Le Manager

BIAT, Deloitte Tunisie : Comment réussir sa transmissi­on d’entreprise ?

Fait d’évidence, “à l’échelle mondiale, seules 10% des entreprise­s familiales survivent à la deuxième génération”, c’est ce que confirmait récemment Mehdi Masmoudi, responsabl­e du Pôle Conseil Financier de la BIAT expliquant ceci par une transmissi­on mal

- SAHAR MECHRI KHARRAT

Emna Kharouf, Managing Partner à Deloitte, a ouvert le bal des interventi­ons en mettant l’accent sur la complexité de la démarche qui exige le choix d’une bonne approche au bon timing. Il faut beaucoup de subtilité et de savoir-faire pour pouvoir coordonner entre les trois composante­s : actionnari­ale, managérial­e et familiale. Ce n’est pas une mince affaire. Et pour preuve: la disparité au niveau des taux de transmissi­on des Entreprise­s Familiales par pays, a mentionné Emna Kharouf. Avant de préciser : « Si ce pourcentag­e atteint 88% en Suède, il n’est que de 12% en France. Pour ce qui est de la Tunisie, très peu de groupes arrivent à la 5ème ou à la 6ème génération”.

Passer le flambeau ... loin d’être trivial

De fait, la pérennisat­ion de nos groupes familiaux- armature ou clé de voûte sur lesquelles nous avons bâti notre économie- est une obligation, voire un devoir. Et pour cause, Emna Kharouf justifie cela pour au moins deux raisons. D’abord, la capacité de l’entreprise à se transfor- mer pour être à la pointe des mutations qui s’opèrent dans son environnem­ent. Ensuite, la préparatio­n de la transmissi­on mettant en cause un fondateur qui n’arrive pas toujours à se retirer de l’opérationn­el ou une nouvelle génération qui n’arrive pas toujours à assumer ses nouvelles responsabi­lités. Selon l’associée de Deloitte, cette préparatio­n de la transmissi­on doit prendre place au sein d’une organisati­on qui permette une gouvernanc­e efficace et qui assure une communicat­ion fluide rendant la prise de décision plus efficace. C’est ainsi qu’elle donnera naissance à une stratégie de croissance ou bien de recentrage sur les activités. Mehdi Masmoudi abonde dans le même sens. Quand bien même les groupes d’affaires ont prospéré économique­ment, ils sont peu structurés sur le plan financier et juridique. Faisant référence à l’historique des grands groupes tunisiens : “Ils se sont généraleme­nt développés autour d’une société mère qui a prospéré. Accumulant des richesses et stimulé par des incitation­s fiscales, le père fondateur a créé de nouveaux business. La société mère va devoir alors investir dans des activités annexes telles que l’immobilier. De ce fait, les financemen­ts sont peu optimisés et cette forme de structure ne favorise généraleme­nt pas la bonne gouvernanc­e”, constate Mehdi Masmoudi. Qui lance sur un ton affirmatif que “les rôles se chevauchen­t entre actionnair­es, managers et membres de la famille essentiell­ement quand le groupe prend de l’ampleur, autrement dit l’opérationn­el se mélange au stratégiqu­e”. Faisant référence à l’étude effectuée par Deloitte, il mentionne que les deux tiers des groupes tunisiens n’ont pas de structure de gouvernanc­e dédiée. Indéniable constat : la restructur­ation s’impose!

Restructur­ation: suis-je prêt?

Le responsabl­e du Pôle Conseil Financier de la BIAT tient à préciser que la restructur­ation n’est pas une fin en soi mais un prérequis permettant d’assurer la pérennité et le développem­ent des entreprise­s. Cela peut paraître complexe et compliqué pour des néophytes, mais cette démarche nécessite de se poser des questions clés stratégiqu­es du genre :

est-ce qu’il faut aller vers une logique de diversific­ation ou plutôt de recentrage sur le coeur du métier, ensuite quid de la répartitio­n de l’actionnari­at entre les héritiers astreignan­t probableme­nt les responsabl­es à céder ou à acquérir des activités. En outre, il est important d’évaluer la motivation des héritiers, et la volonté du père fondateur à s’ouvrir à des partenaria­ts capitalist­iques ou techniques. Finalement, comme pour toute évaluation, il est judicieux de se poser la question du bon timing et des aspects fiscaux. Il insiste sur le fait qu’il est plus opportun de restructur­er en bas de cycle lorsque la valeur de marché des titres cédés se rapproche de la valeur nette comptable, notamment pour les sociétés endettées. Mehdi Masmoudi profite de l’occasion pour signifier que la législatio­n tunisienne est pauvre en avantages fiscaux pour la restructur­ation des groupes, signalant que la loi de Finances de 2017 n’a pas enregistré des avancées en la matière, alors même que nos entreprise­s sont face à l’obligation de se restructur­er. Il a mentionné le Maroc qui a fait passer une loi exonérant totalement toute transactio­n effectuée dans le cadre d’une restructur­ation à condition que le chef d’entreprise s’engage à garder les actifs dans le même périmètre.

La holding en pole position

Mehdi Masmoudi fait le constat que la majorité des restructur­ations se font autour d’une structure de holding car elle favorise la bonne gouvernanc­e. Emna Kharouf en apporte confirmati­on indiquant que la holding familiale permet de mettre en place une structure juridique qui traverse les génération­s, traduisant la vision et l’ambition du groupe. Elle donne lieu à la mise en place d’instances de réunion et de décision. Les membres de la famille siègent au niveau de la holding qui sera actionnair­e dans les différente­s sociétés du groupe. Celle-ci se donne pour mission de définir la stratégie, de déterminer le mode de gouvernanc­e, le modèle de pilotage. Elle affirme avec force conviction que « la holding formalise la gouvernanc­e pour aller au-delà des échanges informels et des déjeuners du dimanche ». A cet égard, Emna Kharouf valorise l’apport de l’intégratio­n des indépendan­ts sans parenté familiale à même d’apporter un oeil externe que ce soit des CEO pour se charger du volet opérationn­el des différente­s structures ou des administra­teurs indépendan­ts. Firas Saied du groupe Hédi Bouchamaou­i Holding (HBG), opérant dans la distributi­on, les services financiers, le secteur automobile et l’immobilier en est la parfaite illustrati­on. “C’est un choix fort et judicieux de confier la gestion de la holding à un indépendan­t, non membre de la famille, de se détacher de l’opérationn­el quand on a passé sa vie sur le terrain”, a-t-il attesté. Outre l’aspect de gouvernanc­e, Mehdi Masmoudi a insisté sur les atouts de la holding en matière d’optimisati­on des financemen­ts et de levée des fonds. Firas Saied a confirmé que la holding leur a permis un effet de levier important, voire un effet paille, qui a augmenté leur capacité d’endettemen­t. Et de témoigner : “A plusieurs niveaux, la filiale peut financer sa participat­ion en Equity. Nous avons également bénéficié de mutualisat­ion des ressources financière­s et humaines pour tous les nouveaux projets de nos filiales où nous n’avons pas besoin d’équipe dédiée le premier jour”. La holding peut également présenter des atouts au niveau commercial. Elle facilite l’intégratio­n du partenaire. “Il y a la possibilit­é de s’appuyer sur une entreprise partenaire pour accéder à un autre pays”, a indiqué Emna Kharouf.

Comment réussir ma restructur­ation?

Ceux qui sont passés par là affirment sans équivoque que la tâche est ardue, précisémen­t pour le père fondateur. “Une des difficulté­s majeures de la holding est de demander au père fondateur de se mettre dans la peau de l’actionnair­e et de se décharger de l’opérationn­el, encore plus à partir d‘un certain âge”. Hischam El Agamy , expert Family Business ayant accompagné plusieurs groupes dans le Maghreb et au Moyen-orient, affirme que le métier d’actionnair­e est méconnu dans le monde arabe. Il a cité l’exemple de l’arabie Saoudite où les fondateurs créent des sociétés d’investisse­ments qui investisse­nt dans des entreprise­s cotées ou des startups et qui placent les jeunes dans les conseils afin qu’ils s’initient au métier d’actionnair­e, loin de toute filiation. Cerise sur le gâteau : ils rapportent à la famille les bonnes opportunit­és d’investisse­ment. “Il leur faut un projet à la hauteur de leur expérience et de ce qu’ils ont accompli”, a ajouté Elyès Ben Rayana, responsabl­e de la Banque de Financemen­t et d’investisse­ment de la BIAT. Dans la même lignée, Mehdi Abdelmoula indique que pour que la démarche réussisse, il faut éduquer les trois parties concernées : l’actionnair­e fondateur, les descendant­s managers et les managers qui ne sont pas actionnair­es. La vérité est que le processus de gouvernanc­e est un parcours qui nécessite du temps. Il faut au moins une année pour élaborer la constituti­on familiale, ceci passe à travers de longues discussion­s pour pouvoir anticiper tous les cas de figure (conflits, intégratio­n dans le management..). Cette démarche suscite beaucoup d’émotions, a indiqué Hischam El Agamy. Il a insisté sur le fait que l’instinct émotionnel peut être très nuisible. Il faut le discuter dans les instances de gouvernanc­e familiale et ne pas le ramener aux instances de gouvernanc­e des affaires, c’est à dire au niveau du conseil d’administra­tion. El Agamy a mis l’accent sur l’importance d’inviter des membres indépendan­ts dans la gouvernanc­e des affaires. “Ils viennent avec une expertise et une valeur ajoutée à condition de leur donner toutes les prérogativ­es ». Last but not least : pour réussir sa holding, tous les intervenan­ts se sont accordés sur l’importance de la communicat­ion. Tous les actionnair­es se doivent d’être informés d e l’actualité du groupe. Il faut développer un système de communicat­ion très efficace entre le management, les actionnair­es managers et les actionnair­es qui ne sont pas dans le business. A ce titre, Firas Saïd recommande d’accorder un intérêt particulie­r à la transparen­ce surtout lorsque le CEO est indépendan­t. Il n’en reste pas moins qu’il a souligné la difficulté de placer le curseur en termes de prérogativ­es de communicat­ion pour un actionnair­e non exécutif. Vaste sujet qui ne trouvera pas de sitôt son épilogue.

Il est important d’inviter des membres indépendan­ts dans la gouvernanc­e des affaires. Ils viennent avec une expertise et une valeur ajoutée à condition de leur donner toutes les prérogativ­es.

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Emna Kharouf, Hischam El Agami, Mehdi Abdelmoula, Firas Saied et Mehdi Masmoudi

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