La Presse (Tunisie)

Entre souffrance et misère

Sous-payées, les femmes rurales ploient sous les charges familiales et peinent à joindre les deux bouts.

- Fatma ZAGHOUANI

Le milieu rural du gouvernora­t de Kairouan compte 390.000 habitants dont 195.000 femmes qui demeurent sujettes à beaucoup de difficulté­s et de mépris d’autant plus que les écarts entre le monde urbain et rural sont une triste réalité qui perdure. Certes, au cours des dernières décennies, on a pu constater de nombreuses améliorati­ons au niveau des divers mécanismes mis en place et aux programmes de développem­ent élaborés au profit de la femme, notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’habitat et de l’accès aux diverses sources de financemen­t et de la diffusion de la culture de ses droits. Mais il reste beaucoup à faire car, si dans le secteur public, le principe «à travail égal, salaire égal» est une réalité et que tous les fonctionna­ires, employés et ouvriers de la fonction publique reçoivent un salaire identique, on constate avec regret que, dans le privé, la femme demeure désavantag­ée et son travail est sous-évalué. En effet, les femmes rurales travaillen­t souvent de façon inégale au noir dans de mauvaises conditions et elles sont privées de leurs droits sociaux. En outre, leur santé se trouve mise en danger en raison de leur exposition aux différents pesticides dans le secteur agricole où elles font face à beaucoup de discrimina­tion.

Et en dépit de leur contributi­on dans le développem­ent de la sécurité alimentair­e à travers de petits projets à rendement rapide comme la cunicultur­e, l’élevage bovin laitier, les cultures irriguées, le tissage de la laine, la distillati­on des huiles essentiell­es, les femmes continuent d’endurer les souffrance­s et les misères.

Une moyenne de dix heures de travail

Plusieurs femmes rencontrée­s dans la délégation d’el Ala nous ont dit que le salaire d’une journée de travail dans les différente­s exploitati­ons agricoles varie entre 10 et 14 D, sans aucune couverture sociale ni affiliatio­n à aucun syndicat. Profitant de ce vide, l’employeur fixe librement les règles du jeu.

Samira Hajji, une divorcée de 43 ans, se déplace d’un champ à l’autre pour cultiver la terre et planter différents types de légumes et de fruits afin de subvenir aux besoins de ses enfants : «Quand on est nécessiteu­x, on ne pense pas à ses droits!». Sihem Mtir, la vingtaine, qui a abandonné ses études secondaire­s, considère que ce qu’elle perçoit (12D par jour), pour la cueillette des olives, ne compense pas les 10 heures de travail par jour parfois sans interrupti­on, sauf pour le déjeuner.

Par ailleurs, ce sont elles qui vont chercher l’eau à la source, qui coupent le bois, qui cueillent les fruits, qui portent les lourds fardeaux tandis que leurs maris sont soit au café, soit assis sous un arbre en train de jouer et de passer du bon temps avant de rentrer au foyer et de prendre l’argent de leurs épouses qu’ils délaissero­nt à l’âge de 60 ans pour une jeune plus sexy.

Il va sans dire que leurs journées sont tellement remplies d’activités exténuante­s entre le fait d’abreuver les vaches, de contrôler les poulailler­s, de préparer la tabouna et le repas, de laver le linge et d’allaiter le dernier nourrisson qu’elles ne trouvent plus le temps de s’accorder un moment de répit et de décompress­er.

Etant exploitées par le milieu familial, par l’employeur qui ne pense jamais à les assurer ou à leur procurer une retraite, les femmes ouvrières sont confrontée­s au problème relatif au transport dans des véhicules de fortune, d’où l’accroissem­ent des accidents causant des décès ou des situations de handicap à vie.

Pour une autonomisa­tion économique et sociale

Notons dans ce contexte que la société civile et les citoyens ont accueilli avec beaucoup de soulagemen­t les décisions prises le 8 août 2018 lors d’un CMR afin d’intégrer la femme rurale dans le processus de couverture sociale avec la signature d’une convention permettant à près de 500.000 femmes rurales de bénéficier d’une couverture sociale. En outre, la loi relative à la couverture sociale des catégories démunies sera révisée pour englober les travailleu­rs saisonnier­s du secteur agricole. Par ailleurs, une série de mesures permettant d’autonomise­r davantage la femme rurale ont été annoncées, le 17 octobre 2018, par le chef du gouverneme­nt, ce qui permettra aux filles et femmes d’accéder au financemen­t et à la commercial­isation de leurs produits. Ainsi, une ligne de garantie et de prêts bonifiés au profit de ces femmes sera créée.

Qu’en est-il de la femme en milieu urbain?

Pour ce qui est de la femme vivant en ville, le constat est différent selon qu’il s’agit de celle qui travaille dans le secteur privé ou celle qui est recrutée dans la fonction publique.

Emna Romdhani, 40 ans, employée dans une usine, nous dit dans ce contexte : «Ici, nous travaillon­s 8 heures par jour et nous sommes moins payées que nos collègues hommes. Ces injustices sur fond sexiste nous portent un grand préjudice moral d’autant plus que nos patrons ignorent des notions telles que «la justice, l’égalité et les droits». En outre, nous devons toujours faire attention à notre honneur puisque beaucoup de jeunes filles ont été violentées ou renvoyées à cause de leur refus de céder aux caprices et aux avances sexuelles de leur supérieur hiérarchiq­ue et personne n’ose parler ni dénoncer de tels actes, et ce, par pudeur et par respect des mentalités conservatr­ices. Et comme nous sommes privées de sécurité sociale et de retraite, nous sommes obligées de faire des heures supplément­aires afin de gagner un peu plus d’argent pour pouvoir nourrir la famille et payer les frais médicaux…».

Pour ce qui est de la femme ayant eu la chance de trouver un emploi stable dans la fonction publique, la situation est plus reluisante puisqu’elle perçoit le même salaire que son collègue homme et qu’elle a le droit à la retraite et à l’assurance-maladie. Cette situation matérielle l’aide à vivre dans un certain confort et une certaine sécurité vis-à-vis de l’avenir, et ce, malgré la cherté, constatée ces dernières années, dans tous les produits de consommati­on. C’est pourquoi beaucoup de femmes essaient de se débrouille­r en économisan­t, en préparant les provisions annuelles à domicile (couscous, bsissa, sorgho, mhamess, etc.), ou en effectuant de petits boulots en plus de leur travail officiel, tels que le fait de préparer des pâtisserie­s sur commande, de donner des cours particulie­rs ou de faire des traduction­s.

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