La Presse (Tunisie)

Hommage à nos morts !

- Par Raouf SEDDIK

AVEC ses 70 chefs d’etat et de gouverneme­nt, la commémorat­ion du centenaire de l’armistice de la Première Guerre mondiale à Paris était hier au coeur de l’actualité mondiale. Les images de la retransmis­sion télévisée montraient qu’aux côtés du président français Emmanuel Macron ainsi que de son épouse, avaient pris place Angela Merkel, Vladimir Poutine, Donald Trump… Le président Caïd Essebsi était également de la partie, placé au premier rang des invités dont le point commun était, comme le rappellera dans son allocution Emmanuel Macron, qu’ils représenta­ient tous les différente­s nations dont les population­s avaient été mêlées à cette guerre particuliè­rement meurtrière…

A l’heure du retour des nationalis­mes en Europe et ailleurs, il s’agissait par ce rassemblem­ent de faire acte de mémoire en rappelant les souffrance­s humaines subies en raison de la guerre, et en même temps de réaffirmer un engagement pour la paix qui n’a pas toujours su se faire respecter dans le passé. Pour les organisate­urs, le large rassemblem­ent de dignitaire­s était une occasion de sceller de nouveau une vocation des nations de ce monde à oeuvrer pour la paix. L’idée sous-jacente étant que le sang des jeunes et moins jeunes soldats qui a coulé sur les champs de bataille est un sang qui nous dit quelque chose : il nous appelle pour l’avenir à conjurer la tragédie en oeuvrant de concert.

Et c’est vrai que beaucoup de sang a été mêlé, par-delà celui des soldats issus des territoire­s où se déroulaien­t les opérations militaires. De tous les continents, de toutes les « colonies », ont afflué des hommes qui, pour la plupart, n’auraient jamais dû se retrouver là… C’est aussi le cas des Tunisiens. On estime à près de 80.000 les hommes qui, de gré ou de force, ont été entraînés sur le théâtre des opérations, obligés de prendre part aux combats dans les tranchées ou à l’arrière. Et près de 36.000 n’en seraient jamais revenus, sacrifiés par la folie guerrière qui s’était emparée de l’europe… Oui, 36.000 ! Ne les oublions pas en ce jour et que le monde n’oublie pas non plus : 36.000 enfants de cette terre ont été livrés au monstre froid de la guerre, pendant que des milliers d’autres revenaient éclopés et moralement détruits.

On ne peut s’empêcher de se demander en cette occasion si leur sang qui a coulé en bien des endroits dans l’est de la France et en Belgique ne réclame pas justice et si nous avons fait le nécessaire pour que réparation soit faite. Mais nous nous souvenons aussi que ce sang tunisien a été versé en même temps que celui d’une multitude d’hommes, d’origines diverses, tous poussés vers la mort contre leur gré, y compris les jeunes Français et les jeunes Allemands, tirés malgré eux de leurs villages et de leurs campagnes…

Celle que les historiens ont appelé la « Grande Guerre », sans doute en raison du nombre de victimes qu’elle a causées, est aussi l’une des guerre qui incarne le mieux l’absurdité tragique de ce dont sont capables les hommes quand, délaissant l’obligation de paix qui les lie, ils se mettent à tisser entre eux — de façon plus ou moins délibérée, plus ou moins consciente — les facteurs qui, un jour, les poussent dans une volonté aveugle de s’entre-détruire, sans pouvoir s’en dégager ensuite malgré l’horreur de chaque jour…

Comme tous les autres pays, la Tunisie a raison de prendre part à ce moment collectif de mémoire. Et le sang de nos frères aînés, morts il y a cent ans en Europe en même temps que des centaines de milliers d’autres hommes, nous y enjoint.

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