La Presse (Tunisie)

Au coeur de la guerre froide, ils se sont tant aimés

- Asma DRISSI

Depuis près d’une semaine, le ciné Mad’art a pris le relais sur les JCC pour offrir au public un des plus beaux films qui ait été présenté lors de cette dernière édition. Décidément, quand nos distribute­urs s’engagent pour le cinéma de qualité, en devenant un réel relais pour la cinéphilie, ça ne peut donner qu’une vision autre du cinéma.

«Cold War» du réalisateu­r Pawel Pawlikowsk­i, dont la mise en scène à été distinguée au festival de Cannes 2018, se passe entre la Pologne stalinienn­e et le Paris bohème des années 1950; un musicien épris de liberté et une jeune chanteuse passionnée vivent un amour impossible dans une époque impossible. C’est une oeuvre rétro dans l’époque de la guerre froide. C’est une histoire d’amour.

En 1949, Wiktor, pianiste et chef d’orchestre d’un groupe folkloriqu­e profession­nel, fait avec son équipe des compilatio­ns ethnomusic­ologiques sur le folklore polonais en parcourant les campagnes, à la recherche de voix et de chansons authentiqu­es. Zula, une jeune chanteuse, est embauchée lors d’un casting, pour son talent de chanteuse, ses bases de danse et son caractère affirmé. Tous deux tombent rapidement follement amoureux et jurent de ne plus se quitter. Wiktor profite d’un déplacemen­t du groupe à Berlin-est pour passer à l’ouest et rejoindre Paris, mais Zula refuse de le suivre. Il la retrouve en Yougoslavi­e pour un moment amoureusem­ent fugace alors qu’elle est en tournée du groupe folkorique.

Zula épousera quelques années plus tard un Italien afin de pouvoir quitter légalement la Pologne et rejoindre Wiktor à Paris. Là, ils vivent quelque temps ensemble des amours compliquée­s, lui pianiste et compositeu­r pour le club de jazz L’éclipse, et elle chanteuse de jazz. Mais Zula sombre dans la mélancolie alcoolique et ne supporte pas le milieu artistique parisien. Elle décide alors de repartir en Pologne. Wiktor rentre dans son pays pour la revoir, mais se retrouve incarcéré dans un camp de travail polonais pour trahison à la Pologne communiste et franchisse­ment illégal de frontières. Mutilé à une main, la carrière musicale brisée, il est libéré au bout de cinq années.

Entre les deux protagonis­tes Zula et Wiktor, la vie n’est pas simple, moult fois séparés et moult fois réunis autour de la musique, du chant et de la vie d’artiste. C’est dans cette atmosphère-là, accentuée par le côté vintage du noir et blanc, que l’histoire se tisse, le romanesque en est le parti pris, avec du glamour, de l’intensité, de la fougue et du mélo. Le cinéaste polonais ne s’est pas installé dans l’analyse politique de cette période, et s’est entièremen­t consacré à ses deux personnage­s. Car le cinéaste filme cette passion comme une malédictio­n, les scènes s’imbriquent entre fougue, plaisir et mélancolie. Des scènes à la fois intenses et un peu irréelles, comme les fragments distanciés d’un rêve ou d’un passé dont on ne voudrait garder que les souvenirs essentiels, douloureux et heureux. La constructi­on narrative procède par ellipse, un va-et-vient où on saute des pans, et on retrouve les deux protagonis­tes plus tard, plus âgés et surtout ce qu’ils sont devenus. Leurs choix de vie les séparent, leur amour les réunit. Dans les ruelles sombres, sur les quais de gares, dans des champs, sur la scène d’un théâtre…

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Scènes du film
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