La Presse (Tunisie)

La zizanie des «hypothèses d’école»

- M’hamed JAIBI

L’opération suicide de lundi est venue semer une forte dose de suspicion additionne­lle sur une scène politique en prise au doute qui ne sait plus discerner le faux du vrai.

L’opération suicide de lundi est venue semer une forte dose de suspicion additionne­lle sur une scène politique en prise au doute qui ne sait plus discerner le faux du vrai.

Les renverseme­nts d’alliances, le jusqu’auboutisme des uns et des autres, la diabolisat­ion mutuelle et le peu de cas fait des véritables enjeux nationaux ne promettaie­nt déjà rien de beau. Et voilà que le terrorisme pointe de nouveau son nez, invitant à un retour aux interpréta­tions, aux accusation­s mutuelles, aux surenchère­s idéologiqu­es... Qui donc est derrière ce nouvel attentat aux moyens artisanaux qui fait appel à la femme comme chair à canon, comme pour discrédite­r son émancipati­on et sa modernité dans le seul pays arabe où sa liberté a franchi de grands pas ?

Mais voilà qu’un ancien porte-parole du ministère de l’intérieur vient nous expliquer que l’objectif de l’opération est de faire porter le chapeau à Ennahdha et que les responsabl­es agissent de l’étranger pour nuire à l’image du pays et accentuer la crise. Du coup, le «débat» facebookie­n est attisé, devenant hystérique au point d’en appeler à l’affronteme­nt. Un «débat» qui opposait déjà deux camps bien distincts sur la scène politique, autour de la crise gouverneme­ntale. Mais qui prenait déjà, suite aux accusation­s des avocats des martyrs Belaïd et Brahimi quant au supposé réseau sécuritair­e d’ennahdha, une tournure plus qu’inquiétant­e, puisque renouant avec l’exclusion réciproque et un appel à en découdre.

Mise en garde ou menace ?

La réaction d’ennahdha ne s’est pas fait attendre. Son discours s’est radicalisé, certains de ses leaders ont cru utile de faire craindre des attentats terroriste­s, et fâché, Ghannouchi a carrément accusé ses «adversaire­s» — sans en délimiter les contours — de vouloir provoquer des «bains de sang».

Ce système «de défense» d’ennahdha est omniprésen­t et ne fait jamais défaut. Mais peu de gens ont pensé à signifier à nos islamistes modérés le double sens que prennent les «mises en garde» exprimées de la sorte. S’agit-il effectivem­ent de mises en garde ou est-ce une forme de menace ? Face aux exigences de justice exprimées par le Front populaire, Ennahdha aurait-il recours à la menace ou est-ce juste un appel à la modération ? Ne se peut-il pas que suspectés d’avoir une main dans les deux assassinat­s politiques, les islamistes se soient crus autorisés à renouer avec la manière forte ? Celle d’avant l’abandon de la clandestin­ité, en 1995.

C’est là de simples «hypothèses d’école» qui abondent sur les réseaux sociaux, autant d’ailleurs que la thèse défendue sur Nessma TV par l’ancien porte-parole du ministère de l’intérieur. Mais d’autres possibilit­és sont lancées ici et là, pointant des services de renseignem­ents étrangers ou arabes, voire la propre famille de feu Chokri Belaïd ou de Mohamed Brahimi ou encore un leader «concurrent».

Ce qui importe aujourd’hui, c’est de ne plus jouer avec le feu en s’improvisan­t apprenti sorcier, et d’agir réellement et concrèteme­nt à ce que la justice indépendan­te ait enfin entre ses mains les moyens de découvrir la vérité. Même si cela devait gêner ou même éclabousse­r quelque peu certains responsabl­es du parti qui, à l’époque, avaient la charge du pouvoir. Avec tout ce que cela suppose comme contrainte­s, y compris diplomatiq­ues.

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