Gorgi pluriel, Gorgi éternel...
Dire que ce fut l’événement de l’année serait encore endessous de la réalité. Il n’en fallait d’ailleurs pas moins pour rendre hommage à l’immense artiste que fut Gorgi, et qui doit, de là où il est, sourire en coin avec une mégalomanie assumée.
Le palais Kheireddine, restauré par Talan, le maître d’oeuvre, brillait de tous ses feux. Les rues de la Médina n’avaient jamais été aussi propres, Gorgi oblige, mais aussi visite présidentielle impose. C’est que le président de la République avait tenu à assister à cet hommage rendu à un peintre qu’il avait bien connu, et dont il admirait la démarche. Aïcha Gorgi, sa fille, Mahdi Haouas, fondateur de Talan, Nadia Jelassi , la commissaire de l’exposition, l’accompagnaient dans cette visite, relatant une anecdote, un souvenir, la force de travail de cet artiste qui peignit, dessina, sculpta jusqu’à la fin, sans jamais baisser les bras ni devant l’âge ni devant la maladie. Le travail colossal effectué pour réunir les quelques 300 oeuvres présentées, les organiser par chronologie, genres, logique, correspondances, origines, a fait de cette exposition digne des plus grands musées, une totale réussite. La première étant d’avoir attiré plus d’un millier de personnes, amis de l’artistes, collectionneurs, artistes eux-mêmes, gens de culture, curieux des arts, et même ceux qui n’avaient pas pour coutume de fréquenter les musées et la Médina. C’est en cela que Gorgi est universel, c’est en cela qu’il a toujours su fédérer. Souvenons-nous, au fil des photos, des archives, des cimaises et des salles du musée : le jeune Gorgi à Paris, se frottant aux plus grands artistes, l’oeil vif, l’esprit en éveil. Le retour au pays, et l’alliance sacrée qui jamais ne se démentira avec ses frères d’armes, ses frères d’âmes. Les dessins engagés, inédits, somptueux. Les premières reconnaissances, commandes publiques de timbres, de fresques. La curiosité boulimique qui le mène à tout expérimenter, sculptures que l’on connaissait, panneaux de céramique peut-être moins, tapisseries rares. Le Gorgi des petits formats, tellement plus difficiles à concevoir et contenir que les grandes oeuvres, et dont l’accrochage méli-mélo, coloré et ludique, aurait certainement plu à l’artiste. Celui des personnages classiques, qui constituaient son entourage de fils de la Médina : artisans, musiciens, maraîchers, tkarlis. Puis vient le moment où il décide de se libérer, déstructurant ses compositions, bouleversant ses constructions, «retombant en enfance», comme il aimait à le dire. Mais toujours en gardant la Médina au coeur, cette Médina qu’il décompose elle aussi, introduisant un minaret, une voûte, une chéchia dans un puzzle universel. Car, comme il le disait aussi, c’est en étant le plus profondément soimême qu’on est le plus universel. Toujours au cours de cette promenade du souvenir, magnifiquement mise en scène par Mémia Taktak et le studio Dzeta, on s’arrête avec émotion sur le cabinet de curiosités, sur les objets qui l’ont entouré, ses instruments de travail… Mais Gorgi, bien sûr, est éternel. Et c’est à un second commissaire qu’on a demandé de le prouver. Meryem Bouderbala a réuni 9 jeunes et moins jeunes artistes, dont certains n’ont pas connu l’artiste, et a trouvé en eux des résonances de l’oeuvre du maître, «une filiation sans rupture de langage». Le résultat est époustouflant de talent, de sensibilité, de fidélité, de «continuation». Et c’est l’oeuvre de Aïcha Filali qu’il faut garder pour image de la fin : celle de cet extraordinaire manège qui tourne et fait tourner tous les personnages, symboles, sujets, de Gorgi
Nous vous l’avions bien dit : Gorgi est éternel. Ce soir-là, il était au palais Kheireddine.