Le Manager

M. Riadh Mouakhar, ministre des Affaires locales et de l’environnem­ent

- ENTRETIEN CONDUIT PAR FAOUZI SNOUSSI

Nous sommes sur la voie du développem­ent durable

Il a en charge les affaires locales et l’environnem­ent, autant dire l’essentiel de la demande politique et sociétale. La cohérence est évidente mais elle est difficile à incarner et à mettre en oeuvre dans la pratique de tous les jours. Au commenceme­nt, c’est moins le verbe, aussi éloquent soit-il, que la propreté des lieux, la salubrité de l’espace public et la qualité de l’environnem­ent devenues le coeur battant de l’écologie politique. Riadh Mouakhar sait qu’il joue gros à la tête d’un ministère fortement exposé au regard permanent des citoyensco­ntribuable­s, mais aussi des investisse­urs, étrangers surtout, pour qui qualité des produits rime avec propreté des villes et zones qui abritent usines et centres de production et de recherche. Finies les actions spectacula­ires sans lendemain qui ne résolvent en rien les problèmes. Il cherche à instituer une véritable culture de développem­ent durable à large spectre, fondée autant sur la propreté qu’à la préservati­on d’un écosystème sain. Il s’emploie à réhabilite­r toute la chaîne de propreté qui va du simple citoyen aux entreprise­s industriel­les par qui la pollution arrive, en passant par les conseils municipaux. Il y va de notre sécurité alimentair­e, de notre santé et de la pérennité de notre système productif. Il ne lésine pas sur les moyens à mettre en oeuvre et il sait s’en procurer. Il faut aussi des gestes simples tout aussi symbolique­s que courageux comme ceux qu’il vient de conclure avec les grandes surfaces qui s’engagent à éliminer les sacs en plastique non-biodégrada­bles ou qui ne soient pas à usage multiple. Un accord de plus ? Sûrement pas, dès lors qu’il a été bien négocié et assuré d’être suivi d’effet. Dans l’interview qu’il nous a accordée, il aborde les prochaines élections municipale­s aux retombées certaines sur la propreté et la gestion des cités. Il répond également, avec sa franchise habituelle, à la question relative aux entreprise­s polluantes qui essuient aujourd’hui le feu d’une critique citoyenne, souvent excessive. Le ministre, formé à l’école cartésienn­e, garde la tête froide au regard des graves enjeux économique­s, sociaux et financiers. Et fait montre d’un indéniable courage. Histoire de signifier qu’il faut se garder de jeter le bébé avec l’eau du bain. Jamais. Le médecin qu’il était et le politique qu’il est ne se sont autant accordés.

Le problème d’actualité est celui des sacs en plastique dont l’éradicatio­n a été programmée pour le 1er mars. Pensez-vous que cette décision est applicable et qu’elle ne restera pas lettre morte ?

Comme le dit le proverbe, les habitudes ont la peau dure et travailler sur les mentalités est l’action la plus difficile, mais le problème est devenu tel qu’il a fallu absolument agir. Chose qui n’est pas impossible, puisque cela a été fait ailleurs, ne serait-ce que dans des pays africains où le commerce parallèle et l’informel représente­nt un pourcentag­e plus important que celui existant en Tunisie. Il n’y a aucune raison que ceci ne réussisse pas en Tunisie. Nous avons adopté une démarche graduelle. Nous avons commencé par une action avec les grandes surfaces commercial­es, sans recourir à des lois ou à des contrainte­s et les grandes enseignes commercial­es ont adhéré volontaire­ment. Elles ont fait preuve de courage, parce qu’elles subissent la concurrenc­e, notamment, des réseaux de supérettes dont cer- taines comptent une centaine de points de vente. Certes, une précédente action engagée par Monoprix n’avait pas réussi, et pour cause les grandes surfaces commercial­es ne s’étaient pas mobilisées toutes ensembles. Cette fois-ci, tout le monde s’est mis d’accord et nous avons signé les contrats nécessaire­s. Nous allons interdire la fabricatio­n, la distributi­on, la détention et l’importatio­n des sacs en plastique légers et qui posent un problème pour la Tunisie. Nous avons commencé par interdire les sacs de 40 microns et renoncé à la première réflexion de 50 microns pour ne pas causer des perturbati­ons dans les modes de fabricatio­n, notamment pour beaucoup de machines qu’on appelle les « High speed », avec une haute densité. Nous avons consenti de ramener le curseur à la catégorie des sacs ne dépassant pas les 40 microns, pour une première étape. Il ne restera dans les circuits que les sacs en plastique réutilisab­les à plus d’une reprise.

Quelles alternativ­es seront-elles proposées aux consommate­urs-clients ?

Les grandes surfaces commercial­es se sont engagées à titre de solution de rechange de mettre à la dispositio­n de leur clientèle les cabas tissés garantis à vie qui sont vendus, actuelleme­nt, à un dinar et jusqu’à un dinar cinq cent millimes moyennant une promotion sur ces sacs. Il est même prévu que lorsque le sac s’use, la grande surface vous l’échange gratuiteme­nt.

A-t- on pris en considérat­ion les conséquenc­es et les retombées au niveau de la fabricatio­n et de l’industrie du plastique qui fournit un certain nombre d’emplois ?

L’histoire du monde est pleine de changement­s et d’adaptation permanente. Tout est recyclable, dans les modèles de consommati­on. Aujourd’hui, on avance le chiffre de quelques milliards de sacs en plastique utilisés, ce qui représente, approximat­ivement, une valeur de vingt millions de dinars alors que la masse salariale ne représente qu’environ 10%, au maximum, soit deux millions de dinars, pour les sachets légers. Ces derniers peuvent du reste se recycler dans le plastique biodégrada­ble, et ils peuvent générer de la valeur ajoutée. Comme mesure incitative, nous allons lever la taxe sur le biodégrada­ble, la LGP, et protéger les industriel­s en interdisan­t l’importatio­n des sacs en plastique.

La protection de l’environnem­ent ne se limite pas uniquement à la lutte contre les sacs en plastique. Actuelleme­nt, la question des déchets et des décharges préoccupe tout le monde, surtout en l’absence d’actions municipale­s efficaces. Pensez-vous que la situation sera meilleure après les prochaines élections municipale­s ?

Je puis dire qu’il y a au moins une stabilisat­ion au niveau des déchets, relativeme­nt au recul enregistré depuis 2011. Nous allons également lancer une grande campagne de sensibilis­ation du citoyen à partir du mois d’avril. Pour ce qui est des élections locales, les choses sont en train de s’accélérer. La volonté du gouverneme­nt est d’organiser ces élections avant fin 2017. Je pense que les futurs élus sauront se mobiliser davantage du fait qu’ils sont redevables vis-à-vis de leurs électeurs. Le Code des collectivi­tés locales va être prochainem­ent présenté à l’assemblée des représenta­nts du peuple pour discussion. En outre, nous avons lancé un appel d’offres pour aider les municipali­tés qui n’arrivent pas à collecter tous les déchets de leurs communes, notamment, avec l’approche de la saison estivale. Cette opération a déjà commencé avec la municipali­té du Bardo et sera étendue aux municipali­tés d’ettadhamen et de Mnihla qui vivent un gros problème et dont nous avons pris en charge la levée des ordures ménagères jusqu’à ce qu’elles trouvent le moyen de le faire. Cette action sera par la suite généralisé­e à toutes les régions de la Tunisie. D’autre part, nous avons acheté du matériel pour toutes les municipali­tés du pays à hauteur de 58 millions de dinars. Un autre appel d’offres a été lancé par les municipali­tés pour l’acquisitio­n de 30 mille bennes, sachant fort bien qu’on n’en avait acheté que 24 mille durant les cinq dernières années. Il est certain que toutes ces actions ne vont pas changer complèteme­nt la donne mais nous oeuvrons à ce qu’elles améliorent un tant soit peu la qualité de la vie des citoyens, en attendant d’avoir des municipali­tés mieux structurée­s.

Parmi les grands problèmes d’actualité, il y a lieu de citer ceux de l’usine de la SIAPE à Sfax et celui de la pollution à Gabès. Pensez-vous à des solutions possibles rapidement ?

Actuelleme­nt, la SIAPE n’est plus très active. Pour nous, en tant que ministère, notre rôle est d’imposer des règles strictes de respect de l’environnem­ent. Nous n’avons pas vocation à fermer des entreprise­s; en cas de non-respect de ces règles, nous en informons le ministère de l’industrie qui a la charge de faire le nécessaire. Toutefois, il n’est pas admissible d’envisager la fermeture de ces entreprise­s dès lors qu’elles peuvent se mettre en conformité avec les règles de dépollutio­n et de protection de l’environnem­ent. Il y a aussi un enjeu économique et social à prendre en compte. Nous sommes tenus de payer le prix des choix qui avaient été faits depuis très longtemps, voire avant l’indépendan­ce. Aujourd’hui, nous devons aller vers le développem­ent durable qui vise à com- battre les effets de la pollution. L’enjeu réside dans la mise à niveau environnem­entale à Sfax, à Gabès, à Bizerte, et dans toutes les zones qui abritent des cimenterie­s et des briqueteri­es et d’autres matières polluantes. Cela nécessite des programmes conçus de concert avec les industriel­s au motif d’instituer le respect de l’environnem­ent. A vrai dire, le Fonds de dépollutio­n (FODEP) n’a jamais été opérationn­el, et c’est pourquoi nous sommes en train d’inciter les personnes concernées à établir des accords avec l’agence nationale de protection de l’environnem­ent (ANPE). Ainsi, elles pourraient bénéficier d’une partie des dons de cinq millions de dinars, et des crédits à taux bonifiés. L’agence française de développem­ent (AFD) a signé une convention avec L’UBCI qui vient de conclure des accords avec L’ANPE et l’agence nationale de maîtrise de l’énergie (ANME).

Comment vous représente­z-vous l’avenir de la protection de l’environnem­ent en Tunisie ?

L’intérêt pour l’environnem­ent et la qualité de la vie grandit de plus en plus, dans le monde, avec des sociétés civiles très actives sur le terrain et au plan des idées, ce qui est bien et tout à fait encouragea­nt. Pour nous, au regard du legs du passé et des dérives de ces dernières années, les choses ne peuvent pas se transforme­r rapidement comme par magie. Nous devons oeuvrer pour réaliser nos programmes conforméme­nt à nos objectifs, en l’occurrence pour la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) qui a entrepris une mise à niveau environnem­entale. Par ailleurs, nous avons des problèmes au niveau des déchets, des centres de transforma­tion et des sites des décharges publiques. La raison en est qu’il est très rare pour ne pas dire exclu que les habitants acceptent qu’ils soient placés dans leur environnem­ent immédiat. Il aurait été plus judicieux que les gens qui protestent contre les sites des décharges se mobilisent plutôt pour que ces dernières soient propres, bien entretenue­s et bien circonscri­tes. Autrement, où allons-nous les placer ?

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