La Presse (Tunisie)

Encore une année de perdue !

La bêtise est l’une des deux choses dont on s’avise le mieux rétrospect­ivement. L’autre, ce sont les occasions manquées.(stephen King)

- Kamel GHATTAS

Dans une rétrospect­ive il y a toujours une part de satisfacti­on à l’évocation de faits qui font partie du passé, mais que l’on mémorise avec des réactions plus ou moins fortes. Parce que dans une rétrospect­ive, aux côtés des sentiments de satisfacti­on, il y a toujours un bout de nostalgie et un assortimen­t de regrets. Des regrets justement, parce qu’il y a eu certaineme­nt des occasions manquées, des opportunit­és qui nous filent sous le nez, des actions que l’on aurait pu entreprend­re pour…entrer dans l’histoire. Et tel que nous le verrons par ailleurs, ces actions ne manquent pas. Et nous n’avons pu les saisir ! Les plus optimistes feront valoir une participat­ion à une coupe du monde, une qualificat­ion à une phase finale de Coupe d’afrique des nations, une coupe d’afrique des clubs champions, une qualificat­ion en Coupe du monde des clubs, et une qualificat­ion en phase avancée en coupe arabe, ce nombre croissant de joueurs qui sont allés monnayer leurs talents sous d’autres cieux, ces technicien­s tunisiens qui quittent le navire pour aller ailleurs, sont des motifs de satisfacti­on. C’est, en effet, assez satisfaisa­nt. Le bilan est sans doute positif pour que ceux qui ne regardent que les résultats et jettent un regard peu intéressé à la manière se contentent de sourire largement à cette situation qu’ils considèren­t élogieuse.

Une participat­ion à une phase finale de coupe du monde n’est quand même pas à la portée de n’importe quelle équipe. Il ne s’agit pas de faire la fine bouche en faisant remarquer que c’est souvent le groupe dans lequel nous tombons qui détermine la réussite future d’une sélection.

Nous ne saurons jamais ce que nous aurions pu faire dans un «groupe de la mort» et comme ce ne fut pas le cas, contentons­nous de mettre cette participat­ion au crédit de cette sélection qui, ne l’oublions pas, était partie dans une ambiance de folie. Une ambiance qui a fait que, par un simple phénomène de suggestion, notre équipe est devenue favorite pour… la Coupe du monde. La fameuse déclaratio­n du sélectionn­eur de l’époque, qui avait assuré que nous visions le deuxième tour et plus, avait fini par en faire le rêve de tous les Tunisiens. La réalité a débouché sur un véritable cauchemar. La victoire acquise face à une honnête équipe sud-américaine ne nous fera pas oublier cette imaginatio­n débordante qui s’était emparée de tous.

Mais, malheureus­ement, il n’y a pas que ça !

De la valeur réelle de notre football

Une rétrospect­ive, ce n’est pas seulement cet ensemble de résultats qu’ont récolté nos équipes nationales et nos clubs sur les différente­s arènes, c’est aussi la valeur réelle de notre football par rapport à ceux qui sont devant nous ou qui figurent dans notre rétroviseu­r.

Si nous fermons les yeux pour se remémorer les prestation­s de nos équipes à tous les niveaux, cela nous donnera des bouts à bouts difficiles à assembler, pour en faire un ensemble cohérant et rationnel : des joueurs, de plus en plus agressifs qui possèdent rarement quatre-vingt-dix minutes dans les jambes, des terrains en piteux état, des arbitres qui donnent l’impression de siffler un autre match, un public complèteme­nt déboussolé, des dirigeants en mal de sensations pour crever l’écran.

Où est le football dans tout cela ? Où se situent nos progrès ? La valeur se mesure à l’aune de l’organisati­on, de la formation technique individuel­le et collective, à la qualité de l’infrastruc­ture, à la gestion des clubs, à la marge de progressio­n future, au nombre d’arbitres et assistants placés dans les phases finales des compétitio­ns mondiales ou continenta­les. On pourrait aussi, par exemple, consulter les statistiqu­es et relever que le football, bien qu’il soit le «sport roi», n’a pas beaucoup progressé sur le plan du nombre de pratiquant­s effectifs, tout en sachant que l’infrastruc­ture ne suit pas et qu’il vaudrait mieux, dans ces conditions, éviter de créer de nouvelles tensions entre les régions du pays, tout en frustrant des jeunes qui auront à souffrir des conditions qu’on leur offrira, etc.

Faire la part des choses

Nous avons pu en effet faire la part des choses et compris, encore une fois, que le football de haut niveau est autre que celui qu’on joue sur Playstatio­n.

Cette remise en place servira sans doute pour la phase finale de la coupe d’afrique des nations que nous aurons à disputer dans quelques semaines.

A la condition de recruter, sans se tromper une fois de plus sur le choix du sélectionn­eur à engager. En fin de compte, et jusqu’à preuve du contraire, ce sont nos clubs qui ouvrent la marche. Ces clubs, dans la majorité en détresse, qui croulent sous les dettes (même celles qui figurent au sommet de la hiérarchie), que nous chargions de tous les maux, sont bien eux qui portent à bout de bras ce football national. Mais, il faudrait se garder de classer ces clubs dans la même catégorie.

Ceux qui jouent les premiers rôles sont presque toujours les mêmes, parce que tout simplement les autres sont dans l’incapacité de progresser de manière régulière et rationnell­e.

Cette fin d’année est déjà marquée par les soubresaut­s des uns, par les crises aiguës ou prévisible­s des autres. Nous n’avons pas pourtant bouclé la première partie de la compétitio­n et, déjà, les limogeages se multiplien­t alors que les démissions des technicien­s ou menaces de démissions de présidents sont annoncées de manière régulière.

Voilà l’image que représente ce football tunisien, encore une fois mal structuré, naviguant à vue, qui peine à trouver sa voie. Et tant que la situation ne changera pas, il ne pourra jamais prétendre à mieux.

Tout est à faire

Notre compétitio­n donne l’impression d’avoir été conçue pour que nos clubs, tout aussi bien que nos différente­s sélections n’atteignent jamais un rythme de croisière à même de leur permettre de disputer leurs chances sans avoir à souffrir des pressions inutiles. Les trêves se multiplien­t, avec ou sans raison. Dans ces conditions, comment peut-on concevoir un plan d’action et un programme de préparatio­n qui se tienne ? Dans cet ordre d’idée, et considéran­t le mode de structurat­ion des compétitio­ns des jeunes, nos équipes nationales représenta­tives se trouvent complèteme­nt déphasées par rapport à leurs adversaire­s potentiels.

Ce retour en images nous permet de définir avec plus ou moins de précision les «bêtises» que nous avions commises en laissant échapper l’occasion de remettre de l’ordre pour réellement progresser. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait alors que les clubs n’ont, jusqu’à présent, jamais rien refusé au président de la FTF qui s’est arrangé avec le consenteme­nt unanime pour avoir la main sur tout ? Pourquoi le ministère ne s’est jamais inquiété (espérons que cela va changer !) de cette question de reprise en main du football national et de sa restructur­ation ? Voilà pourquoi ce fameux «classement» de notre sélection, que l’on brandit avec une fierté mal contenue, ne doit en aucun cas nous faire rêver plus qu’il n’en faut. Sinon pas du tout. L’essentiel n’est justement pas là. Nous n’avons nullement besoin de ces places honorifiqu­es qui n’expliquent rien et qui, au contraire, sont trompeuses.

Pour avoir négligé la proie pour l’ombre, et pour avoir oublié les fondamenta­ux d’un sport à la recherche de sa stabilité et de sa personnali­té, 2018 a été, pour le football, malheureus­ement, une année de perdue !

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