Coopération africaine anti-corruption Naissance d’un partenariat Tunisie-afrique pour prévenir et réprimer la corruption
L’instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC) vient de prendre une initiative stratégique en lançant des partenariats de lutte anti-corruption avec les pays africains à la faveur de l’organisation, les 18 et 19 juillet, des toutes premières Journées africaines pour la gouvernance et la lutte contre ce fléau, qui seront désormais annuellement réitérées sur la base de la Convention ad hoc de l’union Africaine qui vient d’être votée à L’ARP.
Si les dés sont pipés dès le départ, le jeu économique entier n’a pas le moindre sens. C’est le message que se sont efforcés de faire passer les trois personnalités qui ont balisé les travaux de ces premières Journées africaines de lutte contre la corruption. Aux premières loges de cette lutte en Tunisie, Chawki Tabib, président de L’INLUCC, ne boude pas son plaisir à voir les Africains prendre des initiatives contre ce fléau : ‘’Nous organisons ces Journées africaines de la gouvernance quelques jours après le vote à L’ARP, le 9 juillet 2019, de l’adhésion de la Tunisie à la Convention de l’union Africaine pour prévenir et combattre la corruption signée en 2013. Nous sommes heureux que notre pays rejoigne cette convention, comme de recevoir nos amis africains qui partagent avec nous le même rêve de mettre fin à la corruption sur notre continent, mettre fin à ce cauchemar qui terrasse nos pays, qui a provoqué l’occupation, évincé le développement, entravé notre union, dévasté notre continent, attiré certains de nos pays dans des guerres civiles, et surtout ravagé les espoirs de nos jeunes. Quand on sait que l’afrique subit 50 milliards de dollars de pertes par an au moins à cause de ce fléau, il faut imaginer ce que nous avons perdu au cours du dernier siècle.’’ ‘’Avec ces Journées, voici l’afrique qui se prend en main et décide de lutter contre cette faille alors que la convention est paraphée, les rencontres se multiplient en Egypte, en Algérie et aujourd’hui en Tunisie pour passer en revue les mécanismes de la convention. Il faut démarrer ensemble en tant qu’africains en toute solidarité, en toute fraternité, en comptant surtout sur nos jeunes et sur la femme africaine et en misant sur l’éducation car c’est une guerre de longue haleine’’, ajoute Chawki Tabib.
Corruption et climat d’affaires
C’est le même engagement à faire réussir l’approche africaine qu’exprime Thouraya Békri, représentant le PNUD : ‘’En tant que PNUD nous recherchons toutes les ressources possibles pour appuyer le processus de ratification et de domestication de la Convention de l’union Africaine pour prévenir et combattre la corruption. Nous accompagnons la Tunisie dans les bonnes pratiques, les exercices de redevabilité, le comité de pilotage, un exercice qui valorise la mise en oeuvre du plan d’action, rend public l’état des lieux, sans complaisance. La société civile en partenariat avec les institutions de l’etat a un rôle essentiel à jouer alors que la perception de la corruption fait ressortir que les personnes les plus vulnérables sont les pauvres et les jeunes. Beaucoup de gouvernements ont du mal à faire mieux mais nous avons noté une tendance positive : en dépit des craintes de représailles, les citoyens considèrent qu’ils peuvent faire la différence. C’est à partir de cette perception que les partenaires internationaux considèrent que cette convention est une feuille de route partagée par les gouvernements et contient les éléments forts qui peuvent éradiquer la corruption.’’ Les organisateurs semblent avoir décidé de garder l’intervention la plus attachée à l’actualité économique pour la fin : Zied Laadhari, ministre de la Coopération internationale et de l’investissement extérieur, qui a présidé un événement sans précédent il y a juste quelques jours avant la tenue de cette rencontre. Il s’agit de la présentation de la toute première loi transversale sur le climat des affaires et il nous paraissait que Laadhari en gardait le principe alors qu’il s’exprimait lors des Journées africaines : ‘’Il est aujourd’hui important de nous concentrer sur les dimensions de coût économique et de signification pour le développement qu’engendrent la corruption et la mauvaise gouvernance et les mécanismes de la lutte doivent être en phase avec une analyse globale. Il nous faut beaucoup travailler sur
les mécanismes de la lutte et de la prévention et c’est en cela que L’INLUCC peut beaucoup faire, notamment avec ces Journées qui seront annuelles.’’ Ladhari abonde dans le même sens : ‘’Il est primordial de créer une opinion publique à propos de la lutte contre la corruption car cette lutte est d’abord une affaire de mentalités et de construction de conscience commune, sans jamais perdre de vue que le danger de la corruption du coté des valeurs ne cache pas ce qu’elle entraine en matière économique. Le système statistique affirme que la régression des facteurs d’investissement est intimement liée aux indicateurs de la corruption et il est important que la conscience nationale soit convaincue que ce sujet a un coût élevé pour nous et le continent. Pas moins de 50 milliards de dollars US quittent chaque année le continent dont 15 milliards de dollars sont en lien direct avec la corruption, et c’est une perte d’un point et demi de taux de développement par an.’’
La corruption, de Ibn Khaldoun à Abdelfattah Amor
Ce qui attire singulièrement l’attention dans les discours successifs de Chawki Tabib, Thouraya Békri et Zied Ladhari, ce sont leurs allusions claires que le fléau de la corruption nécessite un long travail de patience à cause de son enracinement et de son entêtement à perdurer. Ce n’est pas nouveau. Ecoutons Ibn Khaldoun qui jugeait pertinent d’évoquer la chose dans ses ‘Prolégomènes à la Sociologie’ : ‘’La propagation de la corruption pousse la population aux tréfonds de la pauvreté et à l’incapacité d’assurer sa subsistance. Cela provoque un schisme qui conduit à terme à l’effondrement de l’etat.’’ C’était au 14è siècle et cela veut évidemment dire que la corruption remonte très loin dans l’histoire raisonnée de la Tunisie. Voire, quand on examine les vocables par lesquels le fondateur de la sociologie s’est exprimé, on ne peut manquer de signaler le ton alarmiste qui parle carrément de l’effondrement de l’etat. Sans surprises, l’histoire récente de la Tunisie lui donne amplement raison. Rappelez-vous ce qu’avait dénoncé la Commission sur la corruption et les malversations en 2011 et dont le président, feu Abdelfattah Amor, avait affirmé : ‘’Notre rapport a révélé une aggravation de la corruption en Tunisie à plusieurs niveaux des institutions de l’etat et dans la société. La corruption a pratiquement touché tous les secteurs-clés de l’etat et de la société et elle est devenue un véritable système dépassant l’épiphénomène ou les actes isolés. Cela a conduit à la prévalence d’attitudes et d’opinions qui ont imprégné les mentalités collectives et les citoyens ont intériorisé un schéma qui, en s’approfondissant, a légitimé la prévalence des intérêts privés, la recherche des privilèges et l’enrichissement facile et illégitime !’’ Du Ibn Khaldoun tout craché, n’est- ce pas ?
On ne peut affronter seuls la corruption !
En réponse à tout cela et après avoir mené des consultations à tous les niveaux, L’INLUCC a mis sur pied un plan d’action pour véhiculer la stratégie nationale avec des actions concrètes. Contrairement aux stratégies passées de lutte contre la corruption en Tunisie, ce plan d’action est un document distinctif dont les priorités sont d’identifier les projets importants et l’insistance sur les ‘’gains rapides’’ ; c’est-à-dire des résultats visibles et notables. La seule condition étant l’adhésion des citoyens au processus de lutte contre la corruption. Seulement, il existe un autre facteur primordial pour la lutte contre la corruption où L’INLUCC, toujours fidèle à son inclinaison aux consultations, en est arrivée à la conclusion que la Tunisie seule ne peut boucler sa stratégie contre ce fléau et qu’elle a absolument besoin de coordonner ses efforts avec notre environnement international et régional. Et l’afrique étant notre environnement régional le plus immédiat, il était naturel que L’INLUCC pousse les pouvoirs publics à accorder leurs violons avec ceux des Africains. Pour répondre à ces défis, l’union africaine avait adopté en 2003 la Convention de L’UA pour prévenir et combattre la corruption mais beaucoup reste à faire. Et c’est pour y contribuer que L’INLUCC oeuvre à établir une coopération entre les structures dédiées à la lutte et à la prévention de la corruption, ainsi que de renforcer celles déjà existantes parmi les membres qui ont signé et ratifié la Convention. Il y a urgence, ne cesse de répéter L’INLUCC, car elle dispose des chiffres du fléau et des comparaisons qui s’imposent. Deux chiffres : la corruption et la mauvaise gestion coûtent 2000 MD à la Tunisie et la petite corruption de tous les jours nous coûte 500 MD. Une comparaison : la corruption et la mauvaise gestion nous font perdre 4 gros points de développement par an et ces 4 points auraient été capables de fournir un emploi à pas moins de 40 mille de nos chômeurs !