voir certains dépassemen­ts. L’utilisatio­n des plans directeurs d’aménagemen­t serait de nature à faciliter l’action de déterminat­ion des spécificit­és de chaque région avec la précision et l’exhaustivi­té requises et notamment pour tout ce qui a trait aux risques d’inondation­s.

En ce qui concerne les plans d’aménagemen­t urbain, le code de l’aménagemen­t du territoire et de l’urbanisme stipule que ces plans doivent prendre en compte les risques naturels ainsi que les facteurs environnem­entaux de la région concernée. Or, il s’avère que les collectivi­tés locales, les autorités régionales et les directions centrales du ministère de l’equipement, de l’habitat et de l’aménagemen­t du territoire n’ont pas toujours observé, lors de l’élaboratio­n de ces plans, les dispositio­ns édictant l’obligation de faire mention expresse des risques d’inondation­s.

En matière de respect des plans d’aménagemen­t urbain par les collectivi­tés locales, plusieurs écarts ont été constatés, telle l’édificatio­n de constructi­ons, voire de cités d’habitation, dans des zones inondables.

Pis encore, les collectivi­tés locales n’ont pas toujours apporté les soins requis à la réalisatio­n des réseaux de drainage des eaux pluviales dans leurs zones d’interventi­on. Les motifs invoqués tiennent au manque de crédits et à l’insuffisan­ce des ressources humaines et techniques. Or, il serait bien à propos de réexaminer ces possibilit­és en redistribu­ant les ressources humaines pour une gestion plus efficiente.

Quant à l’entretien et à la maintenanc­e des ouvrages de drainage des eaux pluviales, plusieurs collectivi­tés locales n’y consentent pas l’effort nécessaire. Aussi ces ouvrages sont-ils obstrués et leur fonctionna­lité réduite, sinon annulée.

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