La Presse (Tunisie)

Un récit trop efficace

Un documentai­re sur le Sud-soudan en proie aux impérialis­mes les plus voraces, mais voici que le documentai­re d’auteur aura vite versé dans le traitement médiatique.

- Salem TRABELSI

Dur, dur de faire un second documentai­re lorsqu’on s’appelle Hubert Sauper et qu’on a réalisé le fameux «Cauchemar de Darwin», l’un des films documentai­res les plus vendus dans le monde pour reprendre le langage du marketing. Et pour cause ! «Le cauchemar de Darwin», sorti en 2006, fut l’un des documentai­res les plus poignants sur l’exploitati­on des richesses en Afrique noire, sur ces habitants du Sud-soudan qui vivent dans le dénuement total et auxquels on exporte des armes pour s’entretuer. Un film qui fait date dans l’histoire du documentai­re de création. Voici que, dix ans plus tard, le réalisateu­r autrichien revient avec «Nous venons en amis». Un film militant qui prend position contre l’appétit néocolonia­liste qui s’abat sur le Sud-soudan (expropriat­ions, dégradatio­ns environnem­entales, embrigadem­ent religieux…), un Sud-soudan qui, de plus, est un terrain où Chinois et Américains se mesurent les uns aux autres pour mettre la main sur «le tas» et exploiter toutes les richesses de ce pays. Le réalisateu­r survole le Sud-soudan dans un petit avion qu’il a lui même construit. Armé de sa caméra, il explore ces contrées lointaines pour recueillir la parole de ceux qui y habitent.

Mais le documentai­re du réalisateu­r autrichien sorti dernièreme­nt en France n’a pas eu le succès attendu (6.000 personnes en deux semaines !). Est-ce à dire que l’activisme par l’image ne draine plus le public ? Est-ce la faute aux médias qui ont banalisé toutes les causes ? Pourtant, le récit du film est efficace. Mais le problème semble résider dans le fait que c’est justement l’efficacité de ce récit qui aurait biaisé la puissance du réel et sa complexité. Et c’est le risque qui met à mal ce genre de documentai­re et même les personnes filmées. Mais reconnaiss­ons à Hubert Sauper cette honnêteté intellectu­elle : il ne cache pas qu’il est en train de filmer en tant que réalisateu­r blanc qui débarque d’europe avec tous les préjugés culturels et l’héritage historique qu’il a. Son rôle de cinéaste produit de l’occident est parfaiteme­nt assumé et, d’ailleurs dans le dossier de presse qui accompagne le film, il le dit comme suit : «Moi, je ne suis pas parti en Afrique pour sauver les Africains, mais peut-être pour nous rappeler à notre pathologie de la domination, et à nos détours de la pensée… Dans “Nous venons en amis”, je ne m’exclus pas de ce processus, c’est impossible. “Nous” c’est nous qui tombons du ciel… Américains, Européens, Chinois, etc.». Mais contrairem­ent au documentai­re «Le cauchemar de Darwin», dans son nouveau film, le réalisateu­r semble avoir trop endossé ce rôle parce qu’on a l’impression que la caméra n’a pas pris le temps de séjourner avec les personnage­s et que ces personnage­s en question ne sont là que pour illustrer le point de vue du réalisateu­r. La parole n’est pas dans la spontanéit­é, elle n’est pas dans la «respiratio­n»quotidienn­e des choses. Du coup, le spectateur n’est pas à l’aise parce qu’il ne peut pas construire du sens à partir de ce qu’il voit. Il se retrouve comme face à un traitement médiatique du sujet. Dommage !

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