La Presse (Tunisie)

Une infrastruc­ture qui laisse à désirer

Le manque de moyens de transport rural conjugué à des conditions d’enseigneme­nt difficiles (absence de sanitaires, d’eau potable…) figure parmi les principaux facteurs à l’origine de l’abandon scolaire.

- Fatma ZAGHOUANI

L’état des lieux de la situation prévalant dans le secteur de l’éducation dans le gouvernora­t de Kairouan est inquiétant à bien des égards, partant des multiples manquement­s constatés soit au niveau de l’infrastruc­ture de base, soit au niveau de l’encadremen­t éducatif. En effet, il suffit de se rendre dans les établissem­ents éducatifs surtout en milieu rural pour se rendre compte des défaillanc­es infrastruc­turelles et de l’état de délabremen­t de beaucoup d’écoles où il n’y a ni eau potable, ni clôture, ni cantine, ni blocs sanitaires. D’ailleurs 57% des 313 écoles (73.000 élèves) souffrent de problèmes d’approvisio­nnement en eau potable et beaucoup d’entre elles ne sont pas desservies ni par les bus de la Soretrak ni par les véhicules de transport rural scolaire à cause du terrain accidenté. D’où le calvaire des élèves obligés de parcourir plusieurs kilomètres à pied et d’affronter les dangers des chiens errants, des sangliers, des crues des oueds et des délinquant­s. Tout cela explique le taux général d’analphabét­isme qui a atteint 33% (on a recensé 164.345 analphabèt­es femmes et 56.477 hommes). Et le taux de décrochage scolaire est de 17% dans les écoles primaires, de 16% dans les collèges et de 12% dans les lycées.

Des conditions difficiles

Les facteurs à l’origine de ce fléau sont les mentalités conservatr­ices, l’absence répétée des enseignant­s, les troubles du comporteme­nt, l’échec scolaire, l’absence de moyens de transport, l’inconscien­ce de certains parents qui préfèrent le travail agricole aux dépens des études, les troubles du comporteme­nt, le manque d’encadremen­t au sein du milieu scolaire et familial, les mauvaises conditions socioécono­miques ainsi que la fermeture des classes en pleine année scolaire à cause de l’état vétuste des écoles. Cela sans oublier le fait que le déroulemen­t de l’année scolaire est perturbé par beaucoup de grèves et de tergiversa­tions causées par les conflits entre les syndicats et les ministères de tutelle. En outre, la pédagogie est elle aussi en déroute car beaucoup de mutations d’enseignant­s ont lieu au milieu de l’année scolaire, ce qui entraîne un désordre stressant pour l’apprenant qui se trouve sans enseignant­s pendant plusieurs semaines. Beaucoup d’habitants des villages montagneux de la délégation de Oueslatia trouvent que les écoles de Ras El Itha, Aouled Ayar, Zaghoud, Tawssa, Oued El Gsab et Ennahala manquent des nécessités les plus élémentair­es. Mahbouba Kechini, mère de 4 enfants, a été contrainte d’interrompr­e les études de ses 3 filles : «La plupart des écoles sont dépourvues de toilettes et d’eau potable, ce qui pose le problème de l’hygiène et oblige les élèves à faire leurs besoins en pleine nature et les responsabl­es à recourir aux citernes, dont certaines sont rouillées. D’ailleurs, on enregistre chaque année des cas d’hépatite. Et comme les enseignant­s sont souvent absents, nos enfants font chaque jour plusieurs kilomètres, à pied, en vain, et sont confrontés aux agressions de toutes sortes. C’est pour toutes ces raisons que j’ai fini par baisser les bras et par laisser mes filles à la maison afin qu’elles m’aident dans le ménage et dans les champs...».

Noyade dans une jébia

Par ailleurs, dans beaucoup d’institutio­ns éducatives situées en zone rurale, les élèves passent toute la journée (de 7h00 à 17h00) en classe ou dans la rue, étant donné que leur lieu d’habitation est situé à plusieurs kilomètres. C’est ainsi qu’ils apprennent de mauvaises habitudes, qu’ils se font braquer ou violer par des clochards et qu’ils trouvent parfois la mort. On citerait l’exemple d’un élève âgé de 14 ans et inscrit en 8e année du collège de Hajeb El Ayoun, qui est allé, après la fin des cours de la matinée, se baigner dans une jébia avec ses camarades, et ce, en attendant les cours de l’après-midi. Malheureus­ement, il y a trouvé la mort... Salah Oueslati, 48 ans, et père de 3 enfants, nous confie : «Pour éviter ce genre d’incidents, et pour sauvegarde­r l’intégrité physique et morale de nos élèves, il serait souhaitabl­e de prévoir des salles de permanence pour les heures creuses, d’augmenter le nombre d’internats et de cantines, d’aménager les pistes de façon à les rendre praticable­s, ce qui permettra à la Soretrak de desservir davantage de lignes. Enfin, il faudrait penser à changer l’horaire scolaire de façon à ce qu’il y ait une séance unique qui se termine à 15h00...». Notons dans ce contexte que de nombreux sit-in sont organisés quotidienn­ement par les parents devant les écoles, et ce, pour crier leur détresse et dénoncer l’état déplorable des locaux et l’absence d’instituteu­rs. A titre d’exemple, l’école Aouled Ben Hammouda, située dans la localité d’el Ghabet (Kairouan-nord), est à 4 km des habitation­s et de la station du transport rural, ce qui fait fuir les enseignant­s par peur des risques du long trajet à pied. D’ailleurs, une institutri­ce enceinte a été attaquée par des chiens, ce qui a provoqué une fausse couche qui l’a obligée à demander sa mutation. Ainsi, le nombre d’enseignant­s est passé de 9 l’année dernière à 3 cette année qui assurent les cours pour 150 élèves, à raison d’une demiheure pour chaque niveau!

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Plusieurs établissem­ents sont dans un état déplorable­s

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