La zizanie des «hypothèses d’école»
L’opération suicide de lundi est venue semer une forte dose de suspicion additionnelle sur une scène politique en prise au doute qui ne sait plus discerner le faux du vrai.
L’opération suicide de lundi est venue semer une forte dose de suspicion additionnelle sur une scène politique en prise au doute qui ne sait plus discerner le faux du vrai.
Les renversements d’alliances, le jusqu’auboutisme des uns et des autres, la diabolisation mutuelle et le peu de cas fait des véritables enjeux nationaux ne promettaient déjà rien de beau. Et voilà que le terrorisme pointe de nouveau son nez, invitant à un retour aux interprétations, aux accusations mutuelles, aux surenchères idéologiques... Qui donc est derrière ce nouvel attentat aux moyens artisanaux qui fait appel à la femme comme chair à canon, comme pour discréditer son émancipation et sa modernité dans le seul pays arabe où sa liberté a franchi de grands pas ?
Mais voilà qu’un ancien porte-parole du ministère de l’intérieur vient nous expliquer que l’objectif de l’opération est de faire porter le chapeau à Ennahdha et que les responsables agissent de l’étranger pour nuire à l’image du pays et accentuer la crise. Du coup, le «débat» facebookien est attisé, devenant hystérique au point d’en appeler à l’affrontement. Un «débat» qui opposait déjà deux camps bien distincts sur la scène politique, autour de la crise gouvernementale. Mais qui prenait déjà, suite aux accusations des avocats des martyrs Belaïd et Brahimi quant au supposé réseau sécuritaire d’ennahdha, une tournure plus qu’inquiétante, puisque renouant avec l’exclusion réciproque et un appel à en découdre.
Mise en garde ou menace ?
La réaction d’ennahdha ne s’est pas fait attendre. Son discours s’est radicalisé, certains de ses leaders ont cru utile de faire craindre des attentats terroristes, et fâché, Ghannouchi a carrément accusé ses «adversaires» — sans en délimiter les contours — de vouloir provoquer des «bains de sang».
Ce système «de défense» d’ennahdha est omniprésent et ne fait jamais défaut. Mais peu de gens ont pensé à signifier à nos islamistes modérés le double sens que prennent les «mises en garde» exprimées de la sorte. S’agit-il effectivement de mises en garde ou est-ce une forme de menace ? Face aux exigences de justice exprimées par le Front populaire, Ennahdha aurait-il recours à la menace ou est-ce juste un appel à la modération ? Ne se peut-il pas que suspectés d’avoir une main dans les deux assassinats politiques, les islamistes se soient crus autorisés à renouer avec la manière forte ? Celle d’avant l’abandon de la clandestinité, en 1995.
C’est là de simples «hypothèses d’école» qui abondent sur les réseaux sociaux, autant d’ailleurs que la thèse défendue sur Nessma TV par l’ancien porte-parole du ministère de l’intérieur. Mais d’autres possibilités sont lancées ici et là, pointant des services de renseignements étrangers ou arabes, voire la propre famille de feu Chokri Belaïd ou de Mohamed Brahimi ou encore un leader «concurrent».
Ce qui importe aujourd’hui, c’est de ne plus jouer avec le feu en s’improvisant apprenti sorcier, et d’agir réellement et concrètement à ce que la justice indépendante ait enfin entre ses mains les moyens de découvrir la vérité. Même si cela devait gêner ou même éclabousser quelque peu certains responsables du parti qui, à l’époque, avaient la charge du pouvoir. Avec tout ce que cela suppose comme contraintes, y compris diplomatiques.