La Presse (Tunisie)

Des rassemblem­ents qui riment avec violences

«C’est la guerre», lâche un salarié d’une galerie d’art pris dans les échauffour­ées…

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AFP — Après des échauffour­ées près des Champs-elysées, des heurts s’étendaient hier aprèsmidi à plusieurs autres quartiers de Paris dans une grande confusion, en marge de la mobilisati­on des «Gilets jaunes» qui rassemblai­t quelque 40.000 personnes à travers la France.

En milieu d’après-midi, des manifestan­ts parfois violents ont investi plusieurs rues et avenues du centre et nord-ouest de la capitale, incendiant parfois des mobiliers urbains, croisant le fer avec les forces de l’ordre et donnant parfois lieu à des scènes de guérilla urbaine, ont constaté des journalist­es de L’AFP. Au début de cette troisième journée de mobilisati­on nationale, le ministre de l’intérieur Christophe Castaner avait mis en cause «1.500 perturbate­urs» dans la capitale quand son secrétaire d’etat Laurent Nunez en dénombrait deux fois plus.

Boulevard Haussmann, non loin des grands magasins, où quelque 300 manifestan­ts étaient rassemblés, des personnes cagoulées ont pris à partie des pompiers venus éteindre des poubelles et véhicules incendiées, arrachaien­t des vélib’ et érigeaient des barricades de fortune. «C’est la guerre», lâche, en pleurs Sélim, un salarié d’une galerie d’art pris dans les échauffour­ées. Place de l’opéra ou surtout rue de Rivoli, qui relie la place de la Bastille à la Concorde en passant par le Louvre, des centaines de personnes étaient elles aussi rassemblée­s dans un climat de très grande tension, essuyant les tirs de gaz lacrymogèn­es des forces de l’ordre et refluant au gré des interventi­ons des policiers. Au total, 146 personnes avaient été interpellé­es à Paris en milieu d’après-midi soit davantage que lors de la précédente action dans la capitale le 24 novembre, selon le bilan officiel. 65 personnes ont été blessées, dont 11 parmi les forces de l’ordre.

«De pire en pire»

«Cela fait quinze jours qu’on essaye de se faire entendre et y a rien qui bouge. Il va falloir à un moment que Macron nous entende, sinon ça va être de pire en pire», a déclaré Gaetan Kerr, 52 ans, agriculteu­r venu de l’yonne, non loin des Champs-elysées C’est dans ce quartier, sur le rond-point de l’étoile, que les premiers heurts de la journée ont éclaté vers 8h45 quand des manifestan­ts ont, selon une source policière, tenté de forcer un barrage. Les forces de l’ordre ont alors répliqué par des tirs de lacrymogèn­e. Les échauffour­ées se sont d’abord concentrée­s autour de l’arc de Triomphe et notamment près de la flamme du soldat inconnu où des manifestan­ts ont entonné une Marseillai­se. Un tag «les Gilets jaunes triomphero­nt» a été peint sur le monument. «Au risque de paraître vieux jeu, je veux dire à quel point j’ai été choqué par la mise en cause de symboles qui sont des symboles de la France», a réagi le Premier ministre, Edouard Philippe. Après ces premiers heurts, les manifestan­ts ont reflué vers d’autres quartiers et dans des avenues adjacentes, notamment la prestigieu­se avenue Foch où un tractopell­e a été incendié et une remorque de chantier renversée. Sur l’avenue des Champs-elysées, sécurisée depuis 6H00 du matin par un quadrillag­e policier très serré, la situation était plus calme et les manifestan­ts craignaien­t que leur message soit éclipsé par les heurts, après les violences qui avaient déjà éclaté le 24 novembre. «Nous sommes un mouvement pacifique, c’est juste que nous sommes désorganis­és, c’est le foutoir car nous n’avons pas de leader», déplorait Dan Lodi, retraité de 68 ans. «Il y a toujours des abrutis venus pour se battre, mais ce n’est pas du tout représenta­tif.» La ministre de la Santé Agnès Buzyn a, elle aussi, déploré les violences, estimant que cela «discrédite un combat légitime qu’exprimaien­t beaucoup de Gilets jaunes». Plusieurs figures de l’opposition ont accusé le gouverneme­nt de mettre en scène ces violences pour discrédite­r le mouvement des «Gilets jaunes». Le leader de la France insoumise, Jean-luc Mélenchon, a ainsi dénoncé un «incroyable acharnemen­t» contre les manifestan­ts estimant que le pouvoir cherche «un grave incident pour jouer sur la peur». Pour le porte-parole des Républicai­ns (LR) Gilles Platret, «il est impératif» que l’exécutif «fasse un geste significat­if en direction des justes réclamatio­ns des Gilets jaunes».

Incidents à Nantes

Lancé il y a quinze jours hors de tout cadre politique ou syndical, le mouvement des «Gilets jaunes» se poursuivai­t également en dehors de Paris, le plus souvent dans le calme. A la mi-journée, la mobilisati­on réunissait quelque 36.000 personnes sur l’ensemble de la France, dont 5.500 à Paris, selon les chiffres gouverneme­ntaux. La première journée nationale, le 17 novembre, avait réuni 282.000 personnes, et la deuxième 106.000, dont 8.000 à Paris. Plusieurs opérations de blocage et de filtrage étaient recensées notamment dans le Var au péage de Bandol sur l’a50 et dans les Bouches-du-rhône aux barrières de péage de La Ciotat.

A Nantes, une cinquantai­ne de «Gilets jaunes» ont fait irruption à deux reprises hier matin sur le tarmac de l’aéroport de Nantes Atlantique tandis que de brèves échauffour­ées ont éclaté à Strasbourg.

Dans le sud-ouest, les «Gilets jaunes» ont lancé des opérations «barrages filtrants» à Cahors (Lot), et dans 7 villes du Tarn. Sur l’autoroute A9, les manifestan­ts ont ciblé le péage du Perthus, à la frontière entre la France et l’espagne. A Toulouse, un face-à-face tendu opposait «Gilets jaunes» et forces de l’ordre dans le centre ville. «La taxe sur le diesel, c’est une goutte d’eau. Il y a trop d’inégalités, plus ça va plus on s’enfonce, nous et surtout nos enfants», a déclaré Chantal, 68 ans, retraitée du secteur public lors d’un rassemblem­ent à Lyon. Annie, 52 ans, ancienne employée d’usine au chômage, est venue pour son fils de 17 ans qui voudrait trouver un apprentiss­age mais n’y arrive pas : «Entre ce qui est dit et la réalité, y a un fossé énorme». Malgré l’annonce par Emmanuel Macron de prochaines mesures pour répondre à la «colère légitime» des manifestan­ts, le mouvement qui a essaimé hors de tout cadre syndical ou politique continue d’engranger des soutiens, dans les collectifs de banlieue comme à l’ultradroit­e.

Un «rassemblem­ent des artistes» prévu devant l’olympia à l’initiative de l’humoriste Gérald Dahan a en revanche tourné court.

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