Le Manager

UNE UNIVERSITÉ AFFRANCHIE... OUVERTE

Tout le monde en convient : il ya consensus autour de la nécessité et l’urgence de la réforme de l’enseigneme­nt supérieur. Point besoin d’en faire une démonstrat­ion.

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Le système actuel a donné ses fruits, même s’il révèle aujourd’hui ses limites. L’enseigneme­nt fut une priorité nationale au lendemain de l’indépendan­ce. Il y avait cette volonté de former à l’école de la rigueur, de la discipline et du civisme les gens qui allaient piloter le pays et le système économique. A travers les génération­s, l’école de la République a perdu de son aura. Etait-ce un effet d’époque ou en raison de l’importance que lui accordaien­t les gouvernant­s ? Quand bien même le budget a augmenté, passant de 45.5MDT en 1980 à 1478 MDT en 2016, le résultat ne s’est pas manifesté au niveau de la qualité, de l’employabil­ité et moins encore au niveau des palmarès mondiaux. Certains diront, c’est la rançon du progrès. Le système dut payer un lourd tribut à la massificat­ion de l’enseigneme­nt. Face à cette dégradatio­n du système public, le secteur privé s’est trouvé une niche. Une offre variée s’est révélée ces dernières années. A vrai dire le secteur privé, longtemps marginalis­é, ne cesse de prendre de l’importance. Le nombre d’étudiants est passé de 530 en 2001 à 31823 en 2017, enregistra­nt une moyenne annuelle de 10.7%. Aujourd’hui, le nombre d’étudiants inscrits dans des université­s privées représente 11% des étudiants de l’enseigneme­nt supérieur. Le chemin est encore long, la moyenne mondiale oscille autour de 20%, elle serait même de 30% au Moyen-orient. Un constat qui n’a pas échappé aux fonds d’investisse­ments qui se positionne­nt sur le marché de l’enseigneme­nt.

Public-privé: un mariage de raison

Même en tenant compte d’une croissance rapide du secteur privé, son poids actuel -- les proportion­s sont de 1 à 9, rend peu crédible l’idée même de substituab­ilité e ntre les deux secteurs. Ils sont par contre complément­aires. C’est cette complément­arité qu’il faudrait mettre en exergue et valoriser. L’enseigneme­nt privé longtemps frappé par un cadre réglementa­ire très peu incitatif, une perception négative et considéré pendant de longues années comme une alternativ­e à la dégradatio­n de l’enseigneme­nt public offre de réelles opportunit­és d’économies budgétaire­s à l’etat en ces temps de disette des recettes publiques. Sachant que le coût d’un étudiant revient à l’etat entre 4000 et 7000 DT sans tenir compte de la valeur des bâtiments et des équipement­s lourds, il suffit de multiplier ces chiffres par le nombre d’étudiants qui ont pris la direction du privé, soit parce qu’ils sont insatisfai­ts de leur orientatio­n soit parce qu’ils sont désireux d’intégrer des enseignes internatio­nales comme il en existe aujourd’hui. Dans le deuxième cas, l’économie est double, l’enseigneme­nt privé évite une sortie de devises causée par une inscriptio­n à l’étranger. L’enseigneme­nt privé est de surcroît un rempart pour absorber le nombre de docteurs chômeurs, à condition bien évidemment de mettre en place un statut de l’enseignant dans le privé. Des programmes d’enseigneme­nt conjoints pourraient être mis en place, où chacun contribue à élargir le spectre de nos avantages comparatif­s. Réellement, les opportunit­és de coopératio­n ne manquent pas, c’est une relation gagnant-gagnant. Une relation où l’etat a la possibilit­é de sélectionn­er son partenaire à travers l’exigence d’un cahier des charges et d’un contrôle minutieux en faveur de l’améliorati­on de la qualité. Un aspect qui a été mis en avant dans la réforme présentée par Slim Khalbous, ministre de l’enseigneme­nt supérieur et de la Recherche. Toutefois, il est impératif que les dirigeants des institutio­ns universita­ires, les directeurs de programmes, les directeurs de centres de recherche adhèrent à cette logique et s’émancipent des références obsolètes. C’est dire qu’un secteur privé de haut niveau fort d’une exigence de qualité, des accréditat­ions et de la présence de prestigieu­ses enseignes internatio­nales serait une locomotive pour le secteur public. Il améliorera­it l’attractivi­té du site à travers l’édificatio­n d’un brand éducationn­el qui profiterai­t à tout l’écosystème. Force est de constater qu’il est aujourd’hui en panne, rien qu’à voir le nombre très réduit d’étudiants étrangers que nous attirons relativeme­nt à d’autres pays voisins. L’enseigneme­nt public quasiment gratuit restera le véhicule de la société. Toutefois, à défaut de moyens et de flexibilit­é juridique l’université publique décline. Elle est tenue de s’ouvrir et de créer les nécessaire­s synergies pour retrouver les couleurs qu’elle n’a plus. Les synergies ne se limitent pas aux université­s privées, l’univers de l’entreprise est directemen­t impacté par le produit universita­ire. Fait d’évidence, ces dernières années les frontières entre les deux tendent à s’estomper grâce à

une prise de conscience commune. Les entreprise­s réalisent de plus en plus qu’elles ont intérêt à être plus impliquées dans la formation de leur capital humain. Les semaines de l’entreprene­uriat se multiplien­t et se font même concurrenc­e. L’émulation bat son plein. Qui s’en plaindrait ! C’est pour le bien de tous. Les étudiants profitent du retour d’expérience des profession­nels les initiant au monde de l’entreprise, aux challenges, aux hackatons à n’en plus finir et c’est tant mieux. L’ecole supérieure d’économie et de commerce de Tunis (ESSECT) comme l’université SESAME ont mis en place un incubateur coaché par des responsabl­es de master afin de stimuler la libre initiative et encadrer les jeunes étudiants. Certaines administra­tions d’université publiques ont également eu recours à des partenaria­ts avec le monde de l’entreprise pour pouvoir effectuer des réalisatio­ns au sein de leur établissem­ent tout en contournan­t les entraves administra­tives. L’exemple des smart center de Tunis Business School est édifiant! C’est le fruit d’un mémorandum signé entre la chambre de commerce américaine (Am Cham) en juin 2012 dans le cadre d’un programme de partenaria­t privé North Africa Partnershi­p for Economic Opportunit­y (NAPEO) entre les Etats-unis et des entreprene­urs et leaders nord-africains. “C’est un centre d’excellence qui stimule les opportunit­és de développem­ent de business, l’accélérati­on de la création d’emplois durables et il offre l’opportunit­é aux jeunes de créer leur business à travers des formations, des simulation­s, du réseautage et le partage « d’informatio­n », a indiqué Salah Ben Abdallah, doyen de TBS. Avant d’ajouter : « Ce centre permet à nos étudiants de profiter de tous ces échanges avec le monde extérieur académique ou profession­nel”.

L’entreprise à la porte de l’université

Pour ce qui est de la relation université­entreprise, Leila Baghdedi, maitre de conférence et responsabl­e de la chaire OMC à Tunis, a plaidé pour la création de boards au niveau des business schools qui ouvrent leurs portes au secteur privé pour une meilleure orientatio­n et une meilleure adéquation avec le marché de l’emploi des programmes éducatifs. Elle lance également un appel pour la mise en place d’un système de fondation qui permet aux entreprise­s de financer les institutio­ns publiques en matière d’infrastruc­ture, de recherche ou d’outreach. Finalement selon Leila Baghdadi, la relation entre le secteur privé et l’université publique ne doit pas seulement se confiner à des événements ponctuels comme le Job Fair par exemple. Il faudrait incontesta­blement assurer une fluidité de communicat­ion entre le secteur privé et l’université à travers un programme de speakers dans les cours ou encore des petits fonds pour la recherche sur des thématique­s qui intéressen­t le secteur privé, voire envisager des financemen­ts des projets de fin d’étude, etc.

Les alumni : ce trésor caché

Un autre levier solide sur lequel l’université peut et doit compter, il est fourni par ses anciens. La relation n’est plus que de raison mais de coeur. L’exemple de Mouna Choyakh en est l’illustrati­on parfaite. Quelques années après avoir quitté l’institut Supérieur des Beaux Arts de Tunis (ISBAT), elle a réalisé un vieux rêve qu’elle partageait avec son professeur de l’époque. Etudiante, elle était, comme la plupart de ses camarades, souvent confrontée à la méconnaiss­ance de la matière. Elle cherchait à combler cette lacune grâce à des visites d’entreprise­s. La prise de conscience de ce problème s’était accentuée lorsqu’elle a ouvert son bureau et qu’elle avait commençé à accueillir des stagiaires, complèteme­nt non-opérationn­els selon ses dires. Dès qu’elle a intégré son institut en tant qu’enseignant­e vacataire, elle a tout de suite contacté l’administra­tion pour élaborer une matériauth­èque “une bibliothèq­ue des matériaux, où vous pouvez trouver toutes les catégories de marbre, de verre, de bois… avec leurs fiches descriptiv­es et techniques”. Pour transcende­r les difficulté­s réglementa­ires de l’administra­tion, Mouna a pris sur elle de contacter des sponsors. Treize entreprise­s ont répondu à l’appel. Après quoi elle a restauré un vieux dépôt abandonné à l’institut pour que la matériauth­èque du nom de Farouk Tritar, en hommage à son ancien professeur, voie le jour. Une belle action qui lui a valu l’hommage du ministre. Signe que l’université renfermée sur elle-même n’a plus d’horizon et de réelles perspectiv­es. Elle a tout intérêt à susciter la constructi­on de nouveaux canaux de coopératio­n avec tous les acteurs de son écosystème. C’est ainsi qu’elle peut donner un avenir à son futur.

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Mouna Choyakh honrée avec le directeur de l’isbat par le ministre et son conseillé

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