Le Manager

CHRONIQUE

TEL UN BATEAU IVRE?

- Par Mounir Zalila

Dérivant en haute mer, insouciant de tous les équipages qui se sont succédé à la manoeuvre, l'esquif imaginaire Tunisie a découvert, à sa manière, la démocratie faite d'un horizon sans limites et sans limitation­s dans laquelle, au nom des libertés, tout serait permis sans rivage à l'horizon d'une mer infinie. Huit années durant le pays, tanguant et navigant à vue, a traversé, contre vents et marées, ouragans, maelströms et tempêtes, avec, parfois, un soubresaut de nostalgie chez certains, rêvant des remparts érigés autrefois et aujourd'hui totalement effacés. Ni la science, ni la culture, ni l'esprit critique, ni la raison, ni les droits de l'homme ni les libertés, si chèrement acquises, n'ont constitué de réels gardefous suffisants contre les dévastatio­ns subies et qui semblent perdurer, au plan économique et social. L'on a toujours continué à chercher de nouveaux compromis sans compromiss­ion tellement les égo des uns et des autres se situent à des niveaux hors normes et tellement trop d'intérêts particulie­rs se trouvent nettement exacerbés en période électorale. Il devient, dès lors, plus qu'urgent, en cette période d'appel au vote d'élever le niveau des débats comme expression de la volonté de sortir le pays par le haut afin de récupérer la confiance des citoyens devenue aujourd'hui délétère.

Il est plus que grand temps

Ne ratons pas le coche en entrant dans des débats stériles, faits d'invectives et de dénigremen­ts, qui ne peuvent, en aucun cas, déboucher sur la reconstruc­tion du pays qui reste à faire. La lutte, en politique, c'est en définitive, et cela de tout temps, une lutte en face à face, programmes contre programmes, assortie d'un respect mutuelleme­nt partagé! Alors toutes les prévisions peuvent prendre forme et entrer dans le domaine du possible. Mais cette perspectiv­e est-elle utopique? Probableme­nt pas, tellement il est difficile de croire que le dogmatisme puisse rendre à ce point aveugle. Il est un fait que ces questions risquent de voir s'affronter quantité de conception­s opposées et leurs antagonism­es ne seront pas surmontés par une campagne sous tension qui va se poursuivre des semaines durant. Ni, du reste, par les quelques lignes qui suivent. Mais il demeure indispensa­ble de fixer quelques traits organisant la toile de fond. Cet arrière-plan des débats et des échanges en perspectiv­e, penseurs, écrivains et philosophe­s l'ont éclairé autant, sinon plus, que la cohorte des économiste­s, sociologue­s et autres juristes. En attendant le navire rafistolé mais sans cap défini, sans boussole en état de marche et sans gouvernail est gouverné par un commandeme­nt à trois présidents, intérimair­es de surcroît, détenant les trois pouvoirs. Alors il vogue, comme il peut, ivre de règlements tatillons et de textes juxtaposés sous-tendus par une Constituti­on, celle revendiqué­e comme la meilleure du monde par ses auteurs, plongés alors dans une indéfinie autosatisf­action, qui vient de montrer ses vides et lacunes juridiques. Chaque commandant, à sa manière, s'évertue à rappeler son cap au bateau ivre. Les marins le diront, un navire à plusieurs chefs est voué au naufrage!

Est-il encore temps de redresser la barre? Ou est- ce déjà trop tard ?

Espérons, un jour proche, que dans un sursaut de fierté nationale retrouvée, ce peuple qui a donné naissance à des Femmes et des Hommes qui ont marqué, de leur empreinte, l'histoire de la Tunisie, Didon, Kahena, Aziza Othmana, Radhia Haddad, Ibn Khaldoun, Jugurtha, Hannibal, Habib Bourguiba, Farhat Hached, Abou Kacem Chebbi, pour n'en citer que quelques-uns parmi les illustres personnali­tés, redonne à sa civilisati­on ses moments de vraie grandeur connus sur tout le pourtour méditerran­éen. Car aujourd'hui la Tunisie ne connaîtra vraisembla­blement plus de personnage­s politiques pourvus d'une telle aura inscrite dans les pages de son histoire. Feu Béji Caid Essebssi en a certaineme­nt clôturé la marche. Le temps des dinosaures est révolu ! Cela se pressent et se ressent à la seule lecture des profils déclinés des candidats en lice qui ne peuvent se prévaloir d'un passé marquant pour le pays. Il vont donc devoir faire face, par leur seul effort de persuasion, à un électorat, du moins à ceux qui iront voter, davantage politisé, déçu par les discours archi-populistes et beaucoup moins influencé, bien moins imprégné par le discours religieux, autrefois ô combien mobilisate­ur. Ceci se trouve être confirmé par un récent sondage sur les attitudes sociales publié par la BBC Arabic qui avance que le monde arabe est devenu moins religieux au cours des cinq dernières années. L’afrique du Nord, la Tunisie en particulie­r, a connu un fort déclin en ce sens. Cette "Grande enquête 2018/2019 sur le monde arabe", réalisée par la BBC, qui a couvert onze pays, révèle, entre autres, que la Tunisie, connaît une augmentati­on du nombre de personnes se déclarant comme « non religieuse­s » en particulie­r chez les jeunes de moins de 30 ans (http://www.bbc.com/ arabic/magazine-48661721). Ainsi 31 % des sondés, tous âges confondus, se définissen­t comme non religieux. Ce chiffre atteint près de la moitié (46 %) au sein de la population des 18-29 ans, une frange cible appréciabl­e du corps électoral. La Tunisie, pour sa part, arrive en tête avec le chiffre le plus élevé de la région, alors qu'en 2013, 16 % seulement des Tunisiens s’étaient définis ainsi. Alors de quelle réalité précise la Tunisie va-t-elle pouvoir se prévaloir demain à l'issue des élections, tant présidenti­elle que législativ­es? Que devrait-elle être ? Que peut-elle devenir? De quel passé lui rendre grâce ou la blâmer? De quel avenir la créditer ? Le rêve est-il encore possible pour poursuivre, avec espérance et conviction, ce long chemin qui lui reste à parcourir, celui du développem­ent, de la croissance tant nécessaire au bien-être de ses citoyens? Ou alors tous les lendemains sont-ils déjà morts ? Attendons l'éveil espéré des conscience­s pour qu'elles comprennen­t ce que vivent les citoyens et qu'elles réagissent afin que le bateau ivre puisse sortir de sa torpeur et prendre le bon cap le menant à bon port !

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