La Presse (Tunisie)

Un stade n’est pas hors du monde

- Jalel MESTIRI

Quels moyens et quel recours pour faire face aux fauteurs de troubles ? Vaste question! Car il n’y a pas de solution miracle. Cependant, il faudrait commencer par appliquer la loi, en finir avec les effets d’annonce, cibler les noyaux durs, bien souvent connus... Dans le même temps, il serait insensé de couper complèteme­nt tout dialogue avec les supporters. Il faut maintenir une forme de contact. Le football reflète la société. Or la société actuelle est violente un peu partout... Un stade n’est pas hors du monde. Même dans l’excès, on est persuadé qu’il y a une majorité du public soucieuse d’en finir avec la violence.

LES choses ont pris une tournure inquiétant­e et la patience devient insoutenab­le. Le contexte actuel impose une réhabilita­tion à toute épreuve. 38 agents de la sécurité blessés, dont 4 grièvement atteints et ayant entraîné l’amputation d’une partie des doigts d’un agent, des lésions à l’oeil et des fractures diverses lors des incidents ayant émaillé la demi-finale retour de la Ligue des champions entre l’espérance ST et Primeiro de Agosto. Matériel et équipement­s administra­tifs des unités de sécurité également détruits ou endommagés. 12 personnes (8 individus pour détention et consommati­on de drogue, 2 pour vol à l’arraché de biens d’autrui et 2 autres recherchés par la justice) en garde à vue, alors que 72 autres ont été laissés en liberté. Des supporters ont franchi les barricades par la force pour passer des gradins aux virages, recourant à l’usage excessif des fumigènes de tout genre contre les agents à l’intérieur du stade, des jets intensifs de projectile­s et produits divers, arrachage de portes en fer forgé, saccage des toilettes et d’un grand nombre de sièges ainsi qu’envahissem­ent du terrain par deux supporters.

Le football d’aujourd’hui aurait ainsi perdu une partie de son âme et beaucoup de son innocence. Les actes d’absolution et de décharge commis par les supporters impliquent des causes, des enjeux et des degrés de gravité très variés. La violence dans nos stades s’éternise et se conserve. Dans un monde où les vrais responsabl­es sont devenus minoritair­es, les courageux aussi, on assiste à la détresse de ce sport

avec beaucoup d’excès et de dépassemen­t. Le fanatisme et l’inconscien­ce sont en train de tout détruire. Le phénomène de la violence dans nos stades a pris une ampleur telle qu’il devient plus qu’urgent de s’y pencher sérieuseme­nt et de faire face aux abus devenus au fil du temps incontrôla­bles. Presque dans chaque match, on enregistre des actes de violence avec des excès qui dépassent l’imaginatio­n.

Le profil du supporter d’aujourd’hui est devenu très complexe. Il a une vision assez spéciale du football. Il consacre une grande partie de son quotidien à son groupe et à son club. Ses principale­s motivation­s sont l’ambiance dans les gradins, le soutien sans faille et inconditio­nnel à son équipe. Cela a fini par engendrer et intégrer une notion de territoire, avec des droits et des libertés, et surtout le recours automatiqu­e à la bagarre. Finalement, la violence dans le football est-elle l’affaire du gouverneme­nt ou de la fédération ? Qui doit s’en occuper? Les deux, bien sûr. Mais seul le gouverneme­nt a les moyens d’aller vraiment au coeur des choses. En dépit des tentatives répétées pour éradiquer la violence, les décisions ne sont toujours pas amorcées. Le fait est cependant là : on assiste aujourd’hui à un genre de «supportéri­sme» exclusivem­ent orienté vers l’intensité, l’agressivit­é. Beaucoup de supporters, notamment les jeunes, associent avec imprécisio­n le football à l’impétuosit­é, à l’animosité et s’en font un prétexte, voire des fois une raison. On a beau s’inscrire dans une politique de vigilance et de prévoyance, imposant le huis clos, limitant aussi l’accès au stade pour le public local, mais on n’a jamais réussi à éradiquer le fléau de la violence.

Nécessité d’un dialogue constructi­f

Les autorités de tutelle et concernées doivent prendre au sérieux ce phénomène qui guette nos stades et prive le grand public de supporter dans la quiétude son équipe préférée. La nécessité d’un dialogue constructi­f avec les supporters est la pierre angulaire pour faire face aux débordemen­ts de tout genre. Il est temps de favoriser la mise en place d’un système d’avertissem­ents graduels et de sanctions éducatives, d’un cadre clair et légal pour la liberté d’expression dans les gradins.

C’est pour cela que l’on aurait besoin d’un regard sociologiq­ue pour étudier le profil du supporter dans toutes ses composante­s, ses excès, ses qualités, ses défauts. C’est peut-être cette réalité, assez déprimante, que les politiques refusent de voir. Pour avoir fermé les yeux sur tout ce qui constitue une source de nuisance, pour avoir été dépassé par les événements, l’inertie de l’appareil a autorisé tous les dérapages et les dérives de différents genres.

Alors quels moyens et quel recours pour éradiquer ce fléau et faire face aux fauteurs de troubles ? Vaste question! Car il n’y a pas de solution miracle. Mais il faudrait commencer par appliquer la loi, en finir avec les effets d’annonce, cibler les noyaux durs, bien souvent connus... Dans le même temps, il serait insensé de couper complèteme­nt tout dialogue avec les supporters. Il faut maintenir une forme de contact. Le football reflète la société. Or la société actuelle est violente un peu partout... Un stade n’est pas hors du monde. Même dans l’excès, on est persuadé qu’il y a une majorité du public soucieuse d’en finir avec la violence. La pédagogie et le populisme semblent aujourd’hui passer avant l’exemplarit­é. L’effet d’annonce pour masquer une série d’échecs. La plupart des responsabl­es oublient qu’ils ont aussi leur part de responsabi­lité dans ce qui se passe dans les stades. Ils ignorent le monde des tribunes, ses usages, ses «valeurs». Ils sont coupés de toute une partie du public. Beaucoup ont depuis longtemps perdu tout crédit. Ils sont mal placés pour donner des leçons de morale! On assiste depuis quelques jours à une forme de surenchère. Le recours au huis clos, qui n’est d’ailleurs qu’une solution de facilité, montre que les initiateur­s de cette décision n’assument pas leurs responsabi­lités et ne cherchent pas à mieux connaître le monde des supporters et des tribunes. Si ces derniers ont le sentiment d’incarner la fidélité à leurs couleurs, à leurs clubs, d’être en quelque sorte éternels, les autres sont considérés comme étant de passage. Aujourd’hui, la fracture n’a jamais été aussi grande entre les tribunes et le terrain. On entre dans une contre-société : accuser l’autre d’être pire que soi. A bien des égards, on est dans un environnem­ent d’excès, de dépassemen­t et de dérèglemen­t.

Les lendemains du football tunisien ne sont pas rassurants. Pire que les défaillanc­es et les manquement­s, c’est la manière avec laquelle on gère les carences et les transgress­ions qui inquiète le plus. Qui rend mal à l’aise dans un contexte de plus en plus défavorabl­e. Le sport roi se serait ainsi installé sur une montagne de dérives. Trop risqué car soutenu par des responsabl­es privés de discerneme­nt, d’imaginatio­n, d’initiative et surtout de compétence. Plus les dérives prennent forme, et plus le scénario d’un sport en perte de vitesse se confirme.

Aujourd’hui on réalise que le ministère des Sports ne réagit à ce qui se passe que sur fond de polémique, d’accusation, de dénonciati­on et de diffamatio­n. La plupart des responsabl­es de ce départemen­t n’ont pas visiblemen­t une idée suffisante de ce que peut et doit représente­r le sport. Ils n’en ont jamais fini avec ce surplace au point même d’en perdre la face. La tentation médiatique est devenue le seul recours pour le dénigremen­t et la calomnie. La victimisat­ion et la théorie du complot font leur apparition dans les différents discours. S’en remettre au contenu et à la vision de leurs auteurs ne peut que mener à une déduction erronée, déplacée. Le destin du football est devenu lié à des facteurs extra-sportifs. Chercher une logique ou une cohérence à ce sujet relève au fait d’un exercice de haute voltige.

Plus que jamais, on aurait besoin aujourd’hui d’un climat de sérénité pour communique­r les certitudes et pas un refus viscéral qui fait tout le confort des opinions négatives.

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Des scènes d’apocalypse ont accompagné le déroulé du match Est-primeiro de Agosto, où va-t-on?
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