QUID DE LA TUNISIE?
INNOVATION ET PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
La Tunisie a réussi en 2018 à gagner deux places dans le Bloomberg Innovation Index pour atteindre la 43ème position dépassant tous les pays africains et arabes. La Tunisie arrive cependant 44ème en termes de densité de la R&D (le ratio des dépenses sur la R&D par rapport au PIB), malgré un rang relativement avancé (40ème) en termes de densité de chercheurs, à savoir le nombre de professionnels engagés dans la R&D par million d’habitants. Toujours d’après le même classement, la Tunisie est classée 44ème à l’échelle mondiale en termes de brevetage. Ce rang a été calculé sur la base de plusieurs facteurs dont le nombre de brevets déposés par million d’habitants, et par 100 milliards de dollars de PIB. La Tunisie a certes réalisé du progrès mais, comme le prouve ce classement, il reste du chemin à faire.
Consciente de l’importance de récupérer ce retard, la Tunisie a mis en place un Système national d’innovation (SNI), dont le but est, d’après Bahri Rzig, DG de l’agence nationale de la Recherche scientifique, “d’améliorer les retombées sociales, économiques et culturelles de la recherche sur la société”. Le SNI est composé d’un ensemble de mécanismes et d’instruments d’appui. Kamel Ouerfelli, directeur à la direction de l’innovation à l’agence de promotion de l’industrie et de l’innovation (APII), définit l’innovation en tant que « la mise sur le marché d’un produit, d’un procédé, d’une méthode marketing ou organisationnelle représentant une amélioration majeure par rapport à l’existant ». Bien que l’innovation peut aider les entreprises à développer leurs activités, elle reste inaccessible pour un grand nombre d’entre elles. “Pour les entreprises qui éprouvent un besoin d’ innovation, nos services ont la capacité de les assister afin d’identifier leurs besoins et les guider tout au d’évaluer leurs performances de gestion de l’innovation et d’identifier les pistes d’amélioration de leurs capacités en la matière. Ce Programme de Renforcement des capacités des PME en matière d’innovation est piloté par le Centre d’innovation et de développement technologique. L’agence joue aussi un rôle important dans le rapprochement des mondes, quasi parallèles, de la recherche scientifique et de l’entreprise. Ce rôle émane du constat que les entreprises, notamment les plus petites, n’ont pas les moyens né- dans un catalogue accessible aux entreprises”, indique Kamel Ouerfelli. Si une entreprise estime qu’elle pourra tirer profit de l’une de ces innovations, elle peut entrer en contact direct avec l’innovateur. L’inventeur ou innovateur indépendant peut quant à lui bénéficier à son tour d’un soutien et d’un accompagnement, tel que l’élaboration d’un plan d’affaires.
Valoriser la recherche scientifique La Tunisie est le premier pays en Afrique
en production scientifique rapportée au PIB et au nombre d’habitants, d’après les chiffres de Web of Science. De fait, le nombre des publications scientifiques indexées est passé de seulement 284 en 1990 à plus de 5739 en 2016. Cette évolution a bénéficié du soutien de 715 structures de recherche et d’un budget de 90.7 millions de dinars en 2017, alors que la recherche scientifique ne participe qu’à hauteur de 0,66% du PIB. Et si le nombre d’entreprises portées par des chercheurs ne reflète pas la richesse de la recherche ? “C’est parce que les chercheurs n’ont généralement pas d’ambitions entrepreneuriales », a fait remarquer M. Ouerfelli. Cela n’a pas empêché L’APII de mettre en place un ensemble d’initiatives visant à encourager les chercheurs à se lancer dans l’entrepreneuriat : “À cet effet, l’agence a mis en place 27 pépinières d’entreprises dans des établissements d’enseignement supérieur répartis sur tout le territoire”. Quant à l’aspect juridique, il n’est pas favorable à la valorisation des résultats de la recherche , les instituts de recherche publics étant leurs seuls propriétaires. Pour pouvoir transformer ces innovations en un produit générant un profit, les chercheurs doivent donc soit acquérir une licence, ce qui ne les aide pas à convaincre les bailleurs de fonds le cas échéant, soit acheter le brevet qu’ils ont déposé, option rarement envisagée par les instituts de recherche. De son côté, le ministère de l’enseignement supérieur aspire à créer un fonds de pré-amorçage, doté d’une enveloppe de 25 millions de dinars pour financer les start-up portées par les docteurs.
Pourquoi recourir à la protection de la propriété intellectuelle La propriété intellectuelle joue un rôle majeur dans le renforcement de la compétitivité des entreprises innovantes, que celles-ci commercialisent des produits nouveaux ou améliorés ou fournissent des services sur la base d’une technologie nouvelle ou améliorée. D’après l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle, le terme propriété intellectuelle désigne les oeuvres de l’esprit telles que les oeuvres littéraires et artistiques, les inventions, les dessins et modèles industriels, les emblèmes, les noms et images utilisés dans le commerce. Ces oeuvres sont protégées par la loi. Ainsi, le brevet protège les inventions et les droits d’auteur protègent les oeuvres littéraires et artistiques. Une nouvelle variété végétale, en revanche, est protégée par un certificat d’obtention végétale. La propriété intellectuelle ne protège pas une idée ou un concept mais elle aide à en concrétiser et valoriser le développement. Grâce aux droits d’auteur, il est possible de valoriser les résultats par une publication scientifique et grâce aux brevets d’invention, il est possible de rentabiliser une partie de l’investissement dans la recherche effectuée voire générer des revenus significatifs.
Que peut-on breveter d’après la loi tunisienne? Au sens du droit de la propriété industrielle, une invention est une solution technique à un problème technique. Cette solution peut prendre la forme d’un produit ou d’un procédé de fabrication. La loi tunisienne sur les brevets d’invention exige que trois conditions soient remplies pour que les inventions puissent être brevetées. Le brevet est délivré pour les nouvelles inventions impliquant une activité inventive. L’invention ne doit pas découler, pour l’homme du métier, de manière évidente de l’état de la technique à la date du dépôt de la demande de brevet. Elle doit également pouvoir faire l’objet d’une application industrielle. Cette condition est remplie lorsque l’invention peut être fabriquée ou est exploitable industriellement. Les idées ne sont pas brevetables et ne peuvent faire l’objet d’aucun actif quant à la propriété intellectuelle. Il existe d’autres oeuvres de l’esprit qu’on croit, à tort, brevetables du fait de leur caractère scientifique. Il en est ainsi des découvertes, des théories scientifiques, des méthodes scientifiques, des créations esthétiques et ornementales, des plans, principes et méthodes, etc. Ces oeuvres peuvent faire l’objet de protection par voie de droits d’auteur ou autres actifs de la propriété intellectuelle, mais pas par un brevet. La protection garantie par les brevets n’est pas sans limite. Dans la législation tunisienne, elle est de seulement 20 ans. Ce qui a poussé plusieurs entreprises à se rabattre sur une autre option pour protéger leur propriété intellectuelle: le secret commercial.
Les trade secrets: un outil efficace mais à risque élevé Un secret commercial bien gardé pourrait théoriquement durer éternellement. Mais il y a un risque. Contrairement aux brevets, il est parfaitement légal de faire de l’ingénierie inverse et de copier un secret commercial. Certes, un brevet ne dure que 20 ans, mais pendant cette période, la protection est beaucoup plus forte: l’invention indépendante n’est pas un moyen de défense dans une action en justice. Les brevets et les secrets commerciaux présentent des choix opposés. Les secrets commerciaux tirent leur protection juridique de leur nature intrinsèquement secrète. En revanche, les brevets ne peuvent être protégés que par la divulgation publique. En fait, un brevet sera invalidé si l’inventeur s’abstient de décrire des détails importants. Cette condition, appelée habilitation, exige que le breveté divulgue suffisamment d’informations pour que d’autres personnes puissent utiliser l’invention après l’expiration du brevet. En 1886, Dr John Pemberton a créé ce qui est aujourd’hui le secret commercial le plus célèbre du monde : la formule Coca-cola. Aucun fournisseur n’a la recette complète ; chacun d’entre eux est chargé de préparer une partie du mélange classique. La société a réussi à garder le secret pendant plus d’un siècle en le stockant littéralement dans un coffre-fort au centre-ville d’atlanta. Seule une sélection des cadres de l’entreprise
protection de la propriété intellectuelle en général et de la propriété industrielle en particulier, consiste à encourager la créativité, l’innovation et la recherche et développement puisqu’elle assure une protection du droit du titulaire d’une marque, d’un modèle ou d’un brevet durant une durée bien déterminée, ce qui empêche l’utilisation et l’exploitation des produits couverts par la protection sans autorisation préalable de son titulaire. Sinon ceci est considéré comme un délit qui engage la responsabilité civile et pénale de son auteur. La durée de protection est de 20 ans pour les brevets, de 10 ans renouvelables indéfiniment pour les marques et de 15 ans maximum pour les dessins et modèles industriels. Par ailleurs, la Tunisie est signataire des 11 conventions et traités internationaux relatifs au dépôt, en vue de la protection internationale, des différents aspects de la propriété industrielle en l’occurrence le traité PCT pour les brevets, le Protocole de Madrid pour les marques et le système de La Haye pour les dessins et modèles industriels. Ce qui facilite et encourage le dépôt des différents aspects de la propriété industrielle des entrepreneurs tunisiens à l’échelle internationale et des étrangers en Tunisie. Bien évidemment, ceci permet aux opérateurs économiques de protéger leurs marques dans les pays où ils veulent investir.
Quels sont vos plans pour adapter le cadre légal de la propriété intellectuelle à l’innovation dans les services et le numérique ? La propriété intellectuelle à l’ère du numérique est une question vaste où tous les aspects de la propriété intellectuelle peuvent être évoqués comme les noms de domaine et les droits d’auteur. A cet effet, la protection des droits d’auteur est du ressort de L’OTDAV (Organisme tunisien de protection des droits d’auteur et des droits voisins). On citera le cas particulier des logiciels qui sont protégés par droit d’auteur mais qui dans des cas particuliers peuvent être couverts par une protection par brevet si on montre leur lien avec la partie hardware.
Y a-t-il un moyen pour faciliter aux jeunes entrepreneurs l’accès à la protection de la propriété intellectuelle? Nous estimons que l’accès à la protection de la propriété industrielle n’est pas du tout fastidieux au contraire. Celle-ci est claire, rapide et elle n’est pas chère. En effet, L’INNORPI dispose de cinq bureaux régionaux (Béja, Sousse, Sfax, Gabes et Médenine). En outre, toutes les informations nécessaires au dépôt du dossier se trouvent sur le site. L’INNORPI a également mis à la disposition de tous les intervenants en la matière des bases de données. Un système de dépôt en ligne est en train d’être mis en place. De même, les tarifs de dépôt sont les moins chers comparés aux autres pays. En effet, ils sont de 167 TND pour les brevets, de 274 TND pour les marques et de 127 TND pour les drait mettre en place une stratégie de recherche pour avoir une locomotive dans un domaine particulier. Par exemple, si l’instance américaine guide la protection vers les domaines économiques dans lesquels ils veulent être reconnus, l’institut doit accompagner une politique industrielle. C’est dans ce sens que nous allons entamer une révision de l’arsenal juridique à partir du mois de juin.
Qu’est- ce qui sera révisé ? Les révisions vont porter sur trois aspects. D’abord, certaines lois doivent être examinées car elles ne sont pas claires, ensuite, certains domaines doivent être encouragés et enfin, nous devons nous ajuster à l’évolution internationale et intégrer certains aspects que notre loi ne prend pas en considération.
Revenons aux conventions signées, certaines négociations au niveau de L’ALECA portent sur les droits de propriété, où en sont-elles ? Tout à fait, L’INNORPI est chef de file pour ce qui est de la propriété industrielle. Le problème est qu’il faut garantir les droits des Tunisiens en Tunisie et ailleurs. Pour illustrer cela, il n’y a pas de réciprocité pour les mandataires avec certains pays. Ces derniers sont des intermédiaires entre nous et les déposants. Pour qu’ils puissent exercer, ils doivent avoir la nationalité ou la résidence, alors que les mandataires étrangers peuvent exercer en Tunisie !
L’application du texte serait-elle également sujet de polémique ? Bien évidemment, il y a la portée du texte et l’application qui a lieu lors de l’opposition. A cet effet, nous allons examiner toutes les jurisprudences. Nous sommes en train de constituer un noyau dur de mandataires. Un des détails qui posent problème, lorsque l’échéance arrive, nous ne pouvons pas relancer le déposant pour qu’il paie. On enfreint la loi en demandant de l’argent. Pour ne pas laisser le brevet devenir déchu, il nous faut créer une prestation pour le protéger.
Le mot de la fin ! Je suis très contente de retrouver cette prestigieuse institution. Il faut savoir que la propriété industrielle en Tunisie date de 1883. Mon ambition est de lui donner l’aura qui devrait être la sienne au niveau régional et international.