Marie Françoise Marie-nelly, ancienne directrice des opération de la Banque mondiale pour le Maghreb Mon message aux Tunisiens: "You can make it"!
MARIE FRANÇOISE MARIE-NELLY, ENCIENNE DIRECTRICE DES OPÉRATION DE LA BANQUE MONDIALE POUR LE MAGHREB
Elle a posé ses valises en Tunisie en 2015 assumant les fonctions de directrice du département Maghreb et Malte. Quatre ans plus tard, elle s’apprête à quitter le pays après y avoir mené une ribambelle de projets et de programmes s’inscrivant dans l’optique de la remise en selle de la Tunisie. Marie Françoise Marie-nelly est fonctionnaire de la Banque mondiale depuis 1994, au sein de laquelle elle a assuré multiples fonctions à l’instar de celles consacrées au domaine de la restructuration des entreprises publiques, au développement du secteur privé, à l’intégration régionale et à la gestion du secteur pétrolier. Interview.
Pour commencer, quels sont les principaux enjeux en cette période post 2011 ?
D’abord, j’aimerai dire que je suis moi-même en pleine transition car je m’apprête à quitter la région. À mon sens, la question qui se pose aujourd’hui est relative à la mise en place d’un nouveau contrat social qui redéfinit la relation entre l’état et les citoyens et qui devra permettre une participation plus active du secteur privé. Il faut savoir que l’un des éléments forts de l’engagement de la Banque mondiale et de ses partenaires a été d’aider à créer un environnement plus concurrentiel, à limiter les autorisations, et à faire en sorte qu’il y ait une énergie positive qui émerge. Aussi, avions-nous cherché à rétablir l’équilibre entre les régions les plus développées et celles de l’intérieur en s’assurant qu’il y ait plus d’équité sociale. La Banque mondiale a contribué à pousser le gouvernement à la formation d’un nouveau modèle économique dans un appel plus fort au secteur privé à travers notamment la mise en oeuvre du nouveau Code des investissements. Une des mesures que nous avons particulièrement appréciée est celle relative à la réponse favorable automatique dans le cas où il n’y a pas de réponse de la part des autorités de tutelle concernant l’accord sur un projet. Autre point fort à mon avis , celui du Start-up Act. Maintenant, je dois dire qu’à côté de tous ces éléments forts, il reste encore beaucoup de choses à faire.
Comment estimez- vous aujourd’hui le degré d’exécution de ces projets aussi bien du côté du gouvernement que de celui du secteur privé?
Je dirai que nous sommes face à un bilan mitigé surtout que nous sommes encore à mi-parcours de notre nouvelle stratégie. Nous avons voulu changer le type d’intervention que nous effectuons en migrant des projets d’infrastructure vers des projets portant sur le soft. Par exemple, actuellement, nous avons un projet qui porte sur l’enseignement supérieur permettant aux universités de concourir afin d’accéder à des ressources et définir un curriculum. Ce dernier permettra de former les jeunes dans les soft skills et aux compétences du 21ème siècle. En outre, nous avons essayé de mettre davantage l’accent sur le résultat, ce qui signifie que nous décaissons non pas par rapport aux intrants mais plutôt par rapport aux résultats réalisés. Et un des programmes qui donne le plus de satisfaction est celui de l’appui local qui aide les collectivités locales et les communes à
définir leurs propres programmes d'investissement. Elles reçoivent par la suite un financement sur la base d’une notation. Toutefois, nous avançons moins bien sur un projet destiné à la création d’une nouvelle dynamique dans les régions défavorisées à fort potentiel. Et ce, pour des raisons de mise en oeuvre. Ce programme vise essentiellement à ce que des producteurs locaux puissent se regrouper dans des alliances productives afin de développer les chaînes de valeur locales. Ce que nous remarquons ici en Tunisie c’est que les procédures de passation des marchés et l’organisation des unités de gestion demeurent encore très lourdes. A cet égard, mon ambition est de développer une plateforme de leadership collaboratif qui réunit toutes les parties prenantes telles que le gouvernement, les unités de gestion ainsi que les ministères techniques. Cette approche permettra de faire bénéficier le gouvernement d’une équipe de suivi des projets.
Qu’est- ce qui n’a pas fonctionné en ce qui concerne cette démarche ? Et quelles améliorations apporter justement ?
Deux éléments principalement : réunir toutes les parties prenantes et la mise en place des textes institutionnels. A titre d’exemple, à Jendouba, nous intervenons avec quatre programmes, et nous souhaitons que l’ensemble de nos interventions se renforcent mutuellement. Donc l’idée de rassembler tous les intervenants dans ces projets afin d’établir une plateforme juridique a pris un temps considérable. De surcroît, il il faut également réunir le niveau central et le niveau local pour qu’il y ait une appropriation par le niveau local. A l’avenir nous devons nous assurer qu’il y ait un réel ancrage local, ce qui permettra d’avoir des résultats plus rapides et plus probants.
Est- ce que la Banque mondiale a détecté des chaînes de valeur à forte valeur ajoutée?
Tout à fait! La chaîne de valeur la plus connue est celle de l’huile d’olive. Comme vous le savez, sur les dernières années, la Tunisie a été un des plus gros producteurs d’huile d’olive. D’ailleurs, la SFI a pu aider certains opérateurs à aller beaucoup plus loin dans la chaîne de valeur à travers la transformation locale. Par ailleurs, nous sommes en train d’observer d’autres chaînes de valeur dans l’industrie agro-alimentaire, notamment celle des agrumes. Toutefois, il existe une chaîne de valeur qui n’est pas suffisamment prise en considération en Tunisie, à savoir : le tourisme. J’ai effectué des visites de terrain à Sbeitla par exemple, et je n’aurai pas la prétention de dire qu’il s’agit d’un site au même niveau que l’acropole mais ce n’est pas loin. Je pense qu’il y a pas mal à faire à ce niveau de la valorisation des sites, en mettant en place un produit touristique mixte entre plage et mer et agriculture et archéologie. En outre, il y a la chaîne de valeur de la digitalisation qui occupe une place fort importante. Je suis d’ailleurs impressionnée par les capacités des Tunisiens dans ce domaine. L’idée est donc de trouver le bon moyen en vue de catalyser tous ces jeunes génies et en exploiter le potentiel.
Vous vous prononcez pour un modèle économique de rupture, que recommandez-vous?
D’abord, du côté de la rupture, il y a la possibilité de mobiliser les nouvelles technologies à travers différents mécanismes mis en place qui permettent donc cette rupture. Ensuite, je pense que ce qui importe réellement est de faire en sorte qu’il y ait des marchés contestables. Cela signifie qu’il est plus intéressant pour un opérateur d’avoir une petite part d’un grand gâteau que d’avoir une grosse part d’un petit gâteau. A ce niveau, je pense que la rupture n’est pas encore faite et ce, en dépit de la mise en place du Code d’investissement et du Conseil de la Concurrence.
S’agissant de l’administration publique, y a-t-il des programmes dédiés à améliorer sa performance?
Absolument ! Nous pensons que la Tunisie a besoin d’une administration moderne. Et cela se fait à deux niveaux. D’abord utiliser les nouvelles technologies de l’information afin de fluidifier et réduire les délais. D’ailleurs, nous allons
Nous en tant que BM, nous avons ouvert les chantiers et il faut maintenant soutenir l’effort en renforçant l’action de l’administration et surtout que l’on laisse l’espace et l’opportunité aux jeunes du pays afin qu’ils puissent exploiter tout leur potentiel
démarrer un projet qui consiste à essayer de rapprocher le citoyen de l'administration. Il s’agit de mettre en place de centres automatisés pour dispenser des services administratifs au profit du citoyen, en l’occurrence celui qui n’a pas forcément accès à Internet par exemple. Ensuite, il est question de faire en sorte que les services sociaux eux-mêmes soient modernisés. Comme vous le savez nous avons le projet d’aide aux familles nécessiteuses et nous souhaitons intervenir de manière à faire profiter de ce programme les vraies personnes vulnérables socialement en recourant à des moyens modernes automatisés. Cela nous permettra d’une part d’améliorer l’inclusion financière et d’autre part d’améliorer la qualité des services et réduire les délais. Aussi, nous travaillons sur un projet avec le ministère de l'éducation qui consiste à mettre en relation les élèves, les parents d’élèves et les enseignants sur une même plateforme.
En tant que partenaire important de la Tunisie et bailleur de fonds, comment voyez-vous aujourd’hui le rôle de l’état?
L’etat est encore très présent, voire même trop de notre point de vue, et ce, dans des secteurs importants tels que le secteur bancaire. Nous préconisons que l’etat passe du statut de producteur vers celui de régulateur et nous espérons que cela se fasse de manière graduelle. A ce propos, nous avons voulu avoir un effet de démonstration en commençant par un secteur fort important qui est celui de l'électricité et donc de l’énergie. Nous avons ainsi proposé au gouvernement tunisien de mettre en place une structure de régulation, de renforcer la capacité opérationnelle de la STEG afin qu’elle puisse réduire ses pertes commerciales. Après quoi il sera possible de disposer d’une production fournie par le secteur privé. Il faut savoir que l’état s’est engagé à s’orienter davantage vers la privatisation en réduisant sa participation dans la STEG. Tout cela permettra d’atteindre un triple objectif : le premier concerne la réduction de la pression de la dette sur les finances publiques, le deuxième a trait à l’amélioration de la performance grâce à la participation privée et le troisième concerne le renforcement des institutions.
Abordons à présent les appuis budgétaires accordés à la Tunisie depuis 2015, comment les évaluez-vous?
D’abord, je dirai que ces appuis étaient de l’ordre de 1,5 milliard de dollars et ils avaient pour but de pousser le gouvernement à aller dans le sens des réformes. Il était question d’intervention dans le cadre du climat des affaires, ce qui a permis à la Tunisie d’améliorer son score dans ce domaine. Également, il est question de revoir tout le schéma de l’investissement en faisant en sorte que l’état intervienne moins dans les décisions d’investissement. Ensuite, un autre grand chantier dans lequel la BM est intervenue de manière cruciale est le programme de la protection sociale. L’idée est de mettre en place un programme qui soit plus adapté et moins universel et qui repose sur un principe de compensation s’adressant aux plus démunis. Le message que je veux transmettre aux autorités est leur dire que, nous en tant que BM, nous avons ouvert les chantiers et il faut maintenant soutenir l’effort en renforçant l’action de l’administration et surtout que l’on laisse l’espace et l’opportunité aux jeunes du pays afin qu’ils puissent exploiter tout leur potentiel. Ce que je recommande donc c’est plus de mise en oeuvre, plus de suivi et plus de rigueur.
Nous savons aussi que la BM a intégré l’approche genre dans différents programmes. A ce propos, qu’est- ce qui a été fait et qu’est- ce qui reste à faire?
La question du genre est très importante dans la région du Maghreb et particulièrement en Tunisie car le taux d’employabilité des femmes est faible (25%). Nous savons également que si les femmes perçoivent plus d’argent pour leur salaire, il y aura non seulement une amélioration globale du revenu pour tout le monde mais aussi une utilisation pertinente de cet argent. C’est pourquoi nous nous sommes dit qu’il faut intégrer dans tous nos programmes la dimension genre. Et puis qu’il y ait un programme spécifique genre tel que celui de “Empowerher” et dans le cadre duquel nous avons effectué un point original consistant à mettre en relation les jeunes et les femmes. En effet, nous avons demandé aux jeunes d’apporter des solutions qui répondent aux problèmes des femmes.
Pour conclure sur une note positive, vous êtes chargée de toute la région du Maghreb, quels atouts voyezvous chez la Tunisie?
Selon moi, le premier atout de la Tunisie est sa jeunesse ainsi que sa capacité d’innovation. La semaine dernière nous avons aidé les jeunes de la région à monter le réseau des start-up du Maghreb et je dois vous avouer que la Tunisie a été en tête de pont. Aussi, l'avantage du pays est sa taille, ce qui signifie que l’impact de toute mesure appliquée est immédiat. S’ajoute à cela la proximité de l’europe, ce qui implique aussi une retombée immédiate de toute action entreprise. D’ailleurs, en 2021, il y aura l’événement des assemblées de la Banque mondiale qui se tiendra à Marrakech, au cours duquel la Tunisie devrait montrer une feuille de route et ce sera une occasion pour démontrer que des avancées majeures auront été faites.
Un mot de la fin ?
Mon message est : vous pouvez le faire mais il faut développer un leadership collaboratif sur toutes les actions et que l’on se mobilise ensemble pour faire émerger la startup nation Tunisie.