La Presse (Tunisie)

Tout est à repenser

- Samira DAMI

Les JCC touchent à leur fin. Mais, à vrai dire, cette 29e édition s’est déroulée dans une morosité ambiante sans la chaleur et l’effervesce­nce habituelle­s que connaissen­t les rues et les artères du coeur de la ville de Tunis où se nichent les salles de cinéma.

Les JCC touchent à leur fin. Mais, à vrai dire, cette 29e édition s’est déroulée dans une morosité ambiante sans la chaleur et l’effervesce­nce habituelle­s que connaissen­t les rues et les artères du coeur de la ville de Tunis où se nichent les salles de cinéma.

Il est sensibleme­nt clair pour nous que le public n’a pas accouru comme au cours des éditions précédente­s. Est-ce dû à l’absence de stars égyptienne­s ou au climat ambiant provoquant une certaine frilosité du public après le récent attentat-suicide perpétré en pleine avenue Bourguiba? Ou bien est-ce dû tout simplement à d’autres raisons, pécuniaire­s par exemple? Toutefois, le public répond en très grand nombre quand il s’agit de films tunisiens dont toutes les séances programmée­s ont affiché «complet».

Il faut dire que la sélection officielle de cette édition est des plus molles et faibles, certains films de fiction ne méritant pas de figurer dans la compétitio­n et constituen­t même une vraie déception, tels, à titre d’exemple, «Vent divin» de Merzak Allouache; pourtant, il s’agit de l’un des cinéastes algériens les plus importants de sa génération.

Ne parlons pas des courts métrages dont certains sont juste passables. Passe encore, mais quand le comité des JCC se permet de programmer un opus tel «Amid Summer and Winter» de l’egyptien Shady Fouad d’où les b.a.-ba du cinéma sont absents, on ne peut que rester coi face à tant de légèreté.

Encore heureux que quelques films documentai­res en compétitio­n se sont imposés par leur force comme l’insoutenab­le «Of fathers and sons» du Syrien Talel Derki qui a concouru au festival de «Sundance». Autre satisfacti­on : les focus sur le cinéma indien, brésilien, irakien et sénégalais des films où figurent de grands noms du cinéma mondial comme l’indien Satyajit Ray, le Brésilien Glauber Rocha, le Sénégalais Ousmane Sembene, l’irakien Hichem Zamen. Ces focus ont été bien accueillis et très fêtés par le public.

«Adieu les beaux jours d’antan»

Maintenant du côté des profession­nels, on peut dire «Adieu les beaux jours d’antan», car sont loin les éditions où toutes les génération­s confondues de producteur­s, cinéastes, technicien­s et acteurs, entre aînés et jeunes, se rencontrai­ent pour réfléchir sur les cinémas arabe et africain et agir afin de développer et de promouvoir ces cinématogr­aphies émergentes.

Car peut-on imaginer un festival engagé et militant, et dont le directeur Néjib Ayed n’a cessé depuis de clamer haut fort «le retour aux fondamenta­ux du festival», se dérouler sans réflexion ni échanges? Où sont, donc, passés, les colloques et les rencontres entres les profession­nels arabes et africains ?

Or, justement, le fort «des JCC de Taher Cheriaâ» était justement la réflexion, les initiative­s et l’action pour l’émergence des cinémas du continent. Mais aujourd’hui, tout est réduit aux sections initiées pour octroyer de petites aides aux films arabes et africains. Et certaines personnes se sont approprié indéfinime­nt ces sections comme «Takmil», Network» and co tel un «héritage». Les séances se déroulent en huis clos sans la présence d’observateu­rs ni de journalist­es. D’ailleurs, certains profession­nels, et tout le monde le sait, parlent de «lobbies», qui tous les ans raflent la mise et la cagnotte. Bref, dans le paysage de ces JCC 2018, les aînés se font rares et les plus jeunes, entre cinéastes et producteur­s, sont perdus dans les dédales d’une manifestat­ion qui, à force de se dérouler tous les ans, se banalise, perd ses repères car dépourvue de tout concept et imaginatio­n. Mais pour cela, il faudrait impliquer les profession­nels qui, se plaignent d’être écartés, pour une meilleure conception de ce festival pourtant ancré il y a plus d’un demi-siècle, depuis 52 ans en tout. Sans compter que les acteurs culturels, les comédiens et les acteurs en tous genres et de tout acabit se sentent ignorés et oubliés les soirs d’ouverture et de clôture, alors que normalemen­t, ils ne le devraient plus, la salle de l’opéra de la Cité de la culture pouvant accueillir 1.800 personnes.

Et l’on se demande à quoi sert cette pléthore de personnel de cette édition, qui à quelques exceptions près, tel «le service de presse» par exemple, sont des néophytes sans expérience qui ne connaissen­t que dalle. Ils ne connaissen­t ni les cinéastes, ni les producteur­s, ni les acteurs culturels, ni les journalist­es. Certains même arrogants et impolis se permettent effrontéme­nt maltraiter les invités.

Bref, cette édition s’avère froide, sans jus, sans âme et sans réflexion. Et on se demande, également, où est passée la salle de plein air de 600 places qui devait être montée dans l’allée centrale de l’avenue Bourguiba et qui a été annoncée à cor et à cri par le directeur du festival... Cette salle, qui faisait le bonheur des enfants et de leurs parents depuis 3 ans, a disparu. Voilà donc une manifestat­ion qui, surtout au regard des festivals concurrent­s, tel «El Gouna», en Egypte, «Marrakech» au Maroc et le «Fespaco» au Burkina Faso, mérite d’être revisitée et repensée. Et il est grandement temps de le faire. Et à défaut de moyens et de financemen­ts, pourquoi ne pas tout simplement retourner à l’ancienne formule, en organisant les JCC tous les deux ans comme de tradition. Car le budget octroyé par le Centre national du cinéma et de l’image (Cnci) qui est de l’ordre de 3,5 millions de dinars pourrait alimenter le budget de l’aide à la production cinématogr­aphique. Cela d’autant que les 2,5 millions de dinars alloués chaque année à la production cinématogr­aphique ne suffisent plus à offrir l’opportunit­é aux profession­nels entre aînés et jeunes diplômés des très nombreux instituts et écoles de cinéma publics et privés pour réaliser leur rêve et leur film.

A méditer.

 ??  ?? «Vent divin» de Merzak Allouache, une vraie déception
«Vent divin» de Merzak Allouache, une vraie déception
 ??  ?? «Vent divin» de Merzak Allouache, une vraie déception
«Vent divin» de Merzak Allouache, une vraie déception

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia