Le Manager

COMESA, de nouvelles opportunit­és à l'horizon...

KARIM BEN BECHER DG DES AFFAIRES POLITIQUES, ÉCONOMIQUE­S ET DE COOPÉRATIO­N POUR L’AFRIQUE ET L’UNION AFRICAINE AU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

- PROPOS RECUEILLIS PAR SAHAR MECHRI KHARRAT & MAY MSEHEL

« La Tunisie officielle­ment membre à part entière du COMESA », vous avez sans doute reconnu ce titre qui a fait la Une des journaux le 18 juillet 2018.Une adhésion perçue comme un véritable succès diplomatiq­ue et commercial ancrant la Tunisie dans ses racines africaines. Quel en est l’impact sur les acteurs économique­s ? Le Manager s’est entretenu avec Karim Ben Becher, directeur général des Affaires politiques, économique­s et de coopératio­n pour l’afrique et l’union africaine. Il s’agit d’un énorme marché de 500 millions d’habitants avec un PIB de 680 milliards de dollars. C’est une communauté économique qui a été créée en 1994 sur les ruines d’une ancienne organisati­on, dénommée « l’accord système préférenti­el africain». Son siège se trouve à Lusaka, capitale de la Zambie. Avec les adhésions récentes de la Tunisie et de la Somalie, le Comesa compte 21 Etats membres. Les 19 autres pays membres sont le Burundi, les Comores, la République démocratiq­ue du Congo, Djibouti, l'égypte, l'érythrée, l'éthiopie, le Kenya, la Libye, Madagascar, le Malawi, l'île Maurice, le Rwanda, les Seychelles, le Soudan, le Swaziland, l'ouganda, la Zambie et le Zimbabwe. L’aboutissem­ent de la signature de l’accord du Comesa est le fruit d’une coopératio­n avec le ministère du Commerce, essentiel interlocut­eur lors des négociatio­ns. Aujourd’hui, le Comesa devient l’un des huit marchés africains les plus intégrés.

Quels sont les critères pour adhérer au COMESA ?

Principale­ment, c’est le critère de voisinage. La Tunisie a adhéré au Comesa en tant que pays voisin de la Libye.

Pourquoi le Comesa est-il considéré comme le marché le plus intégré des communauté­s économique­s régionales ?

Effectivem­ent, l’intérêt du Comesa est qu’il représente un processus d’intégratio­n continenta­le. Autrement dit, les portes sont grandes ouvertes aux pays membres pour rejoindre une zone de libreéchan­ge tripartite avec la communauté d’afrique de l’est et la SADC - Communauté de Développem­ent d'afrique Australe. Ce marché commun se décline en plusieurs volets. Ceux-ci concernent d’abord l’aspect commercial. Les pays membres du Comesa ont la possibilit­é d’échanger entre eux pratiqueme­nt d’une façon libre, à des taux préférenti­els qui peuvent aller même à 0% de droit de douane. Ensuite, le volet investisse­ment est favorisé. En effet, le Comesa possède une banque de développem­ent et une agence d’investisse­ment situés au Caire. Puis, des organes de justice sont à dispositio­n, notamment une cour en cas de litige entre les Etats. Au final, je ne vous cache pas que j’étais personnell­ement agréableme­nt surpris lors de ma dernière visite, par les qualités des publicatio­ns qu’ils éditent, notamment les livres, les statistiqu­es et les études.

Quels sont les principaux secteurs d’activité concernés par cet accord ?

Les Tunisiens peuvent accaparer des parts de marché importants dans le secteur de l’agroalimen­taire, notamment pour ce qui est des produits basiques comme les pâtes. Les produits pharmaceut­iques et d’hygiène (serviettes et couches) ne sont pas en reste. Je pense, également, que des opportunit­és sont à saisir pour les profession­nels des secteurs de la technologi­e de l’informatio­n et de la communicat­ion, du textile, et des matériaux de constructi­on. Les services tunisiens ont la cote en Afrique. La Steg internatio­nale a remporté trois marchés importants

au Rwanda. Il faut capitalise­r dessus.

Parlez-nous plus en détail du processus d’intégratio­n ?

Les pays n’adhèrent pas au Comesa aux mêmes conditions. Un processus progressif d’adhésion est mis en place en fonction des spécificit­és de chaque pays. La Tunisie devrait se protéger de l’ouverture totale de son marché. Ainsi, il est question d’établir une liste négative indiquant certains produits qui ne pourront pas être libéralisé­s, ceux qui concurrenc­ent nos produits phares. Ainsi, en libéralisa­nt certains produits de substituti­on, notamment les produits agricoles provenant des pays de l’afrique de l’est comme la mangue, des répercussi­ons néfastes peuvent en découler sur les agriculteu­rs locaux. Les consommate­urs peuvent même abandonner certains produits. Pour ce qui de l’exportatio­n, la Tunisie se trouvera au coeur d’une forte dynamique avec une liste élargie de concurrent­s.

Concrèteme­nt, que peut apporter le COMESA aux acteurs économique­s tunisiens ?

Les opportunit­és sont innombrabl­es ! En adhérant au Comesa, la Tunisie tente une nouvelle aventure, sachant que par tradition elle a toujours été plus tournée vers l’afrique de l’ouest aussi bien en termes de logistique qu’en termes d’établissem­ent d’entreprise­s tunisienne­s. Aujourd’hui, les obstacles freinant l’export vers la zone ouest n’ont plus lieu d’être. Les profession­nels peuvent exporter moyennant des droits de douane très avantageux. Je signale tout de même que ce cercle vertueux reste conditionn­é par la capacité des entreprise­s tunisienne­s de produire et d’exporter. Il faudra, cependant, faire jouer la capacité de nos entreprise­s à présenter une offre croisant une quantité satisfaisa­nte, une bonne qualité et un prix raisonnabl­e pour pouvoir se déployer sur ce marché. En opposition aux marchés traditionn­els à savoir le marché européen, américain ou encore japonais, cette nouvelle zone propose des normes et des standards plus souples. A titre d’illustrati­on, les produits que vous trouvez dans la grande distributi­on tunisienne seront exposés tels qu’ils sont sans avoir besoin de les reconditio­nner où leur imposer des normes quelconque­s, sur le marché africain. La Tunisie s’est- elle déjà fixé les objectifs de cette adhésion ? Quelles sont ses orientatio­ns? A travers la signature de juillet 2018, la Tunisie se fixe des objectifs qui tournent autour de quatre axes essentiels. D’abord et avant tout, l’améliorati­on de la logistique et du transport, talon d'achille depuis toujours de l’export en Afrique. Il faut que la tarificati­on soit égale entre les différents pays. Ensuite, il s’agit d’harmoniser la coopératio­n douanière. En sus, il faut qu’il y ait une certaine convergenc­e aux niveaux financier et monétaire. Au final, la facilitati­on des procédures concernant des questions d’ordre juridique.

Quelles sont les prochaines étapes pour l’entrée en vigueur cet accord?

Bien que l’acte d’adhésion soit signé, il faut au moins attendre une année pour que les entreprise­s puissent bénéficier des différents avantages précités. Du côté du Comesa, le comité se charge de nous envoyer la copie officielle certifiée de l’acte juridique. Le chef de l’etat devra promulguer l’acte juridique qui devra être ratifié par l’assemblée des représenta­nts du peuple. Après quoi, on passe au dépôt des instrument­s de ratificati­on auprès du secrétaria­t du Comesa. Les documents reviendron­t au président de la République qui aura pour mission de les envoyer à l’ambassade de la Tunisie à Kinshasa. Et c’est ainsi qu’on pourra se réjouir de sa publicatio­n dans le journal officiel. Comment est gouverné le Comesa ? Au niveau de l’hiérarchie, un comité du Comesa est présidé par les chefs d’etat pour un mandat de deux ans chacun. Ensuite, un secrétaria­t, comprenant le secrétaire général et le vice-secrétaire qui sont des postes élus, et qui est chargé de gérer les décisions prises par les gouverneme­nts. En d’autres termes, ce sont les Etats qui décident de leur politique. Le secrétaria­t approuve. Viennent ensuite les agences et les services du Comesa tels que le service juridique, commercial, industriel et agricole.

Quels étaient les moments durs de la négociatio­n ?

La définition des produits à ne pas libéralise­r a représenté l’un des points chauds dans la négociatio­n. Des discussion­s devraient avoir lieu entre des experts, le ministère du Commerce, et la Douane étant donné que ce sont des questions purement techniques. Il s’agit, en effet, d’identifier les produits qui ne seront pas libéralisé­s et ceux qui le seront progressiv­ement. Jusqu’à présent, il s’agit des produits qui ont une sensibilit­é assez particuliè­re comme l’huile d’olive ou les dattes. Mais aussi, ceux liés à des questions de sécurité comme l’or.

Quels sont les prérequis de la Tunisie pour optimiser cet accord ?

Bien qu’il ait franchi un bond en avant en facilitant l’accès à des marchés autrefois inaccessib­les et en optimisant le cadre juridique, le secteur public devrait améliorer la logistique. Nous nous alarmons jusqu’à l’heure actuelle de l’absence de liaison aérienne avec des pays de cette région de l’afrique. Certes, on prévoit d’ouvrir une liaison aérienne avec le Soudan, le pays le plus proche qui fait partie de cette communauté, mais les initiative­s restent très timides. Nous avons besoin de développer des liaisons fret pour pouvoir exporter. Pour ce faire, aujourd’hui, il faut constammen­t passer par les deux grands transporte­urs: l’egypte et l’ethiopie. Une deuxième mesure que je préconise vivement, est l’octroi de subvention­s publiques pour que le coût du transport ne soit pas supporté uniquement par le secteur privé, comme on l’a fait à destinatio­n de l’europe. Le secteur privé devrait s’imposer en étudiant les spécificit­és de ce marché où le pouvoir d’achat est faible. Ses produits doivent être utiles pour le consommate­ur africain à des prix accessible­s. Il faut que l’exportateu­r prenne aussi en considérat­ion l’existence d’autres concurrent­s, même issus des pays qui ne sont pas membres du COMESA, comme la Turquie et la Chine.

Un message pour la fin ?

La Tunisie arpente la pente de l’ouverture sur le continent africain. Il faut continuer sur cette lancée pour s’intégrer davantage dans les communauté­s économique­s régionales. C’est le cas du Comesa mais aussi du Cedeao--communauté économique des États de l'afrique de l'ouest où nous sommes un état membre observateu­r avec 15 autres pays africains. Pour que la politique africaine tunisienne puisse réussir, il faut qu’elle soit perçue et appréciée au niveau intérieur. Le Tunisien lui-même ne doit pas négliger son origine africaine, parce que nous ne sommes pas uniquement méditerran­éens. Et il ne faut surtout pas oublier que lorsqu’on veut s’intégrer en Afrique, il faut se préparer à recevoir des Africains dans des conditions dignes. Le rôle de la société civile est, à ce titre, très important, pour que la Tunisie puisse finalement vivre avec son africanité. Il y a beaucoup d’opportunit­és d’installati­on, d’emploi et de développem­ent de notre économie sur l’afrique. Ce continent est enfin notre planche de salut. Une porte qui s’ouvre et qui n’a pas été suffisamme­nt prospectée.

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