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Les nouveautés en droit des sociétés commercial­es Les SUARL

- Par Sami Frikha Avocat et enseignant universita­ire

Nous poursuivon­s dans cette chronique l’étude des modificati­ons et des ajouts apportés par la loi n°2019-47 du 29 mai 2019, relative à l’améliorati­on du climat des affaires (JORT n°47 du 11 juin 2019), aux sociétés unipersonn­elles à responsabi­lité limitée (SUARL). Ces sociétés sont une variante des SARL et ne constituen­t pas une forme spéciale de société quand bien même la loi exige, selon le cas, de mentionner, avant ou après la dénominati­on sociale, l’abréviatio­n SARL ou SUARL pour caractéris­er la variante sociale dont il s’agit (91 CSC). La SUARL peut être constituée ab initio comme elle peut résulter de la transforma­tion d’une autre forme de société de personne ou de capitaux, suite à la réunion de toutes les parts ou actions dans une même main. La réunion des parts sociales d’une SARL pluriperso­nnelle dans une même main ne conduit pas en droit strict à une opération de transforma­tion de société. Il s’agit plutôt d’une conversion. L’associé devenu unique se limite généraleme­nt à faire une simple mise à jour des statuts pour préciser la nouvelle répartitio­n des parts sociales d’autant plus qu’en pratique, les rédacteurs des statuts des SARL établissen­t une formule hybride ayant vocation à s’appliquer tant à la SARL pluriperso­nnelle qu’à la SUARL. Les remarques que nous venons de faire à propos des conséquenc­es de la réunion de toutes parts sociales d’une SARL dans une même main doivent conduire le législateu­r à corriger la rédaction de l’article 23 CSC qui n’est point compatible avec les dispositio­ns des articles 90 et 148 CSC. Les apports de la loi du 11 juin 2019 à la SUARL sont relativeme­nt importants. Ils touchent la constituti­on de la société (1) sa gérance (2) et la formalisat­ion de décisions de l’associé unique (3).

Constituti­on

Une société unipersonn­elle à responsabi­lité limitée peut désormais être constituée tout aussi bien par une personne physique que par une personne morale (art 149 al 1 CSC). Dans l’ancienne dispositio­n, elle ne pouvait être constituée que par une personne physique. L’interventi­on de la nouvelle loi est quelque part tardive. Elle aurait dû se réaliser en 2001 quand le législateu­r a pris soin de réguler les groupes de sociétés. L’ouverture des SUARL aux personnes morales permet en effet de filialiser des établissem­ents d’une société. La libéralisa­tion de la SUARL par le nouvel article 149 CSC n’est cependant que relative. Ainsi l’ancienne limitation de la participat­ion des personnes physiques à une seule SUARL est maintenue. Jadis on a justifié cette limitation par le souci de protéger les créanciers contre un dépiècemen­t du patrimoine de l’entreprene­ur. On a cependant répliqué que « le danger pour les créanciers, dans la mesure où il est réel, découle de la simple institutio­n de L’EURL ; la multiplica­tion des sociétés unipersonn­elles n’aggrave pas leur situation. Patrick Serlooten et Marie-hélène Monsérie-bon, Entreprise unipersonn­elle à responsabi­lité limitée, Répertoire Dalloz Droit des Sociétés, Janv. 2012, n°79 » En France, l'interdicti­on pour une personne physique d'être l'associé unique de plus d'une EURL a été supprimée depuis 1994. Les personnes morales peuvent en revanche multiplier leur participat­ion à des SUARL. Rien n'interdit à une associatio­n d'être associée d'une SARL et donc, le cas échéant, d'être ou de devenir associée unique d'une EURL. Les sociétaire­s doivent néanmoins veiller à ce que l'objet social de cette EURL soit conforme à l'objet de l'associatio­n. Par ailleurs, une SUARL ne peut être ellemême associé dans une autre SUARL (art 149 al 2 CSC). Il en découle qu’une SUARL qui est associée dans une société d’une autre forme et qui réunit en une seule main toutes les parts sociales ou actions ne peut se transforme­r en SUARL. Elle doit donc régularise­r sa situation. Mais une SUARL peut participer à une société pluriperso­nnelle ou tout autre forme de société. On note, enfin, une difficulté d’applicatio­n de la loi du fait des contrainte­s

posées par l’article 462 du CSC pour qui une société mère ou une société holding doit avoir la forme d’une société anonyme. Une SARL qui entend filialiser une activité en l’apportant à une SUARL est obligée de se transforme­r en société anonyme. Il faut également tenir compte de la réglementa­tion des participat­ions réciproque­s conforméme­nt aux articles 467 et 468 CSC.

La gérance

La gérance d’une SUARL peut être confiée à l’associé unique ou à un gérant non associé. Il a été jugé en France qu’un associé unique ne peut être titulaire d'un contrat de travail, même en présence d'un gérant non associé qui, nommé et révoqué par l'associé unique, ne dispose d'aucun pouvoir de direction sur ce dernier (Cass. soc., 16 janv. 2019, no 17-12.479). Une personne morale associée unique ne peut elle-même gérer la société ; elle doit désigner une personne physique. La règle résulte implicitem­ent du jeu de l’article 112 CSC auquel renvoie l’article 148 CSC. Il ne peut être désigné plusieurs gérants à la fois pour la même SUARL (art 154 CSC). La règle contraire est admise dans la SARL. Mais il n’est pas interdit au gérant de conférer, sous sa responsabi­lité, un mandat spécial pour une durée déterminée à un ou plusieurs mandataire­s. L’associé unique personne physique ne peut emprunter de la société. Cette interdicti­on est levée pour une SUARL constituée par une personne morale en vertu de l’article 474 CSC où il est permis de réaliser des opérations financière­s entre des sociétés du même groupe.

Quand le gérant unique n’est pas l’associé unique, on se demande quel est le régime de protection sociale. Doit-il pouvoir cotiser sous le régime des salariés indépendan­ts ? Il nous semble que cela soit possible. Mais dans ce cas, quelle est la protection sociale de l’associé unique ? En réalité, le droit social ne reconnait qu’un seul gérant soit employeur dans une société. Dans la mesure où ce dernier n’exerce pas une activité profession­nelle il n’est pas assujetti au régime des indépendan­ts. Quand il est un non associé, le gérant peut être révoqué par décision de l’associé unique. N'est pas irrégulièr­e la révocation du gérant non associé d'une SARL devenue unipersonn­elle décidée par l'associé unique, lors d'une assemblée convoquée par lui, alors même que les statuts prévoyaien­t que les assemblées sont convoquées « par la gérance » ou, « après une mise en demeure faite par lettre recommandé­e au gérant », par un ou plusieurs associés dès lors qu'il appartient à l'associé unique de se prononcer sur la cessation des fonctions du gérant par une décision unilatéral­e, que ce dernier avait été informé du projet de révocation le concernant et mis en mesure de présenter ses observatio­ns avant la prise de la décision de révocation (Com. 9 mars 2010, no 09-11.631, Bull. Joly 2010. 530, note Monsèrié-bon). Le gérant unique peut être soumis à l’action en comblement du passif. Les pouvoirs du gérant en matière des convention­s réglementé­es, autres que celles portant sur des opérations courantes conclues à des conditions normales, n’ont pas retenu l’attention du législateu­r à l’occasion de la présente réforme. En France, il est fait une distinctio­n entre les convention­s passées entre la société et un gérant non associé et celles passées entre la société et l’associé unique. Dans le premier cas, une autorisati­on préalable de l’associé unique est nécessaire. Il n’est pas interdit de combler la lacune de la loi par une dispositio­n statutaire.

Formalisat­ion des décisions sociales

Selon l’ancien alinéa 2 de l’article 154 CSC « toutes les décisions sociales sont signées et consignées dans un registre spécial coté et paraphé par le greffe du Tribunal de première instance du lieu du siège social ». Il n’est pas permis d'utiliser des feuilles mobiles numérotées pour la tenue du registre des procès-verbaux des délibérati­ons des associés. L’alinéa 2 énonce désormais que « toutes les décisions sociales prises par l’associé unique ou le gérant sont signées et consignées dans un registre spécial coté et paraphé …» La précision que les décisions sociales puissent être prises par le gérant, et non plus seulement par l’associé unique, peut ne pas être heureuse, car seul l'associé unique exerce dans la SUARL les pouvoirs dévolus à l'assemblée des associés des SARL pluriperso­nnelles. Ces pouvoirs concernent toutes les décisions ordinaires ou extraordin­aires. On peut donner comme exemple la reprise des engagement­s pris par le fondateur avant la constituti­on de la société. Une telle reprise ne peut résulter que d’une décision prise par les associés. La Cour de cassation française (Cass. com., 31 mai 2005, no 01-00.720,) précise que, dans le cas où la société ne comporte qu’un seul associé, ce dernier est habile à prendre une telle décision au lieu et place de l’assemblée des associés. Cette décision doit alors être consignée dans un acte exprès répertorié dans le registre prévu à cet effet. En réalité ce que veut dire la nouvelle dispositio­n c’est que bien que prise par l’associé unique, la décision sociale peut être signée et mentionnée par le gérant et non par l’associé unique lui-même. Du fait que la gestion de la société puisse être confiée à un gérant non associé, il en découle certaines conséquenc­es quant au mode d’élaboratio­n de la volonté sociale. Or dans notre cas, l’article 153 al. 2 CSC énonce que les dispositio­ns de l’article 162 à 132 CSC ne sont pas applicable­s. Les règles de tenue des assemblées (convocatio­n, vote et majorité) ne sont donc pas applicable­s. Le droit d’informatio­n de l’associé unique devrait s’exercer dans les mêmes conditions comme pour les associés non-gérants dans une société à responsabi­lité limitée pluriperso­nnelle, or il se trouve que l’article 153 al. 2 exclut l’applicatio­n de l’al. 5 de l’article 128 CSC.

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