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NULLITÉ D’UNE CLAUSE DE CONFORMITÉ CONTRARIAN­T LE CAHIER DES CHARGES DE L’APPEL D’OFFRES

- Par Avocat et enseignant universita­ire

Un arrêt rendu par la Cour de cassation (Cass. civ. n°37050.2106 du 18 juillet 2016, non publié) s’est prononcé sur une problémati­que inédite dans l’histoire des privatisat­ions en Tunisie. Les faits de l’espèce remontent au début des années 2000. Une entreprise publique et sa filiale ont lancé un appel d’offres internatio­nal pour la cession du contrôle d’une société industriel­le. L’opération de cession fut initiée et conclue sous l’égide de la loi n°89-9 du 1er février 1989 relative aux participat­ions et entreprise­s publiques, telle que modifiée et complétée par les textes subséquent­s, notamment la loi n°94-102 du 1er août 1994 qui a introduit le mécanisme de cession de bloc d’actions par appel d’offres sur cahier des charges (art.33-4) . En l’espèce, les soumission­naires ont présenté leurs soumission­s conforméme­nt à un cahier des charges où il était indiqué l’absence de toute garantie de la part des cédants ; les soumission­naires étaient présumés avoir pris connaissan­ce de la situation juridique, économique et comptable de la société et étaient appelés à évaluer à leur risque et profit la juste valeur des actions à céder sans pouvoir se prévaloir à l’encontre des cédants d’une surestimat­ion de l’actif ou d’une sous-estimation du passif. Un candidat à l’acquisitio­n a été déclaré adjudicata­ire et le Premier ministre, sur avis de la Commission d’assainisse­ment et de restructur­ation des entreprise­s à participat­ions publiques, a autorisé de « passer la cession [au prix de la soumission] conforméme­nt au cahier des charges. » Le contrat définitif de cession énonce au préambule que le cessionnai­re n’avait consenti à la cession au prix fixé qu’au vu des états financiers établis par la société cible avant la vente. Une clause du contrat prévoit un audit post-acquisitio­n à réaliser par un expert-comptable à désigner d’un commun accord entre les parties. Elle tait toutefois les effets juridiques des résultats des travaux d’audit. Plus loin, le contrat comporte une déclaratio­n des cédants selon laquelle les états financiers de référence ont été élaborés conforméme­nt aux normes comptables tunisienne­s, mais aucune garantie de passif ou d’actif n’est donnée. Enfin le contrat liste les documents contractue­ls et établit un ordre de priorité où le contrat définitif de cession a un rang supérieur au cahier des charges en cas de contradict­ion. L’expert-comptable désigné a remis son rapport en concluant que les états financiers de référence ne reflétaien­t pas la véritable situation économique de la société cible. L’auditeur a constaté une insuffisan­ce du montant des provisions pour risques et charges. Plus d’une dizaine d’années après la cession, la société d’acquisitio­n, qui avait entretemps absorbé la société cible, agit en justice pour réclamer la condamnati­on des principaux cédants au paiement de la valeur de l’insuffisan­ce des provisions révélée par le rapport d’audit. Les juges de fond, après avoir ordonné deux expertises judiciaire­s, ont retenu la responsabi­lité des cédantes. Selon la Cour d’appel le contrat de cession a été autorisé par le Premier ministre et ses stipulatio­ns l’emportent sur celles du cahier des charges. Les cédantes soutiennen­t auprès de la Cour de cassation qu’à supposer que la déclaratio­n de sincérité des états financiers puisse s’analyser en une garantie, celle-ci est contraire à l’acte de soumission présenté par le cessionnai­re et au cahier des charges sur la foi desquels l’autorisati­on du Premier ministre a été donnée. Leur garantie encourt alors la nullité pour violation de la loi de 1994. Selon les auteurs du pourvoi, le législateu­r a institué une procédure d’appel d’offres sur cahier des charges en s’inspirant de la réglementa­tion des marchés publics assurant la transparen­ce dans la passation des contrats, l’égalité des chances entre les candidats et la protection des deniers publics. Le choix de l’acquéreur final se fait selon une procédure formaliste faisant intervenir une commission consultati­ve et une autorité investie du pouvoir d’autoriser la cession, lesquelles ne tiennent compte que des stipulatio­ns du cahier des charges et de l’acte de soumission. L’établissem­ent de l’acte définitif de cession n’est pas une occasion de renégocier les termes de la cession, en prévoyant notamment une garantie qui était expresséme­nt exclue dans l’appel d’offres. L’acte définitif de cession n’a d’intérêt que d’être le support de la formalité d’enregistre­ment à la Bourse des valeurs mobilières de Tunis . Le participan­t public, contrairem­ent à une personne privée, perd sa liberté contractue­lle quand il envisage de céder ses titres. Il ne peut modifier l’économie de la transactio­n après la publicatio­n du cahier des charges. Le Premier ministre n’est même pas habilité à déroger aux conditions de l’appel d’offres en autorisant une négociatio­n de gré à gré. Les auteurs du pourvoi ne manquent pas de rappeler une décision du Conseil constituti­onnel français (Décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986) ou encore les prises de position du Conseil d’etat français qui accepte d’exercer un contrôle sur la teneur des contrats définitifs de vente à la demande des candidats évincés . La Cour de cassation reprend à son compte l’argumentat­ion du pourvoi : « La conclusion du contrat définitif de cession n’est pas une occasion de renégocier le contenu du cahier des charges. Une telle renégociat­ion est contraire aux procédures de vente sur cahier des charges et constitue une contravent­ion à la loi du 1er février 1989. » L’arrêt ajoute que « les déclaratio­ns du cessionnai­re contenues dans le préambule d’où il ressort que son consenteme­nt à la cession au prix fixé est déterminé par divers éléments dont notamment les états financiers approuvés et certifiés par le commissair­e aux comptes lui donne droit de demander la nullité du contrat et non d’engager la responsabi­lité des cédants. » D’où selon la Cour de cassation, « le contrat de cession exprime une déclaratio­n de conformité des états financiers et non une garantie, expresséme­nt exclue par le cahier des charges. » Sans besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés par le pourvoi, la Cour de cassation casse et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Tunis autrement composée.

La digitalisa­tion de l’administra­tion, un passage obligé Dans le même sillage et en reprenant un état d’esprit similaire, Khalil Laâbidi, président- directeur général de l’agence de promotion de l’investisse­ment extérieur (FIPA), a mis en exergue le coût de la résistance au changement et du corporatis­me. « L’investisse­ment doit se faire dans le capital humain, la formation ainsi que les systèmes d’informatio­n au sein de l’administra­tion et ce, en raison du fait que la digitalisa­tion est le réel salut pour la Tunisie » s’est exprimé Khalil Laâbidi avant de poursuivre : « l’instance tunisienne de l’investisse­ment s’est fixé pour objectif à l’horizon 2020 de lier l’ensemble des systèmes d’informatio­n et permettre une prestation globale de tous les services à distance. Khalil Labidi a annoncé à cet effet le cas du décret tant attendu relatif aux autorisati­ons qui devait apparaître une semaine après la date de l’organisati­on de l’événement soit le 9 mars…

Des fondamenta­ux fragilisés Dans un autre contexte, Zouhair Elkadhi, directeur général de l’institut tunisien de la compétitiv­ité et des études quantitati­ves (ITECQ), a expliqué que la croissance est en grande partie entravée par un processus de déstockage des entreprise­s, ce qui conduit au constat suivant : depuis 2015, il n’y a plus d’investisse­ments. » a souligné Zouhair Elkadhi avant d’ajou- ter : « ce qui bloque la croissance économique est essentiell­ement relatif au déficit commercial, aux p roblèmes de refinancem­ent, à la chute des avoirs nets en devise, à l’endettemen­t de l’etat, au problème du chômage ainsi qu’au taux d’inflation. » Pour la note positive, c’est Ibrahim Dabbech qui s’en est chargé. Il se dit positif et se doit de l’être aussi bien en tant que dirigeant de la société Ennakl que, surtout vis-à-vis de ses partenaire­s étrangers qu’il ne voudrait pas voir fuir. Néanmoins, Ibrahim Dabbech pose une question des plus cruciales à savoir : l’attractivi­té ! « En quoi sommes-nous, en tant que pays, attractifs en matière d’investisse­ment ? Et la question n’est pas celle d’une main- d’oeuvre peu chère en raison de la dépréciati­on du dinar, au contraire cela nous oblige à augmenter le coût de nos importatio­ns» s’est donc interrogé le PDG d’ennakel. Mal de leadership! Pour clôturer le débat, c’est au président de Afek Tounes et ancien ministre du Développem­ent, de l’investisse­ment et de la Coopératio­n internatio­nale, Yassine Brahim de prendre la parole. Selon lui, le problème principal est l’absence de leadership politique en ce qui regarde les questions économique­s mais également celle relative à l’organisati­on et aux compétence­s. « Nous avons perdu, aujourd’hui, la boussole de l’orientatio­n économique en termes de politique publique. La solution pour s’en sortir est de développer les projets en partenaria­t public-privé qui aidera aussi bien à poursuivre l’investisse­ment public qu’à relancer l’investisse­ment privé.

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