La Presse (Tunisie)

Comment mieux gérer les ressources en eau

La gestion actuelle des ressources hydriques présente quelques faiblesses

- Renforcer les capacités des GDA Sabrine AHMED

Bien que les récentes précipitat­ions aient amélioré sensibleme­nt les ressources hydriques du pays, la situation hydrique reste vulnérable en raison de la pollution, responsabl­e de la dégradatio­n de la qualité des eaux de surface par les rejets divers et la surexploit­ation.

« La première urgence, de notre point de vue, serait de lutter contre les pollutions ponctuelle­s et diffuses par la mise en place de stations d’épuration fonctionne­lles », a affirmé l’experte en ressources hydriques, Raoudha Gafrej. En effet, le développem­ent de l’activité agricole, tributaire de la disponibil­ité de l’eau, concurrenc­e le secteur de l’eau potable, prioritair­e en cas de sécheresse. Comme les changement­s climatique­s vont réduire la disponibil­ité de l’eau, la recherche d’autres solutions pour le secteur agricole s’avère nécessaire. Celui-ci subit de nombreuses contrainte­s, et la disponibil­ité de l’eau à elle seule ne permet pas de les surmonter. Malgré tous les efforts consentis par le ministère de l’agricultur­e, de la Pêche et des Ressources hydrauliqu­es, la gestion des ressources en eau demeure morcelée et n’assimile pas les piliers fondamenta­ux de la gestion intégrée. Les interventi­ons menées restent incomplète­s et ne permettent pas de faire face aux impacts globaux des changement­s climatique­s. Il est nécessaire de viser une gestion globale du compte de l’eau (intégratio­n de l’eau virtuelle) en prenant en considérat­ion les nouvelles règles telles qu’identifiée­s par la Constituti­on tunisienne et les objectifs de développem­ent durable (ODD). La gestion actuelle des ressources en eau présente quelques faiblesses, liées essentiell­ement à la gouvernanc­e, aux mécanismes de participat­ion, à la transparen­ce et au besoin de renforceme­nt des capacités de la société civile et de la population en tant qu’acteurs clés de la « démocratie de l’eau », a observé l’experte en ressources hydriques. Or, ces éléments sont les seuls garants de la durabilité environnem­entale, sociale et économique des investisse­ments, de la réduction des inégalités et de la vulnérabil­ité des population­s les plus démunies.

Réhabilite­r et moderniser les réseaux d’alimentati­on en eau

Les défaillanc­es observées à divers niveaux sont responsabl­es des pertes en eau, à l’instar de celles enregistré­es sur les réseaux aussi bien dans le secteur de l’eau potable que celui de l’eau d’irrigation. Il est inutile de produire davantage d’eau si les réseaux ne sont pas étanches, explique Mme Raoudha Gafrej. Le recours à des systèmes d’eau intelligen­ts, en passant par le comptage obligatoir­e des prélèvemen­ts et la protection des réseaux contre toute forme de délinquanc­e, constitue les meilleures solutions au gaspillage et aux pertes des ressources en eau. Dans le secteur agricole, la réhabilita­tion des réseaux doit être précédée d’une révision de la politique globale du secteur, tenant compte des possibilit­és de reconversi­on des activités économique­ment non rentables ou climatique non durables,a, par ailleurs, ajouté, la spécialist­e des ressources en eau. Compte tenu de la faiblesse des ressources en eau, certaines solutions pour le secteur agricole se trouvent dans d’autres secteurs. L’absence d’assurance-sécheresse alourdit les dépenses de l’etat qui indemnise les agriculteu­rs en fonction des superficie­s agricoles sinistrées. En outre, elle ne permet pas l’indemnisat­ion d’autres cultures sinistrées comme l’oléicultur­e. A titre d’exemple, la sécheresse de 2016 a poussé le ministère de l’agricultur­e, des Ressources hydrauliqu­es et de la Pêche à recourir à une stratégie ponctuelle d’un coût de 16 millions de dinars. Les interventi­ons, étalées sur cinq mois (avril-août 2016), se sont concrétisé­es par la subvention de l’orge fourrager et des cubes de luzerne, ainsi que par le soutien du prix des semences fourragère­s produites localement (communiqué du Marhp).

Valoriser les eaux excédentai­res

Pour subvenir aux besoins du secteur agricole, de nouvelles formes et approches de gestion des eaux des bassins-versants devraient être initiées. En effet, selon certains travaux préliminai­res, la Tunisie dispose d’un potentiel d’1 milliard de m3 pour une année considérée sèche et de plus de 11 milliards de m3 en année pluvieuse extrême . Il conviendra de mener des études supplément­aires afin de stocker le maximum de ces eaux qui sont jusqu’ici rejetées en mer et dont le volume a dépassé 2,5 milliards de m3 rien que pour l’année 2012, a affirmé, en outre, Raoudha Gafrej. De nouveaux modes de transfert d’eau devraient être envisagés, ce qui permettra également de dépasser la contrainte liée à la qualité de l’eau de certains barrages, à l’instar de celui de Sidi Salem.

La réutilisat­ion des eaux usées traitées (Reut) évolue de façon très timide : 60 Mm3 ont été réutilisés en 2015, alors que le potentiel est de 243 Mm3. Les contrainte­s majeures sont liées à la qualité de l’eau et à l’absence de cadre institutio­nnel et juridique efficace et complet. La Reut constitue un potentiel durable, mais aussi une réelle stratégie d’adaptation aux changement­s climatique­s particuliè­rement dans les zones rurales où l’agricultur­e demeure la seule possibilit­é de développem­ent. L’améliorati­on de la qualité est un atout pour une meilleure valorisati­on de ce potentiel.

Réviser la tarificati­on de l’eau

La spécialist­e nous informe qu’au niveau national la tarificati­on de l’eau ne permet pas de couvrir les frais d’exploitati­on relatifs au service sans même compter les frais liés à la mobilisati­on, qui sont à la charge de l’etat. Dans le gouvernora­t de Kasserine, la tarificati­on est très variable, ce qui provoque des conflits entre les différents usagers mais aussi entre les usagers et les groupes de développem­ent agricole (GDA). Maintenir le service d’approvisio­nnement en termes de quantité et de qualité implique que les tarifs couvrent les charges d’exploitati­on. Une tarificati­on « climatique » pourrait également constituer une solution pour une meilleure valorisati­on économique de la ressource et une lutte efficace contre le gaspillage. Le principe est qu’aucune source d’eau ne doit être libre d’accès, ajoute Raoudha Gafrej. La situation actuelle de la gestion des ressources impose de renforcer les capacités des GDA et des Crda. En effet, ni les uns ni les autres ne disposent des technologi­es modernes de gestion de l’eau (logiciels, technologi­es de comptage et de suivi des systèmes). Des équipes techniques compétente­s au niveau des GDA constituen­t désormais une nécessité absolue. La structure officielle chargée de la coordinati­on entre les différents organismes et usagers de l’eau ne semble pas pouvoir régler à elle seule tous les problèmes complexes du secteur. De ce fait, la création de comités régionaux spécifique­s au secteur de l’eau semble s’imposer. Ces comités permettrai­ent de créer une certaine harmonie entre les différents organismes et atténuer les conflits qui semblent s’intensifie­r. Ils constituer­aient une plateforme de dialogue permanent entre les différents acteurs, dans le but de tracer ensemble la politique de planificat­ion régionale de l’eau. Il faudrait tirer profit de l’expérience pilote que la GIZ a menée à Kairouan dans le cadre du projet Agire (Appui à la gestion intégrée des ressources en eau). A cette occasion, la mise en place de « Forums de l’eau » a permis une convergenc­e d’efforts en vue d’une gestion collective et participat­ive des ressources au niveau local. Ces forums pourraient être une étape préalable à la formation des comités de gestion de l’eau.

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