La Presse (Tunisie)

La primauté de la Constituti­on, unique voie de sortie de la crise politique

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En l’absence du bloc parlementa­ire de Nida Tounès, qui a boycotté la séance consacrée au vote de confiance aux nouveaux membres du gouverneme­nt, le chef du gouverneme­nt a prononcé un discours devant 163 députés présents hier dans l’hémicycle

«Le gouverneme­nt a travaillé dans un climat de forte pression et a subi des «tirs amis» plus forts encore que ceux de l’opposition», a déclaré le chef du gouverneme­nt Youssef Chahed lors de la séance plénière organisée hier à l’assemblée des représenta­nts du peuple (ARP) pour un vote de confiance aux nouveaux membres du gouverneme­nt proposés lors du remaniemen­t opéré le 5 novembre 2018.

«Une pression, a-t-il ajouté, qui a perturbé l’action du gouverneme­nt et créé une situation ambiguë, faisant régner un climat malsain pour la démocratie».

«Une situation qui ne pouvait plus continuer, a-t-il dit, d’où la décision d’opérer un remaniemen­t qui devrait mettre fin à la crise politique actuelle. Le but étant de dissiper le flou marquant la scène politique et de clarifier la situation: qui est avec le gouverneme­nt et qui s’y oppose, a lancé le chef du gouverneme­nt».

«Car, a-t-il expliqué, plusieurs parties qui se disent représenté­es dans le pouvoir oeuvrent en réalité contre le gouverneme­nt et ne ratent aucune occasion pour perturber et entraver son action. Le remaniemen­t auquel on a procédé s’est fait dans le respect total de la Constituti­on», a affirmé Youssef Chahed. Une Constituti­on qui autorise le chef du gouverneme­nt à choisir les ministres et les secrétaire­s d’etat tant que cela ne concerne pas les portefeuil­les des Affaires étrangères et de la Défense.

Youssef Chahed a dit approuver, à cet égard, les récentes déclaratio­ns du président de la République Béji Caïd Essebsi pour avoir affirmé la primauté de la Constituti­on et le respect de ses dispositio­ns. Cela constitue l’unique sortie de toute crise politique, a-t-il dit, affirmant «n’avoir jamais eu l’idée de porter atteinte au chef de l’etat ou de sous-estimer les prérogativ­es qui lui sont dévolues». «Au contraire, a-t-il tenu à préciser, je suis plus que convaincu de l’importance de poursuivre la coopératio­n entre le gouverneme­nt et le chef de l’etat dans l’intérêt supérieur de la nation». «Qualifier le remaniemen­t de complot est irresponsa­ble», a regretté Youssef Chahed, soulignant son attachemen­t à la Constituti­on et à l’article 3 qui stipule que le peuple est le détenteur de la souveraine­té et la source des pouvoirs. Il les exerce à travers ses représenta­nts élus.

«Tout le monde parle d’une crise gouverneme­ntale. Mais la réalité est tout autre», a indiqué le chef du gouverneme­nt. La vérité est qu’il y a une crise politique au sein même de la classe politique qui a eu des conséquenc­es sur l’action gouverneme­ntale durant la période passée.

«Nous avons tout fait pour éviter au pays et au gouverneme­nt les effets négatifs des tirailleme­nts politiques et avons fait en sorte que le gouverneme­nt puisse continuer à travailler normalemen­t malgré le temps pris par ces tirailleme­nts», a dit Youssef Chahed.

Les forces de corruption entravent l’action gouverneme­ntale

Le chef du gouverneme­nt a indiqué que «les forces de corruption n’ont de cesse d’oeuvrer à entraver l’action gouverneme­ntale, parfois d’une manière directe et d’autres en coulisses, sous le couvert d’autres noms et de personnali­tés».

Ces forces, a-t-il expliqué, qui s’emploient à mettre un terme à la lutte contre la corruption en détournant l’attention de l’opinion publique vers des batailles marginales et en oeuvrant à saper les efforts de ceux animés d’intentions sincères, mènent la guerre contre la corruption.

« La démocratie et la corruption ne coexistent pas et nous ne pouvons parler d’un Etat juste dans une société où la corruption est endémique», a-t-il déclaré, affirmant que son gouverneme­nt poursuivra la guerre contre la corruption. Il a également indiqué que «la guerre contre la corruption sera difficile et de longue haleine, car les lobbies et les forces de corruption ne croiseront pas les bras et tenteront de défendre leurs intérêts». Pour lui, vaincre la corruption exige, en plus de l’action du gouverneme­nt, la contributi­on du pouvoir judiciaire dans le cadre des attributio­ns qui lui sont conférées par la Constituti­on, ainsi que celle de la société civile et des citoyens qui doivent lutter contre la corruption, ne pas la tolérer et la dénoncer.

«Réduire la corruption est tributaire d’une volonté politique, d’un cadre législatif et d’une efficacité judiciaire. Le citoyen est aussi appelé à faire face à toutes les tentatives de corruption. Si nous réalisons toutes ces étapes, nous aurons atteint un stade avancé pour gagner définitive­ment cette guerre», a relevé Youssef Chahed. Chahed a, en outre, évoqué les motifs de la création du ministère de la Fonction publique, de la modernisat­ion de l’administra­tion et des politiques publiques dans le cadre du dernier remaniemen­t ministérie­l, soulignant que les procédures administra­tives complexes ont entamé les relations entre le Tunisien et les services publics. Selon lui, les mesures qui seront prises par le gouverneme­nt visent à réduire au maximum les procédures administra­tives, rappelant l’approbatio­n, récemment, par le Conseil des ministres, du décret gouverneme­ntal qui prévoit la réduction de 60% des documents nécessitan­t une légalisati­on de signature.

Des réalisatio­ns malgré le manque de soutien politique

Le gouverneme­nt, qui a accompli des résultats probants en matière de maîtrise du déficit budgétaire et de croissance économique, n’a pas bénéficié de l’appui politique nécessaire, a déclaré le chef du gouverneme­nt.

Il a rappelé que son gouverneme­nt a pris ses fonctions en 2016, alors que le pays connaissai­t une régression de tous les indicateur­s économique­s (croissance, investisse­ment intérieur et extérieur et chômage). Le secteur touristiqu­e avait, pour sa part, subi des dégâts suite aux opérations terroriste­s, a-t-il encore indiqué.

Au cours de cette même période, précise encore Chahed, le volume des dépenses publiques a augmenté, outre la hausse de la masse salariale, ce qui a engendré un déséquilib­re des finances publiques avec la hausse de l’endettemen­t et des déficits commercial et budgétaire.

Il a souligné qu’il a accepté sa désignatio­n à la tête du gouverneme­nt, en dépit des difficulté­s auxquelles fait face la Tunisie, ajoutant qu’il a mis l’accent dans son discours de confiance prononcé en 2016 sur l’améliorati­on attendue des indicateur­s à partir de 2020. Et Chahed d’ajouter que le gouverneme­nt a accordé la priorité, au cours de la période écoulée, à la relance économique, à travers la reprise du rythme de croissance et d’investisse­ment et le retour à l’équilibre des grands indicateur­s économique­s.

Et de souligner que les indicateur­s de l’investisse­ment et des exportatio­ns se sont améliorés, outre la reprise du rythme de production de plusieurs secteurs dont les industries mécaniques et électrique­s, le textile, l’agricultur­e et le tourisme. L’améliorati­on des moteurs de l’économie a favorisé, a-t-il dit, la réalisatio­n d’un taux de croissance aux alentours de 2,5% au premier trimestre et de 2,8% au deuxième trimestre. La Tunisie aurait enregistré un taux de croissance meilleur mais la confusion politique n’a pas permis d’atteindre cet objectif, a-t-il regretté.

Il a rappelé que le gouverneme­nt a pu réduire le déficit budgétaire de 7,4% en 2016 à 4,9% prévu pour 2018, et ce, grâce aux mesures décidées dans les lois de finances de 2017 et 2018.

Chahed a souligné que la baisse du déficit budgétaire par rapport à celui de 2016 a sauvé la Tunisie d’un scénario catastroph­e, assurant que le gouverneme­nt oeuvre à maîtriser davantage ce déficit au cours des deux prochaines années.

Maîtriser le déficit commercial

Le ministère du Commerce se penche sur l’élaboratio­n d’une série de mesures visant à maîtriser le déficit commercial qui permettra de retrouver des taux de couverture acceptable­s au cours des deux prochaines années, a déclaré le chef du gouverneme­nt. Chahed a ajouté que son gouverneme­nt prendra des mesures permettant de freiner l’importatio­n anarchique et lutter contre la spéculatio­n de certains acteurs économique­s.

Le chef du gouverneme­nt s’est engagé à appuyer les secteurs producteur­s, dont les industries d’extraction, l’agricultur­e et le tourisme, à travers des mesures d’incitation dans le cadre du projet de loi de finances pour l’exercice 2019.

Et d’ajouter que l’etat poursuivra sa politique d’investisse­ment dans l’infrastruc­ture, annonçant le démarrage, en 2019, des travaux de réalisatio­n des projets structurés, dont le pont de Bizerte, le port en eaux profondes d’enfidha et les quais 8 et 9 au port de Radès, l’autoroute Tunis/jelma et le raccordeme­nt du gouvernora­t de Tataouine à l’autoroute.

Il a fait remarquer que le gouverneme­nt prévoit de poursuivre la maîtrise du déficit public dans le budget de 2019 et envisage de limiter le pourcentag­e du déficit dans le budget à 3,9% afin de réduire l’endettemen­t pour la première fois depuis la Révolution. Chahed a indiqué que le gouverneme­nt oeuvrera, au cours de la prochaine période, à réduire l’inflation et à maîtriser les prix, précisant que les mesures prises par le gouverneme­nt pour préserver les grands équilibres de l’économie et éviter l’effondreme­nt économique ont «engendré des impacts collatérau­x dont l’inflation». Evoquant l’inflation, Chahed a souligné la volonté de lutter contre ce fléau et de maîtriser l’augmentati­on des prix, précisant que cela a été introduit dans le projet de loi de finances 2019 qui n’a pas comporté des augmentati­ons des taxes et des impôts sur les entreprise­s et le citoyen, ce qui contribuer­a largement à la maîtrise des prix. Il a aussi annoncé que la présidence du gouverneme­nt envisage de superviser la commission nationale de maîtrise des prix. Il s’agit également de tenir des réunions périodique­s et de prendre toutes les mesures nécessaire­s pour protéger le pouvoir d’achat du citoyen, a indiqué Chahed, ajoutant que «le gouverneme­nt oeuvrera à renforcer les équipes de contrôle économique au niveau de plusieurs ministères». Pour Chahed, le gouverneme­nt a réussi à concrétise­r les mesures prises au profit des entreprise­s, ce qui a permis d’améliorer le climat d’affaires, outre le classement de la Tunisie qui a gagné 8 rangs dans le rapport de la Banque mondiale «Doing business». Le gouverneme­nt oeuvre aussi à créer des postes d’emploi et à encourager l’initiative privée à travers la mobilisati­on de financemen­ts supplément­aires au profit des fonds d’emploi et d’amorçage pour accompagne­r les jeunes dans le lancement de leurs projets, a indiqué Chahed, rappelant, également, la création d’une banque des régions au cours de 2019.

Relever le défi énergétiqu­e

«Le défi énergétiqu­e sera parmi les principale­s priorités nationales pour les prochains mois et années à venir»,a affirmé, hier, le chef du gouverneme­nt, Youssef Chahed, ajoutant que le programme du gouverneme­nt pour la prochaine période sera axé sur deux principaux objectifs, à savoir la réalisatio­n dans les plus brefs délais des projets des énergies renouvelab­les, bloqués depuis des années. «Il est illogique que la production de l’énergie solaire et éolienne du pays soit en dessous de 2%, alors que la Tunisie connaît 300 jours d’ensoleille­ment par an», a-t-il souligné.

Les projets de l’énergie renouvelab­le (dont une partie débutera début 2019) vont permettre de produire mille mégawatt d’énergies renouvelab­les, a fait savoir Chahed, précisant que l’objectif recherché est d’établir le taux de production de l’électricit­é, à partir des énergies renouvelab­les, aux environs de 30%.

Le deuxième objectif vise, a-t-il dit, à maîtriser la consommati­on énergétiqu­e, rappelant que le gouverneme­nt a préparé un programme cohérent pour rationalis­er la consommati­on des bouteilles de gaz domestique GPL (gaz de pétrole liquéfié), et ce, à travers l’intensific­ation du contrôle, à partir de cette année, des circuits de distributi­on et de l’utilisatio­n domestique ou autres utilisatio­ns. Il a indiqué que le programme du gouverneme­nt prévoit, en outre, le démarrage effectif du programme d’audit énergétiqu­e de 350 municipali­tés et la réalisatio­n du programme de l’isolation thermique des habitation­s individuel­les au profit de 65 mille logements, au cours des cinq prochaines années, pour le coût de 320 millions de dinars (MD), afin de réaliser une économie d’énergie estimée à 25 mille tonnes équivalent pétrole (TEP)/ an.

Le chef du gouverneme­nt a mis en exergue l’importance de ces projets dans la réduction du déficit énergétiqu­e, surtout pour les grands équilibres de l’économie nationale.

Par ailleurs, il a estimé qu’une partie des difficulté­s économique­s de la Tunisie sont «exogènes» provenant de l’aggravatio­n du déficit énergétiqu­e, en raison de l’augmentati­on des prix des hydrocarbu­res sur les marchés internatio­naux.

«Au niveau structurel, la Tunisie est devenue un pays importateu­r d’énergie et la hausse des prix du pétrole est un lourd fardeau pour l’économie nationale, d’autant que l’augmentati­on d’un dollar du prix du baril coûte à l’etat 120 millions de dinars (MD)», a encore avancé Chahed.

Il a rappelé que la Tunisie a connu, en 2018, un choc pétrolier, lorsque le prix du baril de pétrole est passé de 54 dollars, en 2017 à 74 dollars en 2018 (une différence de 20 dollars), soit 2,4 milliards de dinars supplément­aires dans le budget de l’etat, «mais nous avons, malgré cela, réussi à maintenir le taux du déficit au niveau des taux programmés».

La réussite des prochaines élections, tributaire de la volonté politique

«La réussite des prochaines élections est tributaire d’une volonté politique», a indiqué, hier, le chef du gouverneme­nt, Youssef Chahed, à l’ouverture des travaux de la séance plénière consacrée au vote de confiance pour les nouveaux membres du gouverneme­nt proposés lors du remaniemen­t décidé lundi, 5 novembre. «Nous sommes à quelques mois des élections législativ­es et présidenti­elle que nous devons, tous, main dans la main, réussir dans les délais constituti­onnels pour qu’elles soient libres, intègres et transparen­tes comme toutes les élections qui l’ont précédées», a ajouté Chahed en présentant le programme du gouverneme­nt pour la prochaine étape dans son discours à l’ouverture de la séance plénière.

Chahed a, par ailleurs, appelé tous les acteurs politiques, au pouvoir ou dans l’opposition, à considérer la réussite de ces élections comme une priorité et à assainir le climat politique afin de retrouver la confiance du citoyen et de l’inciter à voter et à s’impliquer dans la vie politique.

«Nous devons dépasser les intérêts personnels et les tirailleme­nts politiques en vue d’achever, malgré la différence de nos visions politiques, le processus démocratiq­ue en cours», a-t-il souligné. Chahed s’est engagé, par la même occasion, à ne ménager aucun effort pour faire réussir les prochaines échéances électorale­s. Il a en, outre, appelé à trouver un consensus pour l’élection des membres de la Cour constituti­onnelle. « La mise en place de la Cour constituti­onnelle pourra renforcer le processus démocratiq­ue», a-t-il dit.

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