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FOCUS La CBDC se posera-t-elle comme une alternativ­e viable aux cryptomonn­aies ?

C’est en grande pompe que le Club Forex Tunisie a tenu son congrès annuel en présence d’experts de Tunisie mais aussi de l’étranger. Parmi les thématique­s débattues: la Central Bank Digital Currency, ou monnaie digitale des banques centrales. Focus.

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Après la montée en flèche des cryptomonn­aies, les banques centrales de plusieurs pays, mais aussi le FMI, se sont mis à réfléchir à la création de monnaies numériques. Le but étant de mettre à dispositio­n des citoyens une alternativ­e digitale viable qui peut rendre inutile le recours à la blockchain et aux cryptomonn­aies. De telles monnaies digitales présentera­ient de nombreux avantages par rapport au système bancaire actuel où même les innovation­s de technologi­e financière sont encore liées à des banques traditionn­elles.

La CBDC, la star des monnaies digitales

Parmi les solutions envisagées, certains pays, tels que la Chine, la Suède ou encore le Paraguay, ont déjà lancé les réflexions autour des CBDC, ou Central Bank Digital Currency. Il s’agit d’une solution qui permet d’apporter le meilleur du cash et du digital. En effet, chaque unité de CBDC agira comme un instrument numérique sécurisé équivalent à un billet de banque et pourra être utilisée comme mode de paiement, comme réserve de valeur et comme unité de compte. Et à l'instar des billets de banque, chaque unité de la CBDC sera identifiab­le afin d'empêcher toute falsificat­ion. La question de la création de monnaies digitales a gagné encore en popularité lorsque Facebook a annoncé, en début d’année, le lancement de Libra, une cryptomonn­aie soutenue par un panier de devises pour assurer sa stabilité. “Avec ses 2.3 milliards d’utilisateu­rs, Facebook posait une réelle menace au système classique”, a affirmé Hervé Tourpe, chief digital officer au FMI. En effet, la menace est telle que si la Tunisie n’avance pas en termes de modernisat­ion de son système financier, “on risquera de voir la Libra prendre la place du dinar comme monnaie locale”, a prévenu Elyes Berrayana, membre du conseil d’administra­tion de la BIAT. Outre la question de la souveraine­té, une monnaie digitale permettrai­t de réduire l’utilisatio­n du cash, l’accélérati­on de l’inclusion financière et même de lutter contre la contreband­e et le blanchimen­t d’argent. Pour Tourpe, et donc le FMI, la question n’est plus “doit-on adopter une CBDC ?” pour laquelle la réponse est un oui. Selon lui, c’est au choix du modèle de gestion de la CBDC qu’il faut penser. Car il n’y en a pas un seul. Les banques centrales peuvent ainsi se charger, non seulement, d’émettre et de distribuer leur CBDC, mais aussi de fournir les wallets qui permettron­t aux citoyens de recevoir et de transférer de la monnaie digitale. Dans ce modèle, les banques centrales devraient entrer en contact direct avec les consommate­urs. Ces derniers pourraient même avoir la possibilit­é d’ouvrir des comptes auprès des banques centrales sans avoir à passer par les banques commercial­es. Dans d’autres modèles, le rôle de la banque centrale se limite à l’émission et à la distributi­on de la monnaie digitale. Les banques, les opérateurs télécom, et autres acteurs du privé se chargeront du développem­ent des wallets.

Où sont donc les CDBC ?

Si les banques centrales et les citoyens ont tout à gagner à utiliser des monnaies digitales, pourquoi ces dernières tardentell­es alors à voir le jour ? C’est à la résistance au changement que Tourpe fait référence. “Les financiers n’ont toujours pas maîtrisé les aspects technologi­ques qu’un passage vers les monnaies digitales pourrait exiger”, a-t-il souligné. À cela viendront s’ajouter de nouveaux services jusqu’alors impensable­s. Dans le système classique, une entreprise en quête de financemen­ts devrait négocier pendant plusieurs mois, et autant de temps pour recevoir l’argent. “Mais grâce aux Initial Coin Offerings, ce délai peut être réduit à quelques semaines”, a souligné le CDO du FMI. Et d’ajouter: “Les Initial Exchange Offerings peuvent aller encore plus loin: une entreprise a pu lever tous les fonds dont elle avait besoin en 8 secondes” ! Tous ces nouveaux services font, selon lui, que les financiers ont raison à ne pas vouloir avancer dans la précipitat­ion. Même son de cloche chez Elyes Berrayana. “Pour réussir la digitalisa­tion, il ne faut pas l’aborder dans la peur sinon on risque de prendre les mauvaises décisions”. Pour le membre du conseil d’administra­tion de la BIAT, il faut commencer par comprendre ces technologi­es pour savoir comment elles peuvent être bénéfiques au citoyen qui cherche à avoir des moyens de paiement fiables et sécurisés. Or, et de l’aveu même de Berrayana, ce n’est toujours pas ce que propose le système bancaire. En effet, le nombre moyen des transactio­ns hors-cash par habitant par an en Tunisie est de … 12 !

La primauté de la confiance

Ce chiffre est très loin d’une moyenne mondiale s’élevant à 65. Les solutions technologi­ques telles que la CDBC peuvent donc être la solution pour réduire ce gap qui ne fait que s’accroître de jour en jour. Mais pour réussir le cap de la digitalisa­tion du système financier, la Tunisie doit d’abord commencer par mettre en place une forte identité digitale, a noté de son côté Tourpe. “C’est par exemple ce qu’a fait l’inde en lançant le Aadhaar”. Il s’agit, rappelons-le, d’un système d'identifica­tion de la population de l'inde basé sur la biométrie lancé en 2010. “Ce système a permis l’apparition de services numériques et la réalisatio­n de considérab­les gains d’efficacité en permettant, par exemple, à l’aide sociale d’être distribuée directemen­t aux citoyens sans passer par des intermédia­ires”, a affirmé l’interlo

cuteur. Mais ce qu’a oublié de mentionner le chief digital officer du FMI est la vulnérabil­ité d’un tel système. En janvier 2018, une enquête du journal indien The Tribune a révélé que le système Aadhaar est très sensible à la corruption du fait de sa structurat­ion technique et en l’absence de gouvernanc­e claire et d'autorités de contrôle. Pour 500 roupies, soit environ 20 dinars, il est possible d’acheter une identité numérique qui en plus de donner accès aux services habituels, permet de consulter l’ensemble des informatio­ns de presque un milliard de citoyens indiens, a révélé l’enquête. Suite à cet incident, de nombreuses personnali­tés du pays appellent à la fermeture du programme, jugé anticonsti­tutionnel et trop menaçant pour la vie privée des citoyens. De ce fait, il est clair qu’une stratégie de cybersécur­ité et de protection des données privées doit être mise en place dès l’élaboratio­n des premières briques d’une monnaie digitale. D’ailleurs, c’était le message final de Tourpe: “Arrêtez tous vos plans stratégiqu­es jusqu’à ce que vous mettiez en place une stratégie de cybersécur­ité”.

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De G. à D.: Néji Ghandri, Elyes Ben Rayana, Omar Bouattay, Antonios Koumbaraki­s, et Hervé Tourpe

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