Vers quel échiquier va-t-on ?
Maintenant que le climat s’est apaisé et que les institutions font entendre de nouveau leur voix, il reste utile d’examiner de sangfroid ce qui s’est passé et ce qui a pu être évité. Et surtout, ce qui nous attend au tournant, dans si peu de temps, lorsque le roulement des tambours préélectoraux assourdira l’opinion.
Et il est intéressant de se demander quelle sera alors la configuration de l’échiquier politique national ? Car rien ne dit que les deux premiers partis actuels garderont forcément leurs positions. Rappelons-nous le chambardement auquel nous avons assisté entre l’élection de la Carte et celle de L’ARP : Ettakatol, Al Jomhouri, le CPR et Attahalef addimocrati ont disparu de la représentation parlementaire. Aujourd’hui, les deux «grands» caressent l’ambition de placer une barre de 3% en terme de résultats électoraux pour affaiblir davantage le poids électoral des minorités, mais sait-on vraiment qui exactement sera dans cette situation ?
Trop de points d’interrogation
Et même si l’on fait abstraction de ce risque peu probable de voir l’un des grands partis se retrouver en dehors de l’assemblée, est-il sage d’agir à gonfler la représentation électorale du premier parti, alors que personne ne peut prévoir lequel sera dans cette position? A titre d’exemple, si Ennahdha avait tiré profit d’une barre de 3% lors des élections de la Constituante, elle aurait eu la majorité absolue, avec toutes les conséquences prévisibles quant à la nature de la Constitution qui en découlerait. Revenons à l’échiquier politique dont on constate désormais l’instabilité flagrante. Il est clair que le changement d’attitude affiché par Nida Tounès vis-à-vis d’ennahdha et de Youssef Chahed changera immanquablement les équilibres, quel que puisse être la démarche de la Coalition nationale et d’el Horra qui comptent actuellement 54 députés au total, soit 3 députés de plus que le parti présidentiel.
Jusqu’où ira Youssef Chahed ?
Se posent à ce niveau diverses éventualités se rapportant aux options se présentant à Youssef Chahed, d’une part, et au rassemblement des députés modernistes qui l’appuient, d’autre part. La première étant qu’il choisisse de fonder un parti, probablement autour de la Coalition nationale, et que se parti se structure rapidement, intègre des mécontents de Nida Tounès et entre en campagne pour les législatives, que ce soit tout seul ou selon des listes communes avec Machroû Tounès et même, pourquoi pas, également Afek Tounès. Une autre possibilité, certes rejetée par Ennahdha, serait de voir le chef du gouvernement aller jusqu’à lorgner vers la présidence de la République, mais divers observateurs affirment que Youssef Chahed ne pencherait pour cette option que si son mentor, Béji Caïd Essebsi, venait à renoncer à repiquer.
Des horizons menaçants
Car la rupture d’avec Ennahdha, dans cette situation de division des forces modernistes, ne pourrait profiter qu’aux islamistes. A moins que le président de la République ne se prépare â réchauffer son projet de l’accord de Carthage. Ce qui impliquerait un sérieux rapprochement entre les deux têtes de l’exécutif. Dans le cas contraire, et si la tendance actuelle se confirme, nous allons voir Chahed gouverner avec Ennahdha et Nida se retrouver dans l’opposition. Alors que le chef de l’etat devra faire des exercices d’équilibriste pour ménager la chèvre et le chou, afin de préserver l’autorité des institutions républicaines. A moins que Béji Caïd Essebsi n’ait imaginé, dans la perspective des élections présidentielle et législatives de 2019, un tout autre scénario de nature à donner au pays un nouveau souffle fait de réconciliation et de relance économique prometteuse. Car ce qui a sauvé le pays en 2013, c’est bien le rassemblement de tous les démocrates modernistes autour de Béji Caïd Essebsi, ce qui avait créé un rapport de force éloquent de nature à convaincre Ennahdha qu’il était plus sage de négocier. D’où l’accord passé avec BCE à Paris et l’option commune pour le consensus.