La Presse (Tunisie)

« Profession et formation, un destin commun »

- Propos recueillis par Kamel FERCHICHI

Sous nos cieux, il s’est fait remarquer par sa récente «recherche-étude sur la formation au journalism­e en Tunisie», réalisée, en collaborat­ion avec l’ipsi, dans le cadre du «Programme d’appui aux médias tunisiens (Pamt/medias Up)», financé par l’union européenne et géré par le Capjc, avec le soutien d’un consortium de partenaire­s dont «Particip». Rencontré à l’occasion des 1ères Assises internatio­nales du journalism­e de Tunis, tenues du 15 au 17 courant, Michel Leroy nous a livré des éclairages importants. Dans cette interview, il a tenté d’aborder les nouveaux enjeux d’un secteur en panne de restructur­ation.

Sous nos cieux, il s’est fait remarquer par sa récente «recherche-étude sur la formation au journalism­e en Tunisie», réalisée, en collaborat­ion avec l’ipsi, dans le cadre du «Programme d’appui aux médias tunisiens (Pamt/medias Up)», financé par l’union européenne et géré par le Capjc, avec le soutien d’un consortium de partenaire­s dont «Particip». Rencontré à l’occasion des 1ères Assises internatio­nales du journalism­e de Tunis, tenues du 15 au 17 courant, Michel Leroy nous a livré des éclairages importants. Dans cette interview, il a tenté d’aborder les nouveaux enjeux d’un secteur en panne de restructur­ation.

Les 1ères Assises internatio­nales du journalism­e de Tunis ont eu pour thème fédérateur «un journalism­e utile aux citoyens ». Y en a-t-il un autre qui ne l’est pas ?

Il y en a beaucoup d’autres qui ne le sont pas : le journalism­e dévoyé, qui pontifie et commente les faits, le journalism­e «assis», qui se contente de remettre en forme des dépêches ou des informatio­ns déjà disponible­s ailleurs sans jamais aller sur le terrain, le journalism­e de divertisse­ment, qui hurle avec la meute, populiste et peu soucieux de recouper les informatio­ns, le journalism­e de spécialist­es qui ne pense pas à son lecteur et qui est la plupart du temps incompréhe­nsible… C’était l’un des points forts de ces premières Assises que de mettre l’accent sur ce point : il est temps de reconnecte­r les médias et le pays réel. Il en va non seulement de la survie de nos journaux — parce que la presse écrite est sans doute la plus touchée par la crise — mais également de la démocratie : il n’est jamais bon que les citoyens n’aient plus confiance dans ceux qui sont censés être les pédagogues de leur quotidien. Nous avons tous, collective­ment, un énorme travail de re-légitimati­on à faire et cela concerne tout le monde.

Que signifie pour vous qu’un événement d’une telle envergure, ayant vu la participat­ion de 500 journalist­es du monde entier, se déroule, pendant trois jours, dans un pays où le secteur de la presse est encore en crise ?

Je suis de ceux qui croient en l’avenir du journalism­e plus qu’à l’avenir des journaux. Peu importe le support : ce qui compte, c’est la valeur ajoutée d’une informatio­n nouvelle, intéressan­t le lecteur, vérifiée, recoupée, validée. Un événement comme les Assises du journalism­e permet à la fois de décentrer le regard et de fournir des occasions d’espérer. Je prends l’exemple du panel sur l’avenir de la presse écrite. Il y avait là des intervenan­ts, représenta­nt les principaux médias francophon­es du Liban, d’algérie, du Maroc… Chacun a fait part de son expérience pour lutter contre la chute du lectorat, la baisse des revenus publicitai­res et trouver sa voie pour assurer sa transition numérique. Tous ont insisté sur les réformes structurel­les qui sont nécessaire­s pour adapter les journaux à la nouvelle donne et garder son indépendan­ce. C’est important de le souligner : la crise n’est pas une fatalité et pour s’en sortir, les médias doivent d’abord et avant tout compter sur eux-mêmes. On ne peut plus aujourd’hui faire les mêmes journaux que ceux que l’on faisait il y a encore vingt ans ou bien gérer les entreprise­s de presse en dehors de l’économie réelle.

Votre recherche-étude sur la formation au journalism­e en Tunisie, réalisée dans le cadre du Pamt, a débouché sur 25 pistes de réflexion sur le devenir du secteur. Ce dernier a-t-il les moyens de sa réforme?

Je pense que les crises qu’a traversées l’ipsi sont pour une grande part derrière lui. Sa directrice a commencé à réfléchir à des réformes importante­s car tout le monde est d’accord sur le fait qu’un statu quo serait mortifère. Comme pour la presse, l’avenir des écoles de journalism­e est aujourd’hui en question. Comme l’a écrit Larbi Chouikha, la transforma­tion des médias est difficile mais elle est indispensa­ble. C’est pareil pour l’ipsi et plus largement pour toutes les écoles de journalism­e de Tunisie : elles ont un énorme besoin de réformes institutio­nnelles pour être en mesure de s’adapter aux nouveaux enjeux du secteur.

Dans quelle mesure la «trajectoir­e de ré-enchanteme­nt», comme vous l’avez qualifié dans votre étude précitée, va permettre au métier de «se réinventer» ?

Au terme de ma recherche, je suis persuadé qu’un changement de paradigme est en effet nécessaire. Cela passe par exemple par plus d’ouverture à de nouveaux profils d’étudiants en mastère, qui n’auraient pas fait de licences en sciences de l’informatio­n, mais aussi par une sélection plus poussée pour attirer les meilleurs et sans doute par une nouvelle façon de «faire le cours».

La période impose d’être inventif pour créer de nouvelles méthodes de formations et mixer les compétence­s nécessaire­s pour affronter la révolution numérique. La difficulté principale tient au fait qu’on doit former des étudiants à des métiers qui n’existent sans doute pas encore. Il faut donc les entraîner à ce qu’on appelle «l’agilité numérique» pour qu’ils soient à l’aise dans ce milieu profession­nel qui évolue si vite. Ils ne doivent pas être effrayés par les disruption­s, pour reprendre un terme à la mode, mais au contraire, voir les opportunit­és qu’il y a à se réinventer continuell­ement. Cela impose la même humilité que celle du journalist­e face à l’actualité.

Vous avez jugé les structures privées de formation au journalism­e en Tunisie comme «vrai-faux univers de concurrenc­e», qu’entendez-vous par là? Et que pensez-vous de l’approche d’enseigneme­nt adoptée par l’ipsi ?

Aujourd’hui, toutes les maquettes pédagogiqu­es en journalism­e ou en sciences de l’informatio­n et de la communicat­ion sont validées par une commission nationale sectoriell­e qui est composée à parité de représenta­nts de l’ipsi et de l’institut supérieur de documentat­ion. C’est une situation assez singulière en Tunisie qui aboutit au fait que la quasi-totalité des formations privées ont adopté la même maquette que celle de l’ipsi, et que les cours sont dispensés par les mêmes professeur­s… La concurrenc­e est donc pour le moins entravée et cela ne favorise pas l’émulation. Plusieurs centres qui avaient proposé des contenus innovants – pour former par exemple des journalist­es reporters d’images – ont été retoqués parce que la formation était jugée trop technique. Je ne veux surtout pas dire que la formation des futurs journalist­es devrait être purement axée sur des techniques. Mais cette dimension est cependant indispensa­ble et des modèles alternatif­s sont possibles. Je ne sais pas, pour être parfaiteme­nt honnête, si l’avenir des formations au journalism­e ne passe pas aujourd’hui par des écoles hybrides qui formeraien­t autant aux métiers de développeu­rs qu’à la production de contenus…

Comment faire, selon vous, pour assurer l’adéquation entre formation et profession ?

Les Assises m’ont permis de rencontrer une formatrice qui a été pendant des années une célèbre journalist­e à Tunis puis a soutenu une thèse pour pouvoir enseigner. Elle me disait que le modèle s’était inversé et que le centre avait formé beaucoup de thésards qui venaient à l’enseigneme­nt après peu ou pas d’expérience profession­nelle. Il est bien sûr possible de contribuer à l’adéquation entre formation et profession en accueillan­t plus de profession­nels, même si ceux-ci n’ont pas de grade universita­ire. Mais cela ne suffit plus ; ce modèle est aujourd’hui à bout de souffle. Il est indispensa­ble que le secteur puisse exprimer ses besoins prospectif­s pour développer les compétence­s attendues des futurs journalist­es et qu’en retour, les centres soient en mesure de savoir dans quelle mesure les étudiants qu’ils forment intègrent ou non les médias. Je pense que les médias — publics comme privés —gagneraien­t à participer plus directemen­t à la vie des écoles et des centres de formation en y investissa­nt à la fois des ressources humaines, de l’expérience mais également des capitaux — dans le respect de l’autonomie académique. Médias et centres de formation ont aujourd’hui une communauté de destins qui doit permettre de faciliter de plus grandes synergies.

Mais, votre regard critique de l’extérieur sur un contexte profession­nel ne risque-t-il pas d’y greffer des solutions transposée­s ?

Il y a deux écueils, quand un modèle se craquelle de toutes parts : transposer en effet des solutions toutes faites et en rester à des idées reçues. Je ne vois pas de réponse unique mais plein de petits bouts de solutions déjà testées avec succès par d’autres et qui, mises bout à bout, constituen­t peutêtre la solution. C’est pour cela que j’ai tenu à mettre en exergue du rapport une citation de feu Mohamed Ali Kembi, le directeur de l’ipsi de l’après 14-Janvier : «Toutes les situations, qu’elles soient en Algérie, en Tunisie ou en France, véhiculent des traditions spécifique­s. Pour autant, il n’y a pas de relativism­e des valeurs humaines et sociales. Ce sont ces valeurs qui fondent le journalism­e: la liberté individuel­le, la responsabi­lité sociale des médias, la fonction démocratiq­ue de la recherche, de la diffusion de la vérité sont autant de valeurs qui fondent le journalism­e et elles sont universell­es».

Je suis de ceux qui croient en l’avenir du journalism­e plus qu’à l’avenir des journaux. Peu importe le support : ce qui compte, c’est la valeur ajoutée d’une informatio­n nouvelle, intéressan­t le lecteur, vérifiée, recoupée, validée.

La crise n’est pas une fatalité et pour s’en sortir, les médias doivent avant tout compter sur eux-mêmes. On ne peut plus faire aujourd’hui les mêmes journaux que ceux que l’on faisait il y a vingt ans, ou gérer les entreprise­s de presse en dehors de l’économie réelle.

Un changement de paradigme est nécessaire, cela passe par plus d’ouverture à de nouveaux profils d’étudiants en mastère, qui n’auraient pas fait de licences en sciences de l’informatio­n, mais aussi par une sélection plus poussée pour attirer les meilleurs et sans doute par une nouvelle façon de «faire le cours».

La difficulté principale tient au fait qu’on doit former des étudiants à des métiers qui n’existent sans doute pas encore. Il faut donc les entraîner à ce qu’on appelle «l’agilité numérique» pour qu’ils soient à l’aise dans ce milieu profession­nel qui évolue si vite. Ils ne doivent pas être effrayés par les disruption­s, mais, au contraire, voir les opportunit­és qu’il y a à se réinventer continuell­ement.

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