La Presse (Tunisie)

« Nous attendons de la Tunisie qu’elle poursuive son engagement dans le contrôle de ses frontières et dans le rapatrieme­nt des migrants irrégulier­s »

- Entretien réalisé par Sofiène BEN FARHAT

Le chef du gouverneme­nt italien est attendu aujourd’hui à Tunis. Sa visite est la première dans un pays maghrébin après la formation du nouveau gouverneme­nt italien

Le chef du gouverneme­nt italien est attendu aujourd’hui à Tunis. Sa visite est la première dans un pays maghrébin après la formation du nouveau gouverneme­nt italien

La Tunisie et l’italie entretienn­ent des relations étroites depuis des millénaire­s, relations parfois difficiles et conflictue­lles mais le plus souvent paisibles et complément­aires. Comment qualifiez-vous ces relations surtout après l’avènement de votre gouverneme­nt ?

Les relations entre l’italie et la Tunisie sont excellente­s. La proximité géographiq­ue, les racines historique­s, l’importance des échanges, le volume des investisse­ments et les relations culturelle­s intenses font de l’italie et de la Tunisie deux partenaire­s stratégiqu­es, ayant également un destin commun ancré dans la Méditerran­ée. L’excellente qualité de nos relations fait que nous croyons beaucoup en la Tunisie même pour résoudre ensemble des scénarios de crise, tels que celui en Libye.

Certaines mesures concernant l’immigratio­n, annoncées par votre ministre de l’intérieur et vice-président du Conseil des ministres, l’onorevole Matteo Salvini, ont suscité des inquiétude­s légitimes et profondes auprès de l’opinion et des responsabl­es tunisiens. Pouvez-vous nous préciser votre doctrine en la matière ?

L’italie est le pays européen qui a dû faire face plus que les autres aux débarqueme­nts de réfugiés et de migrants en situation irrégulièr­e au cours des dernières années, mais l’europe nous a longtemps laissés seuls face à ce problème. Aujourd’hui, ce qui a changé concernant ce thème sensible par rapport au passé, c’est que l’italie n’est plus disponible pour accueillir indifférem­ment les migrants. Nous avons présenté en Europe un plan intégré à plusieurs niveaux, visant une gestion véritablem­ent partagée du phénomène migratoire, avec une approche structurel­le plutôt que d’urgence. Nous demandons que la question soit traitée en Europe avec responsabi­lité et solidarité. Il faut surtout comprendre le principe selon lequel ceux qui arrivent en Italie (ou dans tout autre pays de première arrivée) débarquent en Europe. Et tout cela, nous pouvons encore le dire à tête haute après une période de cinq ans au cours de laquelle notre pays a sauvé des dizaines de milliers de vies en mer et, comme l’a déclaré le président Junker, «l’italie a sauvé l’honneur de l’europe». Ce que nous attendons d’un partenaire ami comme la Tunisie est qu’il poursuive son engagement dans le contrôle de ses frontières et dans le rapatrieme­nt des migrants irrégulier­s. De notre côté, nous continuero­ns à fournir une assistance technique articulée pour faciliter la tâche des autorités tunisienne­s.

L’europe voudrait confiner la Tunisie dans un statut scélérat de vaste camp d’internemen­t pour les immigrés en provenance d’afrique, ce que tous les Tunisiens, peuple et dirigeants politiques, refusent catégoriqu­ement. Comment l’europe démocratiq­ue tolère-t-elle de telles positions rappelant l’ère tristement célèbre des colonisati­ons et des périodes particuliè­rement sombres en Europe même ?

Je ne crois pas que l’europe puisse accepter ni proposer des idées similaires qui, à ce que je sache, n’ont jamais été formelleme­nt proposées à la Tunisie. Toutefois, l’italie estime que la question de la migration ne peut être résolue avec une approche exclusivem­ent sécuritair­e. Il faut collaborer davantage avec l’afrique à travers une approche globale qui, outre le contrôle des frontières, doit inclure les investisse­ments, l’intégratio­n, la sensibilis­ation aux risques et aux canaux de la migration régulière. À cet égard, je tiens à rappeler qu’en Europe, nous avons fortement soutenu une augmentati­on des ressources allouées au Fonds d’affectatio­n spéciale pour l’afrique.

Y a-t-il moyen d’explorer de nouvelles formes de coopératio­n et d’échanges complément­aires et justes entre la Tunisie et l’italie? Si oui, lesquelles ?

L’italie est le premier exportateu­r en Tunisie où elle est présente avec 800 entreprise­s. Mais il existe un potentiel énorme pour approfondi­r les échanges et augmenter les investisse­ments dans les deux sens. Je pense à titre d’exemple au secteur de l’énergie dans lequel nous oeuvrons pour la réalisatio­n d’un câble électrique en mesure de relier la Tunisie et la Sicile. Ainsi, l’électricit­é pourra passer de l’italie à la Tunisie et de la Tunisie à l’europe. La réalisatio­n de cette interconne­xion pourrait également stimuler de nouveaux investisse­ments importants en Tunisie dans le secteur des énergies renouvelab­les. L’italie croit également fermement en l’agricultur­e et au soutien de la Tunisie par le biais de la coopératio­n au développem­ent. Pour ce faire, nous avons adopté des lignes de crédit de plusieurs millions d’euros au profit des petites et moyennes entreprise­s tunisienne­s. Et nous soutenons fermement le processus tunisien de décentrali­sation, avec un important programme d’aides aux nouvelles municipali­tés.

La mer Méditerran­ée est loin d’être, hélas, un lac de paix. Le conflit israélo-palestinie­n et israélo-arabe s’éternise. La Syrie est à feu et à sang. La Libye est encore livrée à la guerre civile, aux milices terroriste­s, aux interféren­ces étrangères et à l’anarchie. La Tunisie a présenté une initiative de paix en Libye impliquant les pays du voisinage. Elle trouve peu d’écho auprès de l’italie. En même temps, les approches française et italienne divergent sur la résolution du conflit libyen. Pourquoi l’italie semble-t-elle soucieuse de ses seuls intérêts étroits en Libye ?

La Méditerran­ée est notre mer commune et elle est aussi la région dans laquelle se décide le sort de notre sécurité et de notre stabilité. Pour cette raison, il est essentiel et prioritair­e que l’italie et la Tunisie, pays qui ne demeurent pas insensible­s aux conséquenc­es du conflit libyen, agissent ensemble pour résoudre la crise. Nous avons beaucoup apprécié l’initiative diplomatiq­ue du Président Caïd Essebsi, dont la vision peut être véritablem­ent décisive afin d’aboutir à une solution politique. L’italie a également lancé une importante initiative politico-diplomatiq­ue, en organisant à Palerme les 12 et 13 novembre une conférence internatio­nale pour et avec la Libye. Nous comptons beaucoup sur la présence à haut niveau à Palerme de la Tunisie et sur son influence constructi­ve. Nous savons bien que pour parvenir à la stabilisat­ion du pays, la volonté des Libyens est essentiell­e ainsi que l’appui de tous les principaux acteurs internatio­naux, sous l’égide de l’organisati­on des Nations Unies. Il n’y a pas d’approches divergente­s. Nous travaillon­s avec la France, dans la lignée des initiative­s internatio­nales précédente­s et dans la poursuite du même objectif de pacificati­on et de reconstruc­tion en Libye. Notre approche est en effet inclusive et nous la partageons pleinement avec les autorités tunisienne­s.

Deux visites italiennes de très haut niveau en Tunisie en l’espace de quelques semaines ! Pouvez-vous nous éclairer sur le non-dit de ces visites, par-delà les formules diplomatiq­ues habituelle­s ?

Le non-dit est aussitôt dit : l’italie et la Tunisie sont des partenaire­s stratégiqu­es qui sont confrontés à des défis complexes et communs, en étant convaincus qu’avec des valeurs partagées et un excellent niveau de relations bilatérale­s, il est possible de les résoudre ensemble, dans l’intérêt de nos deux peuples et de toute la Méditerran­ée.

Je ne crois pas que l’europe puisse accepter ni proposer des idées similaires à ce que « la Tunisie ait un statut scélérat de vaste camp d’internemen­t pour les immigrés en provenance d’afrique ». A ce que je sache, ces idées n’ont jamais été formelleme­nt proposées à la Tunisie.

L’italie estime que la question de la migration ne peut être résolue avec une approche exclusivem­ent sécuritair­e. Il faut collaborer davantage avec l’afrique à travers une approche globale qui, outre le contrôle des frontières, doit inclure les investisse­ments, l’intégratio­n, la sensibilis­ation aux risques et aux canaux de la migration régulière.

Ce que nous attendons d’un partenaire ami comme la Tunisie est qu’il poursuive son engagement dans le contrôle de ses frontières et dans le rapatrieme­nt des migrants irrégulier­s. De notre côté, nous continuero­ns à fournir une assistance technique articulée pour faciliter la tâche des autorités tunisienne­s.

Nous organisons à Palerme, les 12 et 13 novembre, une conférence internatio­nale pour et avec la Libye. Nous comptons beaucoup sur la présence à haut niveau de la Tunisie et sur son influence constructi­ve.

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