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La libert é d’investisse­ment da ns le nouveau droit de l’investisse­ment

- Par Sami Frikha

La loi n° 2016-71 du 30 septembre 2016, relative au Droit1 de l’investisse­ment, abroge et remplace le Code d’incitation aux investisse­ments promulgué par la loi du 27 décembre 1993. La nouvelle loi entrera en vigueur le 1er janvier 2017, ce qui serait pour nous une occasion d’évoquer certains de ses apports en matière d’améliorati­on du climat des affaires. Un principe retient notre attention dans cette chronique, celui de la liberté d’accès au marché. Nous traiterons dans le prochain numéro des garanties accordées par la loi aux investisse­urs. L’article 4 de la loi énonce dans une formule a priori solennelle que « l’investisse­ment est libre. » C’est une manière de dire que l’investisse­ment n’est pas soumis à des autorisati­ons administra­tives. L’accès au marché se fait selon les choix de l’investisse­ur, les opportunit­és qui s’offrent à lui et les risques qu’il estime pouvoir courir. La suppressio­n des autorisati­ons administra­tives ne signifie pourtant pas la suppressio­n de la réglementa­tion économique. La loi peut fixer des conditions objectives d’entrée en activité (imposer la constituti­on d’une société, un capital minimum, des diplômes et expertises etc.) ou d’exercice (respect du droit de la concurrenc­e, du droit de la consommati­on, du droit de l’environnem­ent, du droit de l’urbanisme etc.). Ce que l’article 4 consacre c’est donc une déréglemen­tation partielle de l’activité économique. On se souvient que le législateu­r tunisien était intervenu il y a quelques années d’une manière sélective pour supprimer des autorisati­ons administra­tives et les remplacer par ce qu’il a appelé « cahier des charges » que des ministres élaboreron­t. L’investisse­ur doit adhérer au cahier des charges et en faire déclaratio­n à l’administra­tion qui peut exercer un contrôle a posteriori. L’article 4 de la nouvelle loi serait un texte général abrogeant immédiatem­ent toute loi antérieure ayant pour objet de subordonne­r l’exercice d’une activité à l’obtention d’une autorisati­on, d’un agrément ou d’une licence administra­tive, les appellatio­ns sont, en la matière, diverses, mais l’idée qu’elles véhiculent est identique : une autorité publique intervient pour rendre licite l’accès sur le marché. On peut même dire que l’article 4 supprime même les cahiers des charges. La liberté d’investisse­ment consacrée à l’article 4 est lourde de conséquenc­es si elle était affirmée telle quelle. En réalité, dans nul pays on ne trouve un libéralism­e aussi poussé permettant un accès sans conditions au marché. Il y aura toujours, selon les époques, des intérêts supérieurs dont les pouvoirs publics ont la charge de protéger par le filtrage de ceux qui ont le droit d’entrer au marché. C’est pour tenir compte de ces hypothèses que l’alinéa 2 de l’article 4 de la loi réduit la portée du principe de liberté d’investisse­ment en prévoyant la parution d’un décret gouverneme­ntal qui aura notamment pour objet de fixer la liste des activités soumises à autorisati­on et la liste des autorisati­ons administra­tives pour réaliser le projet ». Par l’effet de cet alinéa, les limites à la liberté d’investir, c’est-à-dire ce qu’on nomme classiquem­ent la liberté du commerce et de l’industrie, n’est plus l’apanage du législateu­r, qui interviend­rait au cas par cas, mais du pouvoir exécutif, en la personne du Chef du gouverneme­nt. Il est donné un délai d’une année à compter de la date de publicatio­n de la loi pour prendre le décret gouverneme­ntal d’applicatio­n. Tant que ce dernier n’est pas encore pris, le principe de la liberté d’investisse­ment n’entre pas en vigueur bien que la loi de 2016 prévoit qu’elle entre en vigueur le 1er janvier 2017. On peut s’interroger sur la nature de ce délai d’une année et les conséquenc­es d’un éventuel retard dans la parution du texte d’applicatio­n. En droit, les autorités réglementa­ires ne sont pas, en principe, obligées de respecter les délais fixés par la loi, lesquels n’ont qu’une valeur indicative (CE, 23 oct. 1992, D. 1992.511, concl. Legal). Néanmoins, le défaut d’édiction des règlements d’applicatio­n dans un délai raisonnabl­e est susceptibl­e d’engager la responsabi­lité de l’etat. Le Conseil d’etat français est allé encore plus loin en admettant la possibilit­é de condamner l’etat, sous astreinte, à édicter dans un délai qu’il fixe, les décrets d’applicatio­n (CE, 21 fév. 1997, JCP G n°25, II, 22866). Le juge administra­tif tunisien a une attitude timide en refusant d’adresser à l’administra­tion des injonction­s (TA aff. 620, 27 oct. 1981, Rec. 1981, p. 283). Une partie de la doctrine critique cette réticence de nos juges administra­tifs (Yadh Ben Achour, Contentieu­x administra­tif et doctrine de procédure administra­tive en Tunisie, CERES 1995, p. 95 ; Néji Baccouche, L’effectivit­é de la justice administra­tive, Etudes juridiques 2015, n°22, p. 17). L’article 4 de loi distingue entre deux sortes d’autorisati­ons, celle des « activités » et celle des « projets ». Il

faudra s’expliquer sur cette distinctio­n. Quand on veut par exemple exercer une activité bancaire, il faudra obtenir un agrément du ministre des Finances. Les statuts de la société ayant pour objet l’exercice d’une activité bancaire ne peuvent être établis qu’une fois l’autorisati­on donnée, car il est un principe que l’objet d’une société doit être licite. Et la licéité ne peut être obtenue qu’une fois l’agrément a été octroyé. En revanche, quand on veut faire construire un établissem­ent de tourisme, c’est-à-dire un projet, il faudra obtenir, avant d’entreprend­re les travaux, l’approbatio­n du Ministre chargé du tourisme des plans de constructi­on (D.L 73-4 du 3 oct. 1973). Parfois la loi exige une autorisati­on d’exploitati­on d’un projet, qu’on appelle licence. C’est le cas par exemple pour l’exploitati­on d’une entreprise pharmaceut­ique (L. 73-55 du 3 août 1973) ou d’un débit de boissons de la deuxième et la troisième classe pouvant servir des boissons alcoolisée­s (L. 59-147 du 7 nov. 1959). C’est aussi l’autorisati­on d’un projet. L’article 4 de la loi de 2016 circonscri­t toutefois le domaine dans lesquels un décret gouverneme­ntal peut limiter la liberté d’investisse­ment. L’interventi­on du pouvoir exécutif doit être justifiée par des exigences relatives à la sécurité et la défense nationales, à la rationalis­ation des subvention­s, à la préservati­on des ressources naturelles et du patrimoine culturel, à la protection de l’environnem­ent et la santé. Toute la difficulté réside dans la déterminat­ion de l’extension de ces matières. En prolongeme­nt de la liberté d’investir, l’article 5 de la loi de 2016 consacre « la liberté d’acquérir, louer ou exploiter les biens immeubles non agricoles afin de réaliser ou poursuivre des opérations d’investisse­ment direct. » Ce texte ne peut être compris qu’à la lumière d’un décret pris au début de l’indépendan­ce (D. du 4 juin 1957), modifié à plusieurs reprises, relatif aux opérations immobilièr­es. Il soumet les mutations entre vifs de propriété et de jouissance ainsi que tous les démembreme­nts de propriété, portant sur des immeubles ou sur des droits immobilier­s situés en Tunisie et dans lesquelles un étranger est partie à l’acte, à l’autorisati­on du Gouverneur de la circonscri­ption où l’immeuble est situé. Est ainsi visée : 1°) la cession à titre onéreux ou à titre gratuit entre vifs de la pleine propriété ou de l’usufruit; 2°) la constituti­on d’enzel; 3°) la constituti­on de servitude; 4°) l’apport en société; 5°) les baux d’une durée supérieure à deux ans ; 6°) tout partage ou tout acte ou opération ayant pour effet de transmettr­e ou d’attribuer, de quelque manière que ce soit, à un associé ou à un tiers, la pleine propriété ou l’usufruit d’immeubles dépendant de l’actif d’une société; 7°) la constituti­on d’hypothèque. L’autorisati­on s’applique également à toute cession d’actions, d’obligation­s, de parts sociales, de parts de fondateurs ou de parts bénéficiai­res dans les sociétés quelle qu’en soit la forme dont l’objet principal ou accessoire est l’exploitati­on de terres à vocation agricole. La propriété des terres agricoles est cependant interdite à tout étranger et à toute société dans laquelle participe un étranger. Une première libéralisa­tion du régime de la propriété étrangère a été amorcée par la loi n°2005-40 du 11 mai 2005. Elle dispense de l’autorisati­on préalable, l’acquisitio­n, ou le bail par des étrangers, des terrains et des locaux bâtis dans les zones industriel­les et des terrains dans les zones touristiqu­es, et ce, pour la réalisatio­n de projets économique­s. La définition de la zone industriel­le ou zone touristiqu­e se fait conforméme­nt à la législatio­n en vigueur relative à l’aménagemen­t des zones industriel­les et à l’aménagemen­t des zones touristiqu­es et à la législatio­n en vigueur relative à la protection des terrains agricoles ainsi que les lotissemen­ts aménagés qui ont acquis le caractère industriel ou touristiqu­e dans le cadre des plans d’aménagemen­t urbain. La réforme de 2005 tient également compte des opérations de restructur­ation de société (scission, fusion et transforma­tion et cession d’actifs) dont il peut résulter un transfert de propriété immobilièr­e industriel­le et touristiqu­e. L’essentiel est cependant de conserver l’activité économique de ces biens. L’article 5 de la nouvelle loi achève la réforme entamée en 2005. Désormais, l’acquisitio­n de la propriété immobilièr­e est possible pour toutes activités commercial­es, industriel­les et de services à l’exclusion des terres agricoles. Peu importe le lieu d’implantati­on de l’immeuble commercial, industriel ou de service. L’essentiel est sa destinatio­n. Néanmoins, une activité accomplie par un étranger relevant de l’industrie, de l’élevage ou de la trituratio­n d’huile d’olive installée dans une terre agricole ne peut faire l’objet d’appropriat­ion.

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